Fyctia
Chapitre 11 : Olivia 🎄
Maison familiale des Truffaut - Salon
Le toussotement de mon mari me fait légèrement sursauter. Par-dessus mon épaule, je lui renvoie un regard agacé. Je sais déjà ce qu'il va dire, ce qu'il pense, mais cela ne m'empêche pas d'observer Géraldine derrière le rideau du salon.
Elle est dans le jardin. Elle fume une cigarette. Une cigarette. Rien qu'à penser à la nicotine et à toutes ces substances ignobles qui parcourent sa trachée pour détériorer ses poumons, je suis horrifiée par son inconscience. Ma main se resserre autour de la dentelle du rideau et ma mâchoire se crispe de dépit.
— Cesse de l'épier comme une vieille commère, Olivia, me souffle Stéphane, assis sur son fauteuil, les yeux baissés sur son livre.
— Si tu t'inquiétais un peu plus, je m'inquiéterais un peu moins !
Je suis dure avec lui, sans doute. Pour autant, Stéphane connaît mon caractère et ferme doucement son livre. J'ai de la chance, je ne le nierai jamais. Il m'accepte comme je suis. Après quarante ans de mariage, il sait parfaitement comment je fonctionne. Il discerne chacune de mes angoisses, il décèle la moindre de mes inquiétudes. Ce n'est pas ce que je lui reproche, non. Ce que je lui reproche réellement, c'est de ne jamais prendre mon rôle. Il est celui qui observe, qui réfléchit, qui analyse, mais il ne prend jamais part à l'action. Celle-ci m'est réservée, comme toujours. C'est moi la décisionnaire de notre famille. C'est à moi qu'on octroie le rôle de la tortionnaire, pas à lui.
Lui, c'est celui qu'on prend dans les bras quand on rentre après cinq ans d'absence.
Ma pensée, acide, me prend aux tripes et je relâche le rideau pour m'éloigner de quelques pas. Je détourne les yeux pour ne pas croiser son regard. Je ne veux pas qu'il y trouve ce que ma conscience ne cesse de me répéter, chaque fois qu'il reçoit toute l'affection de l'un de nos deux enfants. Je suis de mauvaise foi, je ne me le cache pas. Je sais parfaitement que j'aurais pu, que j'aurais dû essayer... faire un geste envers Géraldine... tenter quelque chose pour la mettre à l'aise, mais...
Je n'ai pas pu.
Tout ce que j'ai réussi à faire, c'est la regarder longuement, prendre ses affaires pour les plier et les ranger dans le placard de l'entrée, dans un sursaut de contrôle maladif, et la juger sévèrement, comme je le fais depuis bien longtemps. J'ai mis une distance entre elle et moi, une fois de plus. Une de ces distances que je ne parviens plus à combler.
Il faut que rien ne dépasse. Tout doit être en ordre, Olivia. Tu ne peux pas te permettre de lâcher prise. Qu'est-ce qui se passera si tu lâches prise ? Si tu succombes à tes émotions ? Ta famille s'effondrera ! Tu te rappelles de ce qui s'est passé la dernière fois ? Tu te rappelles ? Alice est morte. Elle est morte, et si tu ne veux pas que ça se reproduise...
— Tu as raison, Stéphane, abdiqué-je. C'est sa décision, après tout.
Mon regard glisse vers le sapin, décoré par mes soins, ceux de Fabienne, ma belle-sœur par alliance, et Bastien, mon petit-fils. Je penche la tête sur le côté, brusquement sceptique.
Il ne serait pas un peu trop à gauche lorsqu'on entre dans le salon ?
Est-ce que les boules rouges sont suffisamment bien réparties ?
Je formule ma réflexion à voix haute, songeuse.
— Le sapin n'est pas centré. Et il manque deux boules rouges sur le devant pour que ce soit parfait.
Stéphane secoue la tête, pose son livre sur la table basse et se lève.
— La perfection n'est pas de ce monde, mon ange. Assieds-toi, le monde ne s'arrêtera pas de tourner si tu te détends quelques minutes.
