Natia Kowalski Et que tombe la neige... Chapitre 10 : Miles ✨

Chapitre 10 : Miles ✨

Maison familiale des Truffaut - Jardin.



Ce dîner est l'un des plus pesants que j'ai connus en trente ans d'existence. Pas étonnant que Géraldine soit partie fumer une cigarette après avoir terminé le plat principal. Personnellement, j'ai préféré attendre qu'on soit entre le fromage et le dessert avant d'oser "aller m'en griller une en douce dans le jardin", comme le formule de manière sirupeuse mon très cher beau-père.


Je ne suis pas le gendre idéal.


Pas à ses yeux en tout cas. Et il a toutes les raisons de le croire vu mon passif. Alors, forcément, je la mets en veilleuse et j'essaie de m'accorder à ce qu'il attend de moi. Je le fais pour Capucine, pour qu'elle se sente bien, pour qu'elle n'ait pas l'impression qu'à cause de moi, elle déçoit son père. Je sais qu'elle a pris mon parti des tas de fois ces dernières années, mais je ne veux plus qu'elle ait à subir cela. Je veux qu'elle passe le Noël qu'elle mérite auprès des siens.


Les températures, glaciales, s'immiscent sous mon manteau, s'infiltrent sous mon écharpe en laine et me font frissonner, mais je continue d'avancer. J'ai toujours préféré la solitude apaisante de l'hiver à la douceur monotone du printemps, à l'excentricité étouffante de l'été et à la nostalgie pesante de l'automne.


Autour de moi, tout est blanc, paisible, silencieux. J'aime entendre le bruit de la neige sous mes chaussures. C'est presque comme marcher dans du coton, même si, au fond, je n'ai pas la moindre idée du bruit que cela ferait. J'en suis là de mes réflexions - peu reluisantes - quand je distingue la silhouette de Géraldine face à moi.


Elle est adossée au vieux chêne, à quelques mètres de moi, et elle exhale la fumée de sa cigarette, les yeux rivés sur la toiture de la maison. Je reste un instant fasciné par les ronds de fumée qu'elle forme avec ses lèvres et la manière dont elle se tient contre l'arbre. Un pied sur le sol enneigé, un pied contre le tronc. Comme si elle se rebellait contre toute forme d'autorité.


Insolente.


Cette image me fait sourire et me ramène à cette adolescente de quinze ans vindicative, créative, émotive qu'elle était et qui avait tant marqué mon esprit. Deux jours après l'épisode dans le bureau du proviseur, et quatre avant mon départ pour Paris, je l'ai entraperçue une seconde fois derrière la vitre du café "Chez Louise", assise à la table du fond. Elle dessinait. Mais je n'ai pas osé la déranger pour lui rappeler notre échange. Après tout, il n'avait pas vraiment d'importance. Finalement, on a fini par se retrouver, par le plus grand des hasards, quinze ans plus tard. Ici, à Yvoire. Dans la maison de sa grand-mère.


Tout en continuant d'avancer dans sa direction, je lui adresse un signe de la main pour signaler ma présence. Lorsque je parviens à sa hauteur, elle esquisse un rictus.


— Donc, tu as survécu ?

— On dirait.

— Contente pour toi. Armand est une vraie tête de con quand il veut.

— Il est simplement...


Je tente d'excuser mon beau-père - comme s'il était planqué derrière le chêne à me surveiller - mais je ne parviens pas à trouver les bons mots. Géraldine éclate d'un petit rire moqueur tandis qu'elle se décolle légèrement de l'arbre pour mieux observer mes réactions.


— Exécrable ? Autoritaire ? Despotique ?


Elle s'amuse ouvertement de mon trouble. Elle en joue et je détourne les yeux de ses prunelles brunes, brillantes de défi. Je secoue la tête et reprends quelques secondes plus tard.


— Disons qu'il n'est pas facile à vivre mais...

— Il t'a payé combien pour le défendre ?


Je hausse les épaules et finis par lui adresser un sourire en coin.


— Cher... Très cher.

— J'imagine. S'il veut conserver les apparences, il va devoir mettre le paquet, m'assure-t-elle en reprenant une latte de sa cigarette, qu'elle recrache deux secondes plus tard en un long filet de fumée grise.


