Jay H. Et Dieu créa l'amour 4.3 Jonathan

4.3 Jonathan

De retour chez moi, j'entends une voisine hurler, ça ne ressemble pas à la voix de Madame Carbonnier. Lorsque la vieille aigrie pique une crise contre son mari, c'est beaucoup plus violent. Là, ça rimait plus avec un appel de détresse. Je patiente près d'une minute et n'entends plus rien. Soit ce n'était pas si grave, soit elle est déjà morte. Dans les deux cas, je ne serai d'aucune utilité. Je franchis donc le seuil, chargé comme un bœuf, je prête attention à ne pas claquer la porte, puis dépose tout ce que j'ai dans les bras aux endroits appropriés.


Noah se lève dix minutes plus tard, en calbut, la tête dans le cul. Je suis assis sur l'une des chaises hautes autour du plan de travail et me demande comment ça va se passer maintenant. Lui, va uriner aux toilettes, ne se lave pas les mains en sortant, se dirige vers mon superbe frigo à l'américaine pour prendre du jus d'orange. Je crois qu'il est périmé, mais je laisse faire, le spectacle est marrant. Pourtant face à moi, on dirait qu'il ne m'a même pas vu. Il fouille dans l'un des tiroirs, pose une boîte de doliprane sur le plateau en marbre noir, bougonne un truc du genre "non, trop dur à avaler", puis finit par engloutir un Advil Caps.


Après avoir terminé son jus d'orange, il se gratte le torse, relève le menton, puis me fixe.


— Tu m'as rendu fou ce matin, dit-il, la voix complètement pétée.

— Ouais, mais t'es au courant qu'on est lundi ? Faut aller bosser.


Il souffle, me faisant de nouveau inhaler ce parfum buccal si rafraîchissant. J'en fais même un mouvement de recul et manque de tomber de la chaise.


— Tu peux pas appeler le boss pour lui dire qu'on sera pas là aujourd'hui ?

— Et après c'est moi le flemmard !


Voilà qu'il feint une grosse migraine, les mains sur le front, et qu'il ajoute de petits bruits dignes du jeu d'acteur le plus pitoyable que je n'ai jamais vu. On dirait qu'il invente une excuse, comme si j'étais l'une de ses conquêtes à qui il n'ose pas dire qu'il ne souhaite pas aller plus loin.


Je suis en train de me demander si, finalement, ce n'est pas une bonne idée de faire le boulot buissonnier, juste pour aujourd'hui. Ça me permettrait de cocher des missions sur ma liste, bien plus simples à réaliser que celles que je dois accomplir dans les locaux de A.M. RENTAL.


— OK, on va pas au taf aujourd'hui ...

— Oh mon pote ! Sérieux ? Je suis trop content !

— Premièrement, je note que ta migraine est vite passée. Deuxièmement, c'est toi qui appelles Maël, pas moi.

— Premièrement, je note que tu as repris du poil de la bête, peut-être un peu trop d'ailleurs. Deuxièmement, t'es fou, si j'appelle Maël, il va m'envoyer bouler, c'est certain ! Il a peut-être notre âge, mais ça reste un patron avant tout. Un salarié en moins, c'est du manque à gagner. Deux salariés en moins, c'est ce qu'il définit comme "inenvisageable" !

— OK, on se la joue à l'ancienne dans ce cas.

— Une partie de tennis en un set, le perdant l'appelle ?

— On a vraiment le temps de faire une partie de tennis là ?

— Non ...

— Alors réfléchis, j'ai dit "à l'ancienne" !


Noah pose ses deux mains sur le plan de travail et fixe ma tasse à café comme si la réponse se trouvait à l'intérieur.


— Non, pas ça mon pote quand même ! rétorque-t-il, un brin d'inquiétude dans la voix.

— Si si, exactement ça !

— Tu profites de ma position de faiblesse, vicelard …


Je hoche la tête pour acquiescer. Oui, j'avoue, j'ai laissé la morale au placard sur ce coup-là, mais je n'ai aucune envie d'appeler Monsieur Maël Silva, et surtout, je n'ai aucune envie d'imaginer un scénario saugrenu auquel, de toute façon, il ne croira pas. La dernière fois que j'ai tenté cette technique avec lui, c'était lorsque j'ai appris que Johanna venait de me ghoster. C'était tellement humiliant que je n'ai pas envisagé un seul instant lui dire la vérité ...

