Natia Kowalski Et que tombe la neige... Chapitre 4 : Géraldine ❄️

Chapitre 4 : Géraldine ❄️

Départementale D25


— Je préfère quand vous souriez.


Le timbre de sa voix s'atténue doucement. Un long frisson remonte ma colonne vertébrale alors que je détourne le regard pour retrouver une contenance. Cette atmosphère d'intimité soudaine entre nous et ses yeux qui plongent dans les miens sont... Ok, Géraldine, ne t'emballe pas. Ce n'est pas le moment de fantasmer sur ce mec. Il est casé, maqué jusqu'aux couilles, sûrement bientôt fiancé. Avec ta cousine, au cas où tu l'aurais oublié.


— Merci... Donc, Capucine et vous, ça fait trois ans, c'est ça ?


Autant mettre les pieds dans le plat une bonne fois pour toutes. S'il y a bien une chose dont je ne suis pas capable, c'est faire preuve de subtilité. À en juger par son regard surpris, j'ai tapé dans le mille. Si monsieur pensait pouvoir flirter tranquillement, il va être déçu du voyage. Il n'est pas question que je me laisse embobiner par des sourires enjôleurs et des compliments sirupeux. Pour autant, Miles ne perd pas son sourire. Les yeux rivés sur la départementale que nous venons d'emprunter pour rejoindre Yvoire, il acquiesce.


— Trois ans, en effet.

— C'est du sérieux ! Si ma tante Fabienne vous a invité à partager les fêtes de Noël en famille, vous êtes foutu ! Elle pense déjà à vous marier dans l'année !


Miles ne répond pas, mais je constate que sa mâchoire s'est légèrement crispée à la mention d'un éventuel mariage avec ma cousine. Aurais-je touché un point sensible ? Est-il contre cette idée ou l'a-t-il déjà envisagée ? Hormis ce muscle qui tressaute spasmodiquement sur sa mâchoire, je ne décèle aucune réaction à ma remarque. Pire, il se contente de m'ignorer. Les joues rosissantes, je tente de détourner le fil de la conversation sur une voie plus sécurisante.


— Vous êtes de la région ?

— J'ai grandi à Yvoire. Mais je suis remonté à Paris à mes dix-sept ans pour vivre avec mon père et suivre des études de marketing, explique-t-il en me jetant un regard en coin. Je suis revenu au village il y a quatre ans et j'ai ouvert mon restaurant dans le centre-ville. C'est comme ça que j'ai connu Capucine. Elle a travaillé pour moi pendant six mois avant de trouver un poste de réceptionniste à l'Hôtel-Restaurant du Port.


En l'écoutant, je ne peux m'empêcher de me demander si nous nous sommes déjà rencontrés. S'il vient d'Yvoire, un village qui ne compte pas plus de mille habitants, il est peu probable, étant de la même tranche d'âge, que nous ne nous soyons jamais croisés. Nous étions peut-être dans le même collège... ou fréquentions le même groupe d'amis... Réfléchis, Géraldine, son visage... Mais je n'ai pas le temps de me poser plus de questions sur mon chauffeur d'un jour que la réalité me frappe durement.


Alors que les doigts de Miles tapotent nerveusement le volant, révélant une tension sous-jacente malgré son calme apparent, je discerne le panneau qui annonce notre entrée dans le village de mon enfance.


Bienvenue à Yvoire !



Yvoire

Le front appuyé contre la vitre, je retrace le fil de mes souvenirs.


Lorsque je suis partie, que j'ai fui Yvoire et tout ce que ce village impliquait, nous étions au printemps. Yvoire venait de sortir de sa chrysalide. Je me souviens encore de l'odeur fleuri des glycines et des géraniums qui débordaient des jardinières sur les maisonnettes en pierres. J'entends le chant matinal des pinsons cachés dans les bosquets suivi de celui des merles noirs et des rouges-gorges. Un concerto improvisé que je me plaisais à écouter lorsque j'allais au collège, puis au lycée.


Parfois, je partais plus tôt pour flâner près du port et des bateaux de plaisance, et sourire à l'accent franc des pêcheurs qui dissertaient sur l'art d'alpaguer la perche ou la féra. L'air embaumait l'iode et le poisson. Le car scolaire partait à sept heures cinquante-cinq précises et je me hâtais de rejoindre la Grande Rue du centre-ville à temps pour ne pas le louper. Comme il n'y avait pas de collège à Yvoire, le bus nous emmenait à Margencel, situé à dix kilomètres à l'est.


Et ma vie, paisible, s'écoulait sur les rives du lac Léman...


Mais à l'orée de mes quinze ans, soudainement, mon univers tout entier s'est effondré. Le bruit de mes pas sur les dalles pavées, autrefois léger, est tout à coup devenu lourd, pesant, écrasant. Les façades de pierres, les remparts, se sont parées d'ombres menaçantes.


