Fyctia

Qu'est-ce donc cette diablerie !

Citer "Les Visiteurs", un moyen comme un autre de dédramatiser ce vilain rêve. Plus sérieusement, c'était quoi ce cauchemar de malade ? Hier soir, je prends la résolution de ne plus jamais laisser de quelconques sentiments infecter mon cœur fragile, et voilà comment je suis mis à l'épreuve. Un jour, il faudra qu'on m'explique comment fonctionne le subconscient au repos. Moi, je suis certain qu'il y a un peu de surnaturel là-dedans. Que des forces supérieures, ou plutôt des énergies malicieuses, vagabondent et attendent le moment propice pour s'introduire habilement dans notre esprit, dans le seul et unique but de semer la zizanie.

— C'était quoi ça ?

Noah a dormi avec moi, il a encore la tête enfoncée dans le coussin et les yeux à demi fermés. Comme d'habitude, même au réveil, ses frisettes sont parfaitement alignées sur son front. J'aimerais tellement qu'il en soit ainsi pour ma chevelure, malheureusement je suis obligé de me rendre chez le coiffeur tous les mois si je veux éviter le champ de bataille.

— J'ai fait un cauchemar de ouf. Bon, c'était un peu flou, mais en gros il y avait toutes mes ex ...

Voilà qu'il râle, me laissant gentiment humer son haleine putride. Ça me rappelle que lorsque je regardais des films (romantