Fyctia
Chapitre 1 (3)
Lumière rasante dans le salon. Ombres diagonales projetées sur les murs. Silence complet. L’horloge qu’Ambre avait accrochée au mur était cassée depuis toujours. Elle ne l’avait ramassée que pour son côté esthétique : elle s’était dit qu’avoir un tel objet dans son salon lui donnerait un air important. Enfin bref, ses tic-tacs s’étaient arrêtés avant qu’Ambre ne la récupère dans une décharge.
Aubrey était toujours allongé sur le sol.
— Tu… ne vas pas me demander comment s'est passée ma journée ?
Ambre essayait de ne pas être gênante. Elle comprenait tout à fait le concept : cet appartement était l'appartement d'Aubrey, il était mort dedans, il y était sentimentalement très attaché. Elle se comportait donc en colocataire exemplaire. Mais lui, à part geindre et attendre dans des endroits divers dans des positions tout aussi diverses, il ne faisait pas grand-chose.
Ambre avait donc décidé que ses tentatives pour faire la conversation leur étaient bénéfiques à tous les deux.
Aubrey se redressa vaguement. Contrairement aux idées des Mortels, les fantômes n'étaient pas transparents. Maintenant qu'elle y pensait, ils ne traînaient pas non plus de boulet à leurs chevilles. Et ils n’étaient pas exclusivement constitués d’un drap. En fait, ils ressemblaient à ce qu'ils avaient été vivants à ceci près qu'ils gardaient les séquelles de leur mort.
Ambre était reconnaissante qu'Aubrey ne se soit pas fait happer par l'hélice d'un paquebot. Quoiqu'il aurait été difficile pour lui de hanter un appartement ensuite. Bref. Aubrey était tout ce qu'il y avait de plus banal excepté qu'il était blanc comme un linge et qu'il avait des marques violacées au niveau du cou. Des marques qui, selon la lumière, portaient une singulière ressemblance avec des mains.
Elle n'avait jamais osé poser la question.
— Comment s'est passée ta journée, Ambre ?
Phrase prononcée avec réticence. Il se laissa ensuite retomber contre le sol.
— Mal, grommela-t-elle.
À son grand regret, il ne lui demanda pas d'élaborer. Elle lâcha le centième soupir de la journée et farfouilla dans son sac pour en produire son livre. Elle n'avait évidemment pas les moyens d'avoir un poste télévisuel.
Elle avait possédé une radio, à un moment, mais celle-ci avait été cassée par Aubrey alors qu'il essayait encore de lui faire peur.
C'était d’ailleurs l'incident qui lui avait fait révéler au fantôme qu'elle le voyait très bien et qu'il n'y avait rien d'effrayant dans un type qui s'amuse à casser des objets et à écrire des messages menaçants sur les vitres. Sa vexation avait été terrible.
Ils sortaient les deux perdants de cette péripétie. Ambre était sûre qu’ils auraient tous les deux tiré avantage de la radio. Dans tous les cas, même dans son propre appartement, elle ne pouvait se distraire qu'avec des livres. Ce qui, au bout d'un moment, devenait lassant.
Elle lut la première phrase. Puis la relut. Peine perdue.
— Est-ce que tu penses que je pourrais me faire adopter ?
C'était une occasion comme une autre pour aborder le sujet.
— Pardonne-moi ?
Le problème d'Aubrey, c'était qu'il était mort à la fin du dix-huitième siècle. Il n'était donc pas à la page. Ambre essayait désespérément de lui donner des notions mais il n'était que très peu intéressé par tout ce qui ne concernait pas sa propre souffrance.
— Est-ce que j'ai l'air assez jeune pour que quelqu'un, préférablement quelqu'un de fortuné, ait envie de m'adopter?
Il se passa alors quelque chose de tout à fait incongru. Aubrey se redressa, la regarda avec des yeux rond et éclata de rire. En deux ans, Ambre ne l'avait jamais entendu rire. Il paraissait presque vivant.
