Fyctia
Chapitre 5 : Miles ✨
Centre-ville d'Yvoire - Café "Chez Louise"
Je l’ai reconnue dès que je l’ai vue. Elle m’attendait sur le parking de l’aéroport de Genève, transie de froid. Elle faisait les cent pas. J’ai pris quelques minutes pour l’observer avant qu’elle ne me remarque, juste pour être certain que je ne divaguais pas. Mais c’était bien elle. Plus je la dévisageais, et plus j'avais de nouveau dix-sept ans, les cheveux longs et des Doc Martens aux pieds.
J’aurais dû me douter que mon dévouement pour la famille Truffaut finirait par me jouer des tours. J’aurais finalement dû attendre le retour de la baroudeuse – celle dont on m’avait tant parlé – au coin du feu, un plaid sur les genoux et un chocolat chaud entre les mains. Mais non, il a fallu que je fasse du zèle.
Maintenant, elle est là, devant moi, avec une tasse de cappuccino entre les mains, encore tremblante après sa crise de panique. Elle garde la tête baissée, enfermée dans ses pensées. Je ne prétendrai pas les deviner. Mais j’ai ma petite idée.
Je connais le drame qui a secoué la famille Truffaut il y a une dizaine d’années. Tout le village en a entendu parler. Ajoutez à cela des années d’absence et le décès de sa grand-mère… L’enterrement qui approche doit raviver de vieilles blessures.
— Merci pour le cappuccino, murmure-t-elle faiblement.
— Je te l’ai dit. Dix minutes de plus ou de moins après cinq ans d’absence, ça ne fait aucune différence.
Géraldine relève ses yeux bruns en amande vers moi, fronce légèrement les sourcils, mordille sa lèvre inférieure. Ses boucles brunes dansent autour de son visage rond. Elle cherche ses mots. Et moi… je me surprends à fixer sa bouche un peu trop longtemps. Il y a ce grain de beauté juste au-dessus de sa lèvre. Je l’avais déjà remarqué, la première fois.
— Je ne pourrai pas repousser éternellement les retrouvailles, n’est-ce pas ?
— Ce ne sont pas les monstres que tu imagines.
Elle laisse échapper un rire sans joie.
— Sans doute.
Elle coupe court à la discussion, tourne la tête et contemple les lieux avec curiosité.
Chez Louise, le plus vieux café du coin. Un bistrot au charme atypique et rustique, entre murs de pierre et poutres en bois, où le froid hivernal se heurte à la chaleur d’une ambiance d’antan. À cette période de l’année, un sapin trône à l’entrée, et les guirlandes colorées ajoutent une touche chaleureuse à l'établissement.
— Je venais tout le temps ici quand j’étais ado. Je m’installais…
Elle hésite, puis désigne une table au fond de la salle.
— Là-bas. Pour voir sans être vue. C’était mon point stratégique. Je dessinais, à l’époque. Ensuite, j’ai troqué le carnet de croquis pour un appareil photo. J’ai pris des dizaines de clichés, toujours avec l’accord de la propriétaire.
— Nanette. L'égérie de ce village.
Elle dodeline de la tête et plisse les yeux.
— C’est drôle que je ne t’aie jamais vu avant.
Drôle ? Ce n'est pas le terme que j'aurais employé.
Mais je vais éviter de lui balancer : Tu te souviens de ce type devant le bureau du proviseur, en décembre 2010 ? L’air renfrogné, veste en cuir, Doc Martens élimées ? Non ? Pourtant, on a discuté. Un peu. Des connards du lycée. De l'avenir. De nos parents. Tu venais de balancer ton poing dans la figure d'un type à cause d'une injustice. C'est pour ça que tu étais convoquée. Moi ? Je faisais trop de conneries, mon père me rapatriait à Paris. La neige tombait dehors et tu pleurais. Je savais pas trop quoi faire face à tes larmes, alors je t'ai tendu un mouchoir. Tu l'as saisi. Tu m'as souri. On n'a pas eu le temps de se présenter.
Elle me prendrait pour un dingue.
