Natia Kowalski Et que tombe la neige... Chapitre 6 : Géraldine ❄️

Chapitre 6 : Géraldine ❄️

Maison familiale des Truffaut.

— Entrez donc vous réchauffer !


L'enthousiasme de ma mère pour donner le change m'étonnera toujours. Pour le commun des mortels, le sourire de ma mère est avenant, engageant, accueillant, mais je la connais par cœur et sais lire les micro-expressions de son visage. Un tic agite son sourcil droit tandis qu'elle me passe au crible. Elle doit sûrement penser que mes cheveux bruns – qu'elle préfère coiffés en un chignon lâche – ne devraient pas retomber en boucles souples sur mes épaules. Mon manteau, d'un rouge bordeaux, est certainement trop voyant à son goût. Quant à mon sac à dos, déchiré par endroits, où je transporte l'intégralité de mes affaires, il la met hors d'elle.


Elle fronce le nez en me voyant entrer et me tend sa joue. J'y dépose un baiser rapide et elle se retire presque aussitôt. Je tente de garder un air neutre, sans émotion, bien que mon cœur menace de se faire la malle.


Bienvenue à la maison, Géraldine.


— Stéphane, ta fille est là !


Ta fille.

Comme si je n'étais pas la sienne.


Ma mère a toujours oscillé entre un contrôle permanent sur ma vie et une distance émotionnelle qu'elle peine à franchir avec moi. Nos personnalités, diamétralement opposées, nous poussent à essayer de nous entendre sans jamais y parvenir. Il y a longtemps que j'ai fait le deuil de cette relation, bien que la voir si complice avec Clément, ou qu'elle ait pu l'être avec Alice avant sa mort, me blesse plus que je ne le voudrais. Ma gorge se serre alors que j'enlève mon sac à dos et mon manteau.


— Attends, ne dépose pas ça là, me dit-elle en saisissant mon sac du bout des doigts pour le ranger dans le placard de l'entrée. Tu reviendras le chercher tout à l'heure, Géraldine.


Elle le place dans le fond, là où il fait sombre, à l'endroit même où ses yeux ne se poseront pas. Puis elle s'empare de mon manteau et de celui de Miles et les suspend soigneusement sur des cintres, qu'elle accroche à la tringle. Je la regarde faire sans bouger un cil, pensant qu'elle n'a pas changé en toutes ces années. Mon regard croise celui de Miles. Dans ses yeux, je perçois une lueur de compassion à laquelle je m'accroche un instant.


Finalement, ce trajet en voiture était court...


Le pas lourd de mon père résonne dans l'entrée, et je le vois sortir du salon, où il devait attendre mon arrivée. Je l'imagine dans son fauteuil, ses pantoufles aux pieds, un grog au miel à la main, contemplant la neige tomber par la fenêtre donnant sur le jardin. Lorsque ma grand-mère était encore là, ils discutaient pendant des heures. De tout, de rien. Des patients de papa. Des fleurs de mamie. Du temps qui passe. De la vie qui continue. Mais jamais de la mort. C'était une règle tacite depuis le décès d'Alice.


On ne parle pas des morts.

Est-ce qu'il respecte encore cette règle depuis que mamie est partie aussi ?


— Géraldine, ma chérie !


Sa voix grave et l'immense sourire qu'il me dédie en me voyant font fondre toutes mes appréhensions.


— Papa !


Je me jette dans ses bras, déjà grands ouverts. En le lâchant, je remarque les ridules qui apparaissent aux coins de ses yeux et des larmes d'émotion qui brillent dans ses prunelles bleues. Mon cœur se serre en pensant qu'il vient tout juste de perdre sa mère. Ma main se pose doucement sur son visage, caressant sa joue en silence. Je lui murmure mes condoléances.


— Allez, allez ! fait-il, d'un air débonnaire, en me tapotant l'épaule. Trêve d'effusions, tout le monde nous attend dans le salon.


Sous son regard aimant, je redeviens la petite fille qui l'idolâtrait tant. Il soignait toutes mes douleurs imaginaires, faisait disparaître mes doutes d'enfant. Armé de son stéthoscope et de la valisette qu'il trimballait partout dans le village en tant que médecin de la commune, il faisait semblant de m'ausculter pour me rassurer. Il me prenait toujours au sérieux, sans jamais me faire sentir que j'étais une enfant.


Mon père, ce héros.


Je le suis, rassénérée par ses mots, mais je reviens vite à la réalité. Je tente de me reprendre, mais mes mains tremblent, et je n'ai pas de poches pour les cacher. Faute de mieux, je les croise devant moi et ose enfin relever la tête pour détailler les membres de l'assemblée.


Ils sont presque tous là.

Il ne manque que Fabienne, ma tante, et ses deux enfants, Capucine et Benjamin.


Mon père s'installe sur son vieux fauteuil. Il me couve de son regard bleu. Je rive mes prunelles aux siennes pour ne pas flancher. Juste derrière lui, les mains posées sur le dossier, se tient Clément, mon frère. Il m'adresse un bref signe de tête en guise de bienvenue. Je ne saurais dire si son attitude me déçoit par son manque de chaleur ou si je suis soulagée qu'il ne me snobe pas. Je ne sais pas exactement à quoi je m'attendais, en réalité.


Aurait-il préféré que je ne vienne pas ?


Il lui manque une partie de ses cheveux depuis la dernière fois que je l'ai vu, et des cernes s'étalent sous ses yeux, du même bleu myosotis que ceux de notre père. Notre contact visuel ne dure que quelques secondes avant qu'il ne le rompe.


Près de lui, Marie, son épouse. Petite, rousse, avec de grands yeux ronds et verts, des taches de rousseur en constellation sur ses joues, elle forme un petit bonjour silencieux du bout des lèvres à mon intention. Mon frère s'est marié avec Marie deux ans avant mon départ, et nous avions eu le temps de faire connaissance. Je ne dirais pas que nous sommes amies, mais peut-être pourrai-je voir en elle une alliée durant les quelques jours que je vais passer ici.


Dans ses jupes, un petit garçon m'observe avec curiosité. Bastien, leur fils, avait à peine un an lorsque je suis partie. Aujourd'hui, à six ans, c'est un petit bonhomme roux aux joues rondes et aux grands yeux bleus, qui n'a aucune idée de qui je suis.


Ok, Géraldine, tu peux gérer tout ça.


La froideur de maman. L'absence de mamie. Les questions indiscrètes du gamin. Les reproches silencieux de Clément. La morgue de l'oncle Armand.


En parlant de lui, je m'étonne qu'il n'ait pas encore pris la parole pour asseoir son autorité. Le connaissant, ça ne devrait plus tarder. Mon rythme cardiaque s'accélère. Mon cœur bat si fort dans ma poitrine que je suis surprise que personne ne puisse l'entendre. Derrière moi, je sens Miles se rapprocher, comme s'il se préparait à affronter une nouvelle crise de panique de ma part. Ce soutien silencieux et inattendu, à quelques centimètres de moi, me donne la force de relever le menton et de planter mon regard dans celui de mon oncle.


Allez, vas-y tonton, balance tout ce que t'as.


Debout près de la cheminée, il me considère de la tête aux pieds avec un mépris non dissimulé.

— Le retour de l'enfant prodigue !

— Laisse-lui donc le temps d'arriver avant d'ouvrir les hostilités, Armand !


Le dos droit, raide comme la justice dans sa robe à pois noirs, ma mère fusille mon oncle du regard.


Eh bien, si je m'attendais à ce qu'elle prenne ma défense...

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45

45 commentaires

Mapetiteplume

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Il y a 3 jours

Et bien c est rayonnant d'amour e' tout cas hez heureux cela donne envue de passer dire bonjour... Mais que tous les 10ans🤣

Leroux Ophélie

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Il y a 5 jours

Vu que la famille est presque au complet, je comprend l'idée de les passer en revue et de mettre des détails les concernant, je trouve juste qu'il y a peut-être trop d'informations d'un coup, dont certaines ne sont pas forcément utile à cet instant. J'aime beaucoup le personnage du père qui est à l'opposé de la mère, et donc qui contrebalance. J'ai été un peu surprise qu'on repasse déjà au point de vue de Géraldine.

Natia Kowalski

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Il y a 5 jours

Oui, j'ai peut-être un peu chargé mes informations, j'avais peur que ce soit léger mais j'aurais dû être plus progressive. J'allégerai à la réécriture 😊 Pour le point de vue de Géraldine, il est majoritaire dans l'histoire et on alterne parfois avec Miles (point de vue secondaire) et les autres (un peu moins récurrents) 😉 La difficulté du roman choral et les difficultés d'ajuster le rythme de la narration...

Sarael

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Il y a 8 jours

Son papa 🤍 il est super attachant. L'oncle et le frère par contre je sens que je vais les détester 😱

Natia Kowalski

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Il y a 8 jours

Le papa est adorable, oui 🤍 Le frère a ses raisons, l'oncle est... particulier 😇

Emilie Hamler

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Il y a 9 jours

J'adore ce chapitre de retrouvailles. Parce qu'on voit parfaitement les différentes dynamiques entre les personnages et on se met à la place de Géraldine, ça doit vraiment être difficile

Natia Kowalski

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Il y a 9 jours

Merci beaucoup ! C'était compliqué pour présenter tout le monde sans perdre le lecteur, je suis ravie si c'est fluide dans la construction et le ressenti 💖

mima77

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Il y a 12 jours

Pas simple ce genre de retrouvailles !

Natia Kowalski

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Il y a 12 jours

Vraiment pas, non !

Ama Ves

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Il y a 12 jours

Le contraste entre sa relation avec sa mère et celle avec son père est bien amené. Ça fait chaud au cœur de savoir qu’au moins lui il est heureux de l’avoir après avoir vu la réaction de sa mère et du reste de sa famille.
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