Je hausse un sourcil.
— Dans ton fauteuil ?
— Dans notre fauteuil, réplique-t-il en saisissant ma main pour m'y installer sans que je n'oppose de résistance. Tout ce qui est à moi est à toi, c'est stipulé dans le contrat de mariage.
Nous fêterons nos noces d'émeraude dans quelques mois avec Stéphane. Quarante ans à traverser les épreuves de la vie main dans la main. Quarante ans à se supporter, à le supporter, à me supporter, ce n'est pas rien. Un sourire vient se déposer sur mes lèvres. Il est un peu fané, mais il a le mérite d'exister. Si Claudine était là...
La présence de ma belle-mère dans cette maison me manque. Pas autant qu'à mon mari, je ne prétendrai pas le contraire, mais elle me manque. Claudine avait une telle vitalité, une telle envie d'exister dans tout ce qu'elle faisait, dans tout ce qu'elle disait, qu'elle imposait le respect. Ma mère, contrairement à elle, était d'une telle fragilité qu'elle s'est éteinte bien avant son heure, à l'âge de cinquante-quatre ans. Les souvenirs de ces deux femmes qui ont fait partie de ma vie m'émeuvent et, pour dissimuler mon émotion, je me lève avec brusquerie, mon regard se tournant vers l'horloge au-dessus de la cheminée.
— Il est presque vingt-deux heures, Stéphane. Nous ferions mieux d'aller nous coucher. Pour demain...
L'enterrement commence à onze heures.
Les traits joviaux de mon mari se crispent de douleur et je m'approche, passant mon bras sous le sien.
— Suis-moi, vieux débris, lui glissé-je à l'oreille.
Et je suis fière de voir un sourire s'afficher sur ses lèvres. Même si ce sourire ne se répercute pas dans ses prunelles bleues et que je ressens la souffrance, la douleur, dans chacune de ses articulations. Et nous montons l'escalier qui mène à notre chambre.
Ensemble.
Depuis quarante ans.
Maison familiale des Truffaut - Le lendemain matin
C'est le branle-bas de combat. Stéphane se bat avec sa cravate devant le miroir de l'entrée alors que Clément peine à habiller Bastien, qui ne tient pas en place en clamant qu'il veut aller jouer dehors. Comme je le comprends. Si je devais choisir entre mon rôle de femme forte et inébranlable et me rouler dans la poudreuse comme une gamine, je prendrais la deuxième option avec plaisir.
Sauf que je suis Olivia Truffaut.
Et Olivia Truffaut ne se roule pas dans la poudreuse, elle dicte les règles.
— Tout le monde devait être prêt pour neuf heures quarante-cinq dans l'entrée, persiflé-je.
— Je sais, ma douce. Je sais, acquiesce Stéphane.
— Fais-moi voir, dis-je en prenant le relais.
Ce faisant, je lève les yeux avec agacement vers le deuxième étage. S'ils ne descendent pas immédiatement, je vais tous aller les chercher par la peau des...
Les voilà.
Armand et Fabienne, suivis par Capucine, Benjamin et Miles, nous rejoignent, tous tirés à quatre épingles. Ou presque. Je repère un pli sur la veste noire de Benjamin et m'empresse de le lisser lorsque mon neveu passe près de moi. Il claque sa langue contre son palais. Je le rabroue du regard. Il ne paraît pas s'en formaliser puisqu'il m'adresse un rictus moqueur. Sale petit... Armand peut bien dire ce qu'il veut de Géraldine et de son caractère rebelle, son fils semble bien parti pour suivre le même chemin.
Mais comme disait Claudine, il faut bien que jeunesse se passe...
Et puis, d'ailleurs, en parlant de Géraldine, où est-elle ?
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Zelda Jane
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Il y a 4 jours
Natia Kowalski
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Il y a 4 jours
Emilie Hamler
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Ady Regan
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Natia Kowalski
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Il y a 13 jours