Fyctia
Chapitre 7 : Géraldine ❄️
Maison familiale des Truffaut - salon.
Ma surprise, et par extension mon regain d'espoir, n'est que de courte durée. Ma mère ne m'accorde aucun regard. Ses lèvres sont pincées, son corps est tendu. Toute son attention est rivée sur Armand et le défi silencieux qui brille dans leurs yeux. Et soudainement, je comprends.
Maman ne supporte pas de perdre le contrôle.
Elle n'a jamais aimé l’oncle Armand, mais elle ne l'a jamais dévoilé aussi ouvertement. Du moins, elle s'est tenue à rester cordiale par respect pour mon père et pour ma grand-mère. Il leur arrivait même de discuter de sujets d'actualité. En vérité, elle le tolérait, mais elle le haïssait. Non pas pour sa capacité à rabaisser les autres, mais parce qu’il prenait trop de place. Il prenait sa place.
Aujourd’hui, cette scène qui se joue devant mes yeux n’est rien d’autre qu’un combat de coqs. Un jeu de pouvoir pour savoir qui s’emparera du trône. Maintenant que mamie n’est plus là pour maintenir l'ordre, ils n’ont plus aucune retenue.
Je ne suis qu’un os à ronger qu’ils se disputent.
J’ai presque envie de rire, à défaut de fondre en larmes face à cette scène pathétique, en me disant que ma famille pourrait faire concurrence à Game of Thrones.
Je ferme les paupières, épuisée. J’ai envie de fuir. Et de ne jamais revenir dans cette foutue baraque. Un raclement de gorge, discret, se fait entendre du fauteuil où est assis mon père. Nous tournons tous la tête vers lui.
— Géraldine doit être fatiguée, dit-il calmement. Tu devrais monter tes affaires dans ta chambre, chérie. Tu sais, ton ancienne chambre, poursuit-il en me regardant avec une tendresse qui me donne envie de fondre en larmes. Nous dînerons bientôt.
J'acquiesce lentement à sa suggestion et quitte la pièce avec une rapidité suspecte. Je ne regarde pas en arrière. Je récupère mon sac à dos, coincé dans le fond de ce placard sombre à l'entrée. Un peu comme je l'ai été, comme je le suis encore. Je reste dans l'ombre. Je suis cabossée, esquintée. Trop différente. Je suis une intruse dans une famille aimante, unie. Je suis celle qui a disparu avec un simple mot d'adieu, du jour au lendemain.
Qu’ils pensent que je suis lâche, ça m’est égal.
Maison familiale des Truffaut - Deuxième étage.
Ma main glisse sur la rampe d’escalier. Le bois, autrefois brillant, est terni par le temps. Rien ne dure vraiment. Tout passe, tout meurt. Il n’y a que l’instant présent, et les souvenirs qui demeurent. Mais rien ne se rattrape jamais. Nous sommes ce que nous sommes, et nous devons vivre avec.
Je suis Géraldine Truffaut, l’étrangère.
Et aux yeux du reste de ma famille, ce rôle me colle à la peau.
Lorsque je parviens au deuxième étage, je sens une larme rouler sur ma joue. Traîtresse, elle coule, se cache dans mon cou, et je la laisse mourir dans le creux de ma poitrine. Mamie disait toujours que les larmes étaient les prêtresses des sentiments, qu'elles démontraient notre capacité à nous émouvoir, à nous émerveiller. Qu'elles ne devaient pas être étouffées au risque de gonfler, gonfler, gonfler, jusqu'à exploser en sanglots trop longtemps contenus.
Je fais quelques pas maladroits dans le couloir, sur la vieille moquette fleurie qui mène aux sept chambres de l'étage.
Il y en a trois sur la droite. Celle de ma grand-mère, qu'elle partageait autrefois avec mon grand-père ; celle de mes parents ; et celle d'Armand et de sa femme. Au bout de ce corridor, une fenêtre circulaire apporte une faible aura de luminosité. Il est presque dix-huit heures et, en cette saison, la nuit est déjà tombée. Seul un rayon de lune perce encore à travers la rosace qui donne sur le jardin, conférant aux lieux une atmosphère lugubre. Ma main actionne l'interrupteur et l'étage est brusquement illuminé d'une lueur jaunâtre.
Sur la gauche de l'étage, il y a quatre chambres. Celle de Clément, qu'il partage maintenant avec sa femme, Marie. Celle de Capucine et... de Miles. Celle de Bastien, le fils de Clément, et de Benjamin, le frère de Capucine qui vient de prendre ses dix-sept ans. Et, enfin, la mienne. La dernière, au fond, à gauche.
Douce ironie du destin.
J'avance lentement. Le silence tangible m'accompagne. Je ne sais pas, je ne sais plus si j'ai envie de passer la porte de cette ancienne chambre où j'ai tant de souvenirs. Je me revois encore, gamine, courir dans ce couloir pour trouver une cachette. La meilleure qui soit.
Il ne faut pas que Clément et Alice me trouvent !
Ma grand-mère sortait de la salle de bains. Elle avait souri et avait posé un doigt sur ses lèvres. J'avais mimé un baiser pour la remercier avant de filer et d'aller me planquer sous mon lit. Il n'avait pas fallu cinq minutes à mes deux aînés pour me trouver. J'avais boudé pendant des heures après cette partie de jeu. J'esquisse un vague sourire à cette pensée.
La porte de ma chambre, en bois de chêne comme se plaisait à le préciser mamie, est à présent face à moi. Je prends une profonde inspiration et je lève la main pour actionner la poignée. Mais ma main reste en suspens et mes doigts se referment sur le vide.
— Gégé ?
Ce bruit de pas feutrés juste derrière moi, suivi de ce surnom, fait battre mon cœur un peu plus vite. Gégé. Personne ne m'appelle plus ainsi. Personne ne l'utilise depuis des années à part...
Je me retourne vivement et je ne peux m'empêcher de pousser une exclamation de surprise face au grand échalas dégingandé qui me fait face. Un sourire s'étale sur les lèvres fines de cet adolescent au faciès ravagé par l'acné.
Merde. Il a vachement grandi. Il me dépasse carrément de deux têtes maintenant.
La dernière fois que je l'ai vu, il avait douze ans.
— Salut, la vieille. Ça fait un sacré bail, hein ?
Mon cœur se gonfle d'affection face à ce garçon roux, les mains dans les poches, qui m'adresse ce constat avec une nonchalance amusée. Dans les yeux de Benjamin, d'un bleu froid similaire à celui de son père, brille une lueur qui me souffle : C'est pas grave, Gégé. Moi, je suis content que tu sois là. Ma gorge se serre et je cligne des yeux pour refouler les larmes qui s'agglutinent sous mes paupières. Il ricane.
— Tu vas pas chialer quand même ?
— Bien sûr que non, idiot ! je réplique en le frappant gentiment à l'épaule.
Il mime un sursaut de douleur et j'ose un petit rire. Je l'ai toujours adoré, ce gamin.
— Comment tu vas ?
— Pas trop mal, comme tu peux le voir.
Il désigne la porte de ma chambre d'un signe de tête. Un rictus en coin se dessine sur ses lèvres gercées par le froid.
— Tu comptes rester plantée là longtemps, ou tu vas finir par entrer ? Tant qu'à faire, je peux t’apporter un sandwich, histoire que tu t’installes pour de bon.
Benjamin.
C'était encore un gamin quand je suis partie. C'est presque un adulte aujourd'hui.
— Allez Gégé, cette porte va pas te manger.
Il me dépasse et actionne la poignée de ma chambre à ma place.
La porte s'ouvre sur une partie de mon passé.
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mima77
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