Alice était morte.

Et en disparaissant, elle nous emportait tous avec elle. Papa, Clément, maman. Aucun de nous n’était prêt à affronter sa mort. Aucun de nous ne savait comment survivre après elle. Et moi, j'étouffais mes sentiments, je les noyais sous le prisme de ceux des autres. Cachée derrière l'objectif de mon nouveau modèle, un Canon EOS 20D, je reflétais les joies, les peines, les colères pour camoufler les miennes.


Je continuais à faire vivre sa passion pour la photographie. Je bataillais avec mes silences. Je capturais une larme, un rire, un moment. Figé dans le temps. C'était plus facile que d'exprimer la profondeur du gouffre dans lequel je menaçais moi-même de tomber à chaque instant. Et puis, c'était ma manière de la retenir un peu plus longtemps.


Treize ans, Alice.

Treize ans de peurs, de doutes, de cris silencieux.

Cinq ans à poursuivre tes chimères.

Cinq ans à voir ton monde à l'envers.

Cinq ans à vivre à travers toi.


Et maintenant ? Maintenant, ce monde m'appartient. C'est mon rêve, Alice, plus le tien. Qu'est-ce que tu dirais, toi qui vivais tout avec l'insouciance de l'adolescence éternelle ? Qu'est-ce que tu ferais ? Est-ce que tu reviendrais en arrière ou est-ce que tu continuerais d'avancer sans te retourner ? C'est sans doute une question à laquelle je ne répondrais jamais.


Plus que deux cents mètres avant d'atteindre notre destination. Nous arrivons. La maison de mamie n'est plus qu'à deux rues... Deux rues...

— Arrête-toi !

— Pardon ?! Mais on ne peut pas...


Ma respiration se bloque dans ma poitrine. Un voile noir recouvre mes rétines. Les mains agrippées à la poignée de la portière, je peine à reprendre mon souffle. J'entends vaguement Miles s'inquiéter de mon brusque accès de panique, mais je ne suis pas en mesure de lui faire une dissertation sur le sujet. Je suis en apnée. Je dois juste... respirer.


La voiture crisse sur les pavés avant de se stopper et je ne perds pas une seule seconde pour en sortir. Je fais quelques pas tremblants sur le trottoir, tente de me calmer avec la méthode Coué, mais je ne parviens pas à étouffer ce que je ressens. Le monde autour de moi semble se réduire, se refermer sur moi, et je termine à genoux sur le trottoir. Une main se pose sur mon épaule et, lorsque je relève les yeux, à travers mes cils je croise le regard troublé de Miles.


— Tout va bien ?

— Impeccable ! Ce n'est pas évident ?

— Heureusement, ton sens de la répartie est toujours intact.


Il m'adresse un petit sourire sarcastique et mon coeur loupe un battement.

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55

55 commentaires

Sarael

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Il y a 8 jours

Elle continue à vivre d'une certaine manière pour sa sœur.. c'est touchant. Yvoire a l'air très agréable à vivre à première vue !

Natia Kowalski

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Il y a 8 jours

Je n'y suis jamais allée (j'ai été en Haute Savoie mais pas dans ce coin) mais de ce que j'ai vu (je me renseigne énormément) je me prévois un séjour en décembre prochain... 🤣😍

Justine_De_Beaussier

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Il y a 9 jours

Alice ? Sa sœur ? Beaucoup de mystère et une prota très attachante ☺️

Natia Kowalski

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Il y a 9 jours

Sa soeur, oui ☺️ Merci 💖

Mapetiteplume

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Il y a 11 jours

Et bien dit donc tout ceci est intrigant. Voulu ou pas le fait de ne pas developer sur qui est alice. Si c est voulu pour frustrer bien joué

Natia Kowalski

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Il y a 11 jours

C'est voulu, oui. Tu en sauras plus par la suite car Géraldine ne sait pas tout 🤫

Mapetiteplume

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Il y a 11 jours

👍C est le sentiment qu'on a toujours envie de poursuivre donc sa fonctionne 👍

Natia Kowalski

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Il y a 11 jours

Parfait 🥰

Ama Ves

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Il y a 12 jours

Un mystère très émouvant autour d’Alice, on comprend tres bien que sa mort a déclencher quelque chose de profond chez Géraldine. Par contre, les dernières phrases avec Miles me paraissent un peu incohérentes avec une crise de panique surtout si elle est essoufflée et qu’elle cherche à se calmer.

Natia Kowalski

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Il y a 12 jours

Merci 🥰 C'est fort possible que je retravaille le côté essoufflé et essayant de retrouver une respiration correcte à la réécriture 😉
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