Fyctia
Chapitre 1 (2)
Son après-midi se déroula exactement comme elle l'avait prédit. Personne ne vint ne serait-ce que lui commander une vulgaire portion de frite. Ce qui n’était pas pour lui déplaire. Le moins elle devait s’abaisser à ce genre de tâches, le mieux elle se portait.
Sa lecture ne fut dérangée que quelques heures plus tard. Un grand garçon apparût devant elle. Colin, son collègue. Elle évitait toujours de discuter avec lui. Il devait la trouver détestable. Mais elle ne pouvait pas - ne pouvait plus - se lier aux humains. C'était toujours une très mauvaise idée. Elle en savait quelque chose, elle en avait fait l'expérience plus de vingt fois.
Il fallait un certain temps à Ambre avant qu’elle n’apprenne de ses erreurs.
— Ça s'est bien passé ?
C’était le genre de type dont l’attitude pouvait être comparée à celle d'un chien. Il était enthousiaste, souriant et donnait l’impression qu’il était prêt à s’arracher un bras si ça pouvait rendre service à quelqu’un.
— Oui. À demain.
Elle avait envie de lui raconter l'incident du jour. De lui parler de ses lectures et de l’ennui de son existence. Peut-être même pourrait-elle le convaincre d’ériger un autel en son honneur ?
Non, ça, ça ne fonctionnait jamais.
Et elle n'était pas vraiment seule, elle avait toujours Aubrey.
Bref. Elle était libre de rentrer chez elle. Une fois dehors, L'air glacial de la ville la transperça. C'était quand même insupportable. Elle était immortelle ! Elle pouvait tomber d'un gratte-ciel, se faire renverser par un camion - merde, elle pouvait même se faire tirer dessus à bout portant !
Alors pourquoi fallût-il qu’elle ressente le froid et la chaleur, qu’elle puisse avoir faim et sommeil - elle ne savait pas qui était le crétin de Mortel qui l'avait imaginée comme ça, mais si elle pouvait mettre la main sur lui, oh, il regretterait amèrement ses pensées.
Dommage qu’il soit mort depuis longtemps.
Grands gestes agacés pour resserrer sa veste. Envie subite de trouver et d'étrangler le dieu du froid. Malheureusement un projet qui équivalait à un allé simple pour se faire botter les fesses.
Elle pénétra dans la bouche du métro. Ça aussi, c'était insupportable. Elle pouvait voler, jadis !
En fait, elle pouvait faire pratiquement tout ce qu'elle voulait. C'était l'avantage d'être la "Déesse des Arts Magiques". Ça laissait une certaine marge à l’interprétation.
Serrée entre des Mortels à l'odeur douteuse, Ambre soupirait encore et encore. Les arrêts se succédaient. Elle suivait des yeux le lent chemin lumineux qui indiquait où ils se trouvaient dans la ville. Elle n’avait pas eu d’autre choix que d’habiter dans la banlieue. Travail merdique, piaule merdique.
Finalement, sa destination. Elle sortit en poussant sans ménagement les imbéciles qui lui barraient la route. Elle enviait les dieux capable de fendre une foule d'un regard.
Elle, elle était plutôt du genre à devoir sprinter dès qu’elle se trouvait dans une situation épineuse.
L’air libre et le froid. Cinq-cents mètres avant d'atteindre son appartement.
Il se trouvait au premier étage d'une maison qui, jadis, avait été fastueuse. Ambre pouvait le déduire parce que ladite maison était actuellement découpée en six appartements. Six ! Et le sien, en tout cas, était loin d'être exiguë.
Certes, il était délabré et probablement abiotique à cause de la peinture (la propriétaire avait vaguement parlé d’Amienthe ou quelque chose du genre) mais il était spacieux. Et il avait un côté suranné qui plaisait à Ambre précisément parce que c'était le mot qu’elle préférait employer pour se décrire. Surannée. Il y avait aussi...Aubrey.
Mais bon.
La maison se découpa subitement à l'horizon. Dans la lumière rouge du couchant, c'était une vision terrible. Du lierre mort courait le long de la façade rugueuse. L'appartement au-dessus du sien était condamné. Des planches de bois à la place des fenêtres. Une de ses voisines, une dame d'un certain âge qui fumait en permanence, était appuyée sur la rambarde de son balcon.
Ambre leva la main en passant. En guise de réponse, sa voisine lui jeta son mégot.
Ok, pensa Ambre. C'était peut-être une nouvelle mode. Il faudrait qu’elle la note dans son carnet. Elle poussa la porte principale. Elle n'était jamais verrouillée. À quoi bon ? Qui serait assez idiot pour essayer de cambrioler la maison la plus miteuse de la ville ?
Le couloir. Sombre et puant : savant mélange de renfermé et de moisi. Le plancher grinça sous ses pas. Mélodie lugubre qui correspondait parfaitement à ses sentiments.
Son appartement était le dernier, au fond. Elle inséra la clé dans la serrure et déverrouilla le loquet. La porte répondit au parquet par un long gémissement.
Et, enfin, son appartement. La lumière grésilla. Quel enfer. Peut-être devrait-elle demander de l'aide ? Peut-être devrait-elle essayer de.. se faire adopter ?
Affaire à suivre.
Elle accrocha avec soin sa veste au crochet.
Dans le salon, Aubrey était allongé par terre. Manifestation physique d'un désespoir plus profond que les abysses.
Le dix-huitième siècle avait été difficile pour lui aussi. Sauf qu'il en était mort. Pourquoi avait-il décidé de s'attarder en version fantôme, Ambre ne le comprendrait jamais. Il regardait le plafond d'un œil morne. Peut-être était-il en train de rejouer son décès ? Elle n’en savait rien.
Tout ce qu'elle savait, c'était qu'elle s'était pointée dans cet appartement deux ans plus tôt et qu'il avait aussitôt essayé de la traumatiser histoire de la faire déguerpir. Mauvais calcul de sa part, Ambre était intimement acoquinée avec le concept de traumatisme.
Il avait été très surpris que son petit manège ne fonctionne pas.
— Salut Aubrey, déclara-t-elle joyeusement avant de se laisser tomber contre son fauteuil.
Il couina.
Aubrey, lui, se contenta de lever un bras.
C'était le problème des fantômes. Ils n'étaient pas fun. En fait, quand il s'agissait d'être agréable, il n'y avait personne. Par contre, quand il fallait hanter et terroriser des jeunes femmes innocentes ? Oh, alors là, il y avait du monde.
La plupart des créatures avaient leur défauts, bien sûr. Par exemple, les vampires. Elle les avait fréquentés pendant quelques temps. Ils avaient ça de pratique qu'ils étaient immortels, eux aussi. Et elle s'était dit qu'elle pourrait se faire des amis qui, contrairement aux autres dieux, ne la mépriseraient pas elle et son absence de Pouvoir.
Grossière erreur. Il s'était avéré que les vampires étaient eux aussi mortels. Dès qu'ils en avaient marre de leur vie solitaire et nocturne, ils sortaient au soleil et...et en un instant, il ne restait plus rien d'eux que des cendres. Ambre ne savait pas si elle enviait cette échappatoire ou si celle-ci l'effrayait.
Il y avait aussi toutes ces histoires de pieux. Et de décapitation.
Enfin bref, elle avait tiré une croix sur les vampires.
Et c'était sympa, les fantômes. Aubrey n'était pas fun mais… c'était quand même de la compagnie. Et Ambre ne pouvait pas faire la fine bouche.
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Arzhéla
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Nicolas Bonin
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Il y a 3 ans