Fyctia
4.4 Jonathan
— Mais c'est quoi ce bordel ! s'écrie-t-il.
— Ce bordel, c'est mon chien.
— Ton chien ? Depuis quand ? Non mais sérieux mec, on dirait le clebs de Men In Black, il fait flipper.
— Sois pas méchant avec mon p'tit carlin s'il te plaît !
Je ne vois pas exactement ce qu'il se passe puisque Frank est aux pieds de Noah derrière le plan de travail, mais j'entends les grognements de la boule de poil et le claquement de ses ongles sur le parquet. Merde, j'avais pas pensé à ça, il va me massacrer le sol, c'est certain. Après tout, on s'en fiche, tant qu'il me tient compagnie …
— Dis-lui de me lâcher ou je lui envoie un coup de pied dans la tronche !
Cette situation est tellement drôle ! Je me lève de la chaise et fais le tour pour récupérer Frank. Celui-ci est en train de férocement aboyer sur mon meilleur pote. Noah, lui, tient en équilibre sur une jambe, l'autre en protection devant la gueule baveuse de Frank.
— Allez, viens mon chien, écarte-toi de ce grand méchant.
— Non mais j'hallucine ! J'ai l'impression d'être dans Inception là.
— T'exagères pas un peu ?
Noah donne l'impression de se détendre lorsqu'il me voit avec l'animal dans les bras.
— Oui, j'avoue, un peu ...
— La propriétaire m'a dit qu'il avait tendance à se montrer hargneux avec les inconnus. Comme je lui ai donné un os à ronger, il est resté tranquille jusque-là, mais je crois que le bruit du robinet l'a perturbé. Sûrement de vieux traumas.
Voilà que Noah se tord de rire, une main plaquée contre son ventre, l'autre contre le marbre. J'aperçois son pendentif, celui qu'il porte en souvenir de sa mère, sortir du t-shirt que je lui ai prêté pour dormir. L'habit lui moule tellement, qu'on dirait qu'il va l'exploser. C'est comme s'il avait ingurgité un gaz hilarant, il s'esclaffe sans marquer de pause. Même Frank est choqué, ses yeux globuleux roulent comme des billes et expriment une certaine inquiétude.
— Mon pote, tu m'as fait ma journée, sérieux ! dit-il, à deux doigts de repartir en éclats de rire.
— Tant mieux si ça te rend joyeux, parce que moi je me suis déjà attaché à cette petite bête. Il va falloir que tu t'y habitues ...
— Mais qu'est-ce qui t'a pris ? Tu t'es levé ce matin en te disant "tiens, si j'achetais un clebs !"
— Non, je me suis réveillé en sursaut après un affreux cauchemar, que tu n'as pas voulu écouter, et j'ai décidé d'établir une liste de choses à faire pour casser cette routine de merde dans laquelle je me suis installé depuis que Johanna m'a largué ... Enfin, depuis qu'elle m'a ghosté, c'est plus juste.
— OK, mais pourquoi un chien ? Je croyais que tu trouvais ça trop contraignant ... Je veux dire, y'a d'autres moyens de "casser la routine".
Il accompagne ses mots en dessinant des guillemets avec ses doigts. Je renchéris :
— T'as totalement raison ! Le chien c'est d'une part pour ne plus être seul quand je rentre chez moi, plus de femme dans ma vie ne signifie pas "aucune présence à mes côtés" ...
— Et d'autre part ?
— Ah oui. Et d'autre part, c'est pour ... comment dire ... prendre ma revanche sur Johanna. Même si elle n'est plus là, et que je ne sais pas où elle est d'ailleurs, je veux lui prouver, ou me prouver, que je suis capable de m'infliger cette contrainte. En gros, elle voulait un chien, je n'en voulais pas, bah maintenant qu'elle n'est plus là, j'en veux un, tant pis pour elle, elle ne m'aura pas laissé le temps de changer d'avis.