Elle rive ses yeux aux miens, et je soutiens son regard. Une, deux, trois secondes. Et pendant un moment, durant un court instant, je me perds dans les nuances mordorées qui parsèment sa rétine, je glisse sur sa bouche et je dévale les lignes de son cou pour aller rejoindre...


Putain, je devrais arrêter de la dévisager aussi longuement. Aussi intensément. Je détourne la tête, mais j'ai le temps de discerner une rougeur consumer ses joues. Comme si cela justifiait mon écart de conduite, je ne retrouve pas mon paquet de cigarettes et je fais un geste évasif vers sa main et ce qu'elle tient entre les doigts.


— En parlant de paquet, t'aurais une cigarette pour moi ? J'ai dû laisser le mien à l'intérieur.

— Tu fumes, toi ? s'étonne-t-elle, avec un regard en coin.

— De temps en temps. En week-end, à Noël...

— La veille d'un enterrement ? ironise-t-elle, sa voix se brisant sur le dernier mot.


Ses doigts tremblent quand elle fouille dans ses poches de manteau pour en extirper le paquet un peu cabossé. Elle me le tend et je me saisis de l'une de ses cigarettes et de son briquet. Une minute de silence pendant laquelle je fais rouler la pierre pour en faire jaillir la flamme et embraser l'atmosphère. Elle me regarde faire, puis elle récupère ses affaires qu'elle range rapidement, avec des gestes saccadés.


— J'essaie d'arrêter, me confie-t-elle.


Elle jette un œil furtif vers la maison et pousse un soupir.


— Ma mère déteste ça. C'est pour cette raison que j'ai commencé à fumer. Pour la faire chier, explicite-t-elle avec un petit rire sans joie. Jeune et con, comme dirait Saez...


Tu prêches un convaincu, Géraldine...


Des réminiscences de mon passé me narguent alors qu'elle ajoute, sans se douter une seconde des répercussions de son discours dans mon esprit.


— Mais ma grand-mère me demandait sans cesse d'arrêter. Elle s'inquiétait pour ma santé. Je le lui ai promis plusieurs fois... mais je n'ai jamais été jusqu'au bout de ma promesse.

— Tu as essayé, et c'est tout à ton honneur, répliqué-je, prenant une bouffée de ma cigarette.


Le regard de Géraldine s'assombrit soudainement. Elle semble attirée par un point derrière moi et je me retourne. La silhouette de Capucine et de son manteau vert sapin, suivie toujours de près par son chien Gargantua, se dessine au milieu de la vaste étendue de neige qui recouvre le jardin. Un immense sourire sur les lèvres, elle accélère le pas pour nous rejoindre, visiblement heureuse de nous trouver là.


Capucine est ainsi.

Incroyablement vivante.

Et je suis tombé amoureux.

Du rose de ses joues.

Du vert clair de ses yeux.

Et du sourire sur ses lèvres.



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59

59 commentaires

Leroux Ophélie

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Il y a 4 jours

Huum je me demande vraiment comment ça va se terminer cette histoire, parce qu'il semble bien accroché à Capucine tout de même

Natia Kowalski

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Il y a 4 jours

Oui ils sont en couple depuis trois ans, ce n'est pas rien... malgré l'attirance pour Géraldine 😉

mima77

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Il y a 9 jours

Nan mais en plus il a l air d etre heureux avec Capucine, ça va être trop dur la 😭😂

Natia Kowalski

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Il y a 9 jours

Oui, je sais 😭😂

Lys Bruma

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Il y a 11 jours

Pauvre Capucine quand même 😭 Mais j'aime bien Miles et Géraldine, j'adore leur dynamique 🤍

Natia Kowalski

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Il y a 11 jours

Oui ma petite Capu, je lui réserve un petit arc narratif quand même... avec des surprises 🥰

Scriptosunny

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Il y a 13 jours

Yééééé un autre point de vue de débloqué 😍

Natia Kowalski

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Il y a 13 jours

Oui, celui de la mère 😍

Ady Regan

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Il y a 14 jours

Rhaaa ça s'annonce compliqué pour Miles... du coup ça me rend déjà triste pour capucine qui ne mérite pas ça 🙁

Natia Kowalski

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Il y a 13 jours

Oui, pauvre Capucine 😥
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