Elle hocha plusieurs fois de la tête. Clairement, il ne prenait pas son idée au sérieux :
— Merci pour ton opinion.
Il riait toujours :
— Oh, Ambre. Tu es aussi prisonnière que moi.
Et il éclata de rire à nouveau.
Ça aussi, c'était nouveau. Il ne s'était jamais plaint d'être coincé. Ambre s'était toujours dit, bêtement peut-être, qu'il restait dans cet appartement parce qu'il tenait à revivre encore et encore le jour de son assassinat. Il lui apparût soudainement qu'elle avait peut-être tout compris de travers.
— Qu'est-ce que tu entends par là ?
— Qu'il n'y a pas d'espoir pour les gens comme nous, reprit-il en s'essuyant les yeux.
Comment était-il capable de pleurer de rire alors qu'il était… mort depuis plus de deux-cent ans ? C'était une question qu'Ambre ne revisiterait jamais. Il était des mystères qu'il valait mieux ne pas toucher.
— Pas d'espoir pour moi ou pour toi ? demanda-t-elle avec curiosité.
Parce que sa situation, si elle n'était pas idéale, n'était pas désespérée non plus. Il ne fallait pas exagérer.
— Pour nous.
Sa mine sombre avait remplacé son hilarité. À pas lent, il se dirigea vers le canapé qui faisait face au fauteuil d'Ambre. Puis, il s'y laissa vaguement tomber. Il posa sa tête sur le coussin et entreprit de fixer le plafond. Comportement typique et représentatif d'un mardi soir standard.
— Je suis vraiment désolée Aubrey, mais Numéro 1, je ne suis pas coincée. Si j'ai envie de voir si l'herbe est plus verte ailleurs, je n'ai qu'à y aller. Numéro 2, tu es coincé ici ?
Il ne répondit pas. Mais oh, Ambre n'allait pas lâcher l'hameçon. C'était précisément le genre de chose qu'elle voulait entendre. Le genre de choses qui changeaient un destin. Du moins pendant quelques semaines. S'il était réellement coincé, alors elle pouvait essayer de l'aider. C'était mieux que lire, c'était mieux que faire griller de la viande hachée, c'était mieux que tout ce qui lui était arrivé depuis des lustres.
Elle s'assit donc précipitamment à côté de lui.
— Aubrey, commença-t-elle la voix grave.
Elle lui prit la main. Son contact lui fit l'effet d’une décharge électrique. Spasme comique. Il se tourna vers elle, effaré.
— Tu peux me toucher ?
— Euh, oui ? répondit-elle platement.
Elle en avait marre de lui répéter tous les quart d’heure qu’elle était une déesse et qu’elle faisait ce qu’elle voulait. S'il n'avait pas encore compris ça, c'était qu'il était un sacré cas désespéré.
Il lui serra brièvement la main. Comme s'il n’arrivait pas à croire qu’une telle chose puisse être possible. Ambre commençait à comprendre son manège:
— Est-ce que - est-ce que tu veux un câlin Aubrey ?
— Je n'ai pour toi que du mépris, marmonna-t-il en retirant brusquement sa main.
Ambre retint son rire par égard. On ne se moquait pas des défunts, c’était de mauvais goût.
— Je suis sérieuse, Aubrey, tu es coincé dans cet appartement ?
— Parce que tu as l’impression que j'y passe mes journées par loisir ?
Son agacement faisait passer en second plan son attitude guindée et ça, Ambre y était plus habituée. Contrairement à son incrédulité.
— Donc tu voudrais que… ça change ?
Il secoua de la tête. Par dépit. Ambre le voyait très bien. Oh, elle allait se charger de ce cas. Elle ne savait pas encore comment, mais elle en faisait son affaire.
C'était parfait.
3 commentaires
Kathleenm
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Il y a 2 ans
Lexa Reverse
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Il y a 2 ans
8tsukiyo_
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Il y a 3 ans