Noah secoue la tête et pose sa main enflée sur son front. Ou plutôt sur ses frisettes. Bon, soit, mes raisons sont un peu déjantées, mais quand même, pourquoi réagit-il comme ça ? Je repose Frank au sol, je vais chercher un biscuit dans le placard du fond et lui donne. Lui, se secoue, bouge la queue et part en trombe se cacher derrière le renfoncement à côté du meuble TV. J'ai l'impression qu'il a déjà trouvé son endroit destiné à la mastication.
— Explique, mon pote ! Tu trouves ça vraiment débile ?
— Non, c'est pas débile, répond-il avec une légère extinction de voix. C'est juste que tu t'ajoutes une contrainte pour pas grand chose. OK, tu dis que c'est pour prouver je ne sais quoi, mais elle ne reviendra pas mon pote, fais-toi à l'idée.
— Qu'est-ce t'en sais qu'elle reviendra pas ?
— Je le sais, c'est tout !
— Ah, tu sais quelque chose que j'ignore peut-être ...
Tout en restant statique, il fait une moue du style "j'hésite à te le dire", puis il baisse la tête. Il reste ainsi quelques secondes avant de me fixer et de prendre la parole.
— Ecoute, je voulais pas aborder le sujet parce que t'étais vraiment dans le mal, mais faut que jte le dise ...
Mon portable vibre dans ma poche. Il vibre parce que je ne le mets jamais en sonnerie. Je ne sais pas vraiment pourquoi. J'imagine que s'il était en sonnerie, je me sentirais obligé de répondre à tous les coups. Et parfois, même s'il s'agit d'une personne que j'aime bien, j'ai juste pas envie de parler. Avec le vibreur, j'ai ce pouvoir de décider si oui ou non, je reporte la conversation à plus tard.
Là, lorsque je regarde mon écran, je me rends à l'évidence, c'est une conversation que je ne vais pas pouvoir remettre à plus tard. Le boss. Je me racle la gorge avant de décrocher.
— Oui Maël ?
— John, t'es avec Noah ?
— Euh non, je pense qu'il est chez lui ...
— Et toi, t'es déjà en route pour venir ?
Eh merde !
C'est certain, il y a des gens qui ont assurément un sixième sens. Ils sentent quand on veut leur mettre à l'envers. Maël en fait partie.
Je vois que Noah s'agrippe au plan de travail, ses yeux sont emplis d'angoisse, comme si sa vie était en péril. Et je crois bien qu'il en est de même pour moi.
— Euh ...
— Non parce qu'on a un gros bug informatique au bureau, le central est mort et j'ignore combien de temps ça va prendre pour résoudre le problème.
Je tente un bluff, digne de Daniel Negreanu, star du poker. Entre Frank et le Poker, j'en suis presque à enfiler des lunettes noires.
— Ah mince ! On aurait pu venir avec nos ordis portable sinon ...
— Très bonne idée !
Eh merde !
— Sauf que j'ai eu les techniciens et on a aussi un gros problème sur notre CRM de call, ça risque de prendre la journée, donc en gros, inutile de venir aujourd'hui. Si t'as des relances clients à faire, fais-les, mais sinon te prends pas la tête ... Et si t'arrives à avoir Noah, fais passer le message, je dois appeler tous les autres.
— OK je lui dirai ... Ah ! C'est chiant ! J'étais chaud pour tout défoncer aujourd'hui !
— T'inquiète pas, demain vous vous pointez à 7h00 tapante, vous rattraperez le retard.
— Ah ouais mais ...
Il a déjà raccroché. Il perd pas le nord une seconde lui.
Noah, au bord du malaise, attend que je lui fasse un compte rendu détaillé. Je ne sais pas d'où me viennent toutes ces conneries parfois, mais je décide de faire mariner mon meilleur pote avant de lui annoncer la bonne nouvelle.
— Je suis tellement désolé mon pote ...
Je prend la mine la plus déboussolée possible, avant d'ajouter :
— Il m'a dit de venir tôt demain matin, mais toi ... t'es viré !
57 commentaires
Aurélie Benattar
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Il y a 2 ans
Jessie Moon auteure
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Il y a 2 ans
Caroline-Noëlle
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Emma Chapon
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Jay H.
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Emma Chapon
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Jay H.
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Maryline PIAUD
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Il y a 2 ans