Fyctia
Chapitre 8 : Clément ⛄️
Maison familiale des Truffaut - Cuisine.
Géraldine est revenue.
Ma mère nous a annoncé son retour hier soir, entre le fromage et le dessert, avec son air détaché des grands jours. Celui qu'elle maîtrise à la perfection. Je ne suis pas aussi doué qu'elle pour masquer mes émotions, je dois l'avouer. Je me suis décomposé face à cette nouvelle, au point de perdre mon habituel flegme.
— Qu'est-ce qu'elle vient faire ?
— L'enterrement, Clément, l'enterrement, a répondu ma mère avec ce petit ton méprisant qu'elle me réserve trop souvent ces temps-ci.
J'ai senti la main de ma femme se poser sur mon avant-bras et je me suis resservi un verre de vin. Armand a pris la suite de la discussion, arguant avec virulence que Géraldine n'a plus sa place ici. Moi ? Je ne sais pas ce que je pense de tout ça. Ou plutôt si, je sais. Un mélange d'amertume et de regrets. Son départ ressemble un peu trop à un abandon, selon moi. Et j'exècre tout particulièrement sa façon de revenir avec fracas. Comme si elle s'attendait à ce qu'on lui tombe tous dans les bras.
Raté, petite sœur.
Géraldine est revenue après cinq ans d'absence et je n'ai aucune idée de la manière dont je dois agir avec elle. Je n'ai rien à lui dire, ou tout du moins rien de positif. Les mots restent bloqués dans ma gorge sans que je parvienne à déglutir.
Les deux mains posées sur le plan de travail, les yeux rivés sur la vitre verglacée qui donne sur le perron de la maison de grand-mère, je me laisse aller à retracer le fil de mes pensées. Jusqu'à ce que Bastien, mon fils, me tire sur la manche. Son sourire innocent illumine la pièce et se reflète dans mes yeux et sur mon visage lassé par la vie. Je lui tapote légèrement la tête, avec une tendresse qui me surprend toujours autant.
Qu'est-ce qu'il est beau, mon gamin.
— Papa, tu viens faire un bonhomme de neige avec moi ?
— Dans trois minutes, Bass, dans trois minutes. Mets ton manteau et tes chaussures, je te rejoins.
Je fais valser les gouttes dans mon verre de vin. Le bruit des pas de Bastien martèlent le carrelage et se répercutent en écho sur le parquet de l'entrée, mais je ne bouge toujours pas. J'ai l'impression d'être assommé par mes propres pensées. C'est cet instant précis que choisit Capucine pour faire irruption dans la cuisine et, par ricochet, fracasser ma bulle de noirceur.
Vêtue de son long manteau vert sapin qu'elle n'a pas encore pris le temps d'enlever, elle reste sur le seuil et secoue ses cheveux châtains pour en extirper les flocons de neige.
À ses pieds, Gargantua, son berger allemand, s'assied sagement sur son postérieur, attendant que sa maîtresse lui donne la permission d'entrer dans la pièce. Mais elle prend son temps et me considère avec un sourire en coin, comme si elle tentait de lire dans mes pensées.
Arrête ça, Capu, c'est franchement agaçant.
— C'est quoi cette tête, Clem ?
— Quelle tête ?
— Celle que tu tires.
— Une tête d'enterrement ?
Mon humour, aussi noir que mon état d'esprit, fait mouche. Capucine ouvre de grands yeux, me dévisage longuement, avant d'oser sourire franchement.
— Heureusement que nous sommes que tous les deux, remarque-elle tout en enlevant son manteau. Je ne suis pas certaine que nos parents apprécient autant que moi ton sens de la dérision dans un contexte comme le nôtre !
— Mamie aurait ri.
— C'était ta première fan, approuve Capucine en disparaissant derrière le mur de la cuisine pour déposer son vêtement sur le portemanteau.
Une fois cela fait, elle entre dans la cuisine avec un geste de la main envers son chien pour l'autoriser à la suivre. Celui-ci obéit, comme toujours. Il ne bouge pas une oreille, c'est impressionnant. Capucine s'installe sur l'une des chaises en osier et, avec ses doigts graciles, épluche une clémentine avant de relever les yeux vers moi.
— Elle est arrivée ?
— D'après toi ?
— Vu ta tronche, je dirais que oui.
Elle dépose un morceau de fruit dans sa bouche et savoure le goût sucré, les paupières fermées. Lorsqu'elle les rouvre, ses yeux vert d'eau s'éternisent sur un point invisible alors qu'elle caresse son chien d'une main distraite.
— Est-ce qu'elle va bien ? Vous lui avez réservé un bon accueil ? s'inquiète-t-elle, fronçant soudainement les sourcils.
On pourrait presque penser que c'est de la curiosité malsaine, mais ce n'est pas le cas. Capucine s'intéresse réellement aux gens et elle souhaite vraiment qu'ils se sentent bien. Peu importe le degré d'affection qu'elle leur voue, elle fait tout ce qu'elle peut pour effacer la souffrance dans le regard des autres. Du plus loin que je me souvienne, elle a toujours été comme ça. Petite, elle pleurait si j'avais le malheur d'écraser une fourmi et me faisait un laïus sur la nécessité de respecter toute existence, aussi petite soit-elle.
Une sainte.
Je grimace, mal à l'aise.
— Elle a l'air d'aller bien. Pour ce qui est de l'accueil...
— Ne dis rien, me coupe-t-elle en levant une main dans ma direction. Je vais aller voir moi-même si elle a besoin de quoi que ce soit.
Capucine se lève avec toute la grâce de son corps frêle, aussitôt suivie de Gargantua. Lorsque nous étions adolescents, je me moquais allégrement d'elle en lui disant que je pourrais la casser en deux vu l'épaisseur de son corps. Aujourd'hui, je regrette de ne pas avoir fait preuve de plus d'empathie. Après tout, Capucine a hérité de la génétique de sa mère, et je sais qu'elle en a longtemps fait un complexe.
Désolé, Capu. Je n'ai pas cette bienveillance innée qui te caractérise...
— Benjamin est sorti de la voiture en trombe, m'apprend-elle en gloussant un peu, creusant des ridules sur ses joues creuses. J'imagine qu'il est déjà là-haut en train de la questionner sur ces cinq années de périple autour du globe.
— Trop impressionnable, ce gosse, je marmonne sous les yeux rieurs de ma cousine.
— Sois cool, Clem, me dit-elle avant de passer de nouveau la porte de la cuisine. C'est ta sœur quand même.
Je sais.
Ouais, je sais.
Géraldine est ma sœur.
Moi, je le sais.
C'est elle qui nous a oubliés.
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Mapetiteplume
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Il y a 3 jours
Natia Kowalski
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Leroux Ophélie
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Natia Kowalski
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Il y a 12 jours