Chopper un virus très rare, voisin du Covid, m'a semblé pertinent sur le coup.

Menacer de me virer si je ne revenais pas au bureau le lendemain, c'est ce qui a semblé pertinent à Maël pour le coup.


Après être allé chercher un paquet de cartes dans l'un des tiroirs de la table basse, j'ai claqué le tas devant Noah.


— Vas-y, à toi l'honneur.

— Franchement, t'es le mec le plus altruiste que je connaisse, répond-il, un rictus au coin des lèvres.


Ah, le retour du rapace sarcastique ! La manche va être serrée !


Noah tire la première carte, c'est un valet de carreau. Je plaque ma main contre le marbre froid et ferme les yeux en priant pour que sa force soit diminuée par les effets de l'alcool encore présent dans le sang.


Ahhhhhh sa race ! Le mec est un lion, même après une cuite.


C'est à mon tour, je pioche un As de cœur.

Mais bien sûr ! J'avais trois chances sur quatre de lui faire mal, coup de poing ou pincement, peu importe. Non, il a fallu que j'attrape ce foutu cœur, synonyme d'une légère caresse.


— Oh ! Tu me fais presque de l'effet, me dit-il en affichant un sourire narquois.


J'avoue être très mauvais perdant et j'ai limite envie de lui fouetter la face pour effacer son air arrogant, mais je me contenterai de rester focus sur le jeu.


Les cartes s'enchaînent, les coups s'accumulent de part et d'autre, nos mains sont boursouflées, elles saignent. On était cons dans nos années lycée quand même ! On l'est toujours d'ailleurs, la preuve !


Je suis à deux doigts de jeter l'éponge, mais mon esprit de compétiteur prend le dessus. La dernière fois que j'ai joué au foot en salle, je me souviens que mon cerveau n'était plus du tout irrigué, mais j'ai quand même poursuivi l'effort. Ce qui m'a valu un petit malaise vagal à la fin du match. Je me donne à deux cents pour cent, même quand l'espoir de victoire est quasi nul. C'est comme ça pour tout. Le sport, les jeux, le boulot. Absolument tout, sauf l'amour. Pour cette folie qu'on appelle l'amour, j'ai définitivement jeté l'éponge. Et même s'il se présentait comme une évidence devant moi, je n'en voudrais plus ...


— C'est bon mon pote, dit Noah, larmoyant. T'as gagné !


Je jubile, mais pas trop, il est coriace le coquin. Bordel, une trentaine de cartes pour venir à bout du molosse (sans jeu de mots).


— T'entends pas ce bruit depuis tout à l'heure ? me demande-t-il.

— Quel bruit ?

— OK, j'ai compris, tu te venges d'hier soir.

— Non pas du tout, je n'entends rien, c'est tout.


Bien évidemment que je me venge pour l'histoire de l'éclair. Bon ça va, c'est gentillet !


Noah se rince la main à l'eau froide en grimaçant. Je m'apprête à lui dire de ne pas se défiler et d'appeler immédiatement le boss, au moment où il sursaute en poussant un cri de fillette. Visiblement, c'est le moment de faire les présentations.


— Mon pote, je te présente Frank.

Tu as aimé ce chapitre ?

47

47 commentaires

Kalehu

-

Il y a 2 ans

Mais qui est Frank ?

Aurélie Benattar

-

Il y a 2 ans

👍📚✨

Emma Chapon

-

Il y a 2 ans

Quel suspens sur la fin ! Qui est donc ce Frank ?! Ce chapitre était tellement drôle, j'ai adoré :D

Jay H.

-

Il y a 2 ans

Motus haha ! Merci beaucoup ! <3

Valentine M

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Il y a 2 ans

:)

Stella No.

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Il y a 2 ans

tu m'as bien fait rire, merci!

Jay H.

-

Il y a 2 ans

haha tant mieux ! Merci à toi de me suivre :)

Ana_K_Anderson

-

Il y a 2 ans

:)

Eva Boh

-

Il y a 2 ans

Tu es sérieux ? Tu nous laisses comme ça, en plan ? Ou j'ai oublié une référence à ce fameux Franck au fil des chapitres ? C'est quoi, un gros chien qui pue ?

Jay H.

-

Il y a 2 ans

Mais LOL !! La réponse arrive très vite, et non aucune ref dans les chapitres précédents ... Et toi t'es sérieuse ? Aucune annotation pour relever une coquille ?😂
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