— On a dû se croiser, j'imagine...
Je botte en touche, évidemment. Elle prend une gorgée de son cappuccino sans cesser de me fixer. Lorsqu’elle repose sa tasse, une fine trace de lait est dessinée sur sa lèvre supérieure. Elle ne s’en rend pas compte. Moi, si. Mes yeux s'y attardent, sans que je le veuille vraiment. Surprenant mon regard, elle fronce les sourcils.
— J’ai quelque chose sur le visage ?
— Juste ici, dis-je en désignant ma propre lèvre.
Ses joues rosissent brusquement, et je me surprends à trouver cela charmant. D’un geste rapide, elle s'essuie avec la manche de son pull et repousse sa tasse.
— On ferait bien d’y aller, estime-t-elle en consultant sa montre.
— Prête ?
— Il faut bien, non ?
Elle enfile son manteau, soulève ses boucles brunes et se tourne vers moi.
— Si je ne débarque pas dans la demi-heure qui suit, ma mère va commencer à me harceler de messages et d’appels, et je n’ai pas envie…
Géraldine n’a pas le temps de terminer sa phrase que son téléphone sonne. Sans même décrocher, elle éteint la sonnerie de son portable et le range dans sa poche.
Elle marmonne entre ses dents :
— Tu vois ? Qu’est-ce que je disais ? Elle est insupportable !
— Si tu ne lui réponds pas, c’est moi qu’elle risque d'appeler.
Et je ne crois pas si bien dire…
— Miles ? Où êtes-vous, bon sang ?
Yvoire - Maison familiale des Truffaut
Nous y voilà.
Après cinq minutes de trajet dans le silence le plus total, j'entends Géraldine prendre une profonde inspiration avant de s'avancer sur le sentier de graviers recouvert de neige qui mène à la maison familiale des Truffaut. Comme ses voisines, la façade est en pierres brutes, ce qui lui confère immédiatement une atmosphère glaciale qui ne fait que se renforcer à chaque pas. Les circonstances n'améliorent pas cette impression.
Toutefois, les lumières clignotantes accrochées par Olivia, la mère de Géraldine, et la couronne de houx sur la porte d'entrée rappellent ce moment particulier de l'année. Nous sommes bientôt à Noël, et je sais que la famille met un point d'honneur à se réunir malgré l'absence de sa matriarche. Claudine adorait les fêtes de fin d'année. L'odeur de son pain d'épice embaume toujours mes narines et je l'entends encore chantonner en sortant la dinde du four. Aujourd'hui, la maison est bien silencieuse sans sa présence réconfortante.
Géraldine me devance de quelques pas. Elle avance lentement, un pas après l'autre, comme si elle repoussait l'échéance. Mais la porte s'ouvre brutalement avant qu'elle n'atteigne le seuil. Olivia se tient dans l'encadrement. Grande, brune, énergique, elle nous considère tour à tour, les bras croisés. Lorsque je parviens à la hauteur de Géraldine, je peux percevoir toute la tension qui émane de son corps.
— Vous êtes en retard, les enfants !
— Il y avait de la circulation, prétexté-je avec un sourire d'excuse.
Olivia se tourne vers moi et acquiesce sans faire de commentaires. Je la connais suffisamment pour savoir qu'elle risque de s'en servir plus tard contre moi, mais je décide de ne pas m'en préoccuper. Toute son attention est maintenant concentrée sur Géraldine, qu’elle évalue sous tous les aspects : physique, comportemental et vestimentaire, avant d'esquisser un sourire avenant.
— Entrez donc vous réchauffer !
39 commentaires
Mapetiteplume
-
Il y a 3 jours
Natia Kowalski
-
Il y a 3 jours
Leroux Ophélie
-
Il y a 5 jours
Natia Kowalski
-
Il y a 5 jours
Sarael
-
Il y a 8 jours
Natia Kowalski
-
Il y a 8 jours
Emilie Hamler
-
Il y a 9 jours
Natia Kowalski
-
Il y a 9 jours
mima77
-
Il y a 12 jours
Natia Kowalski
-
Il y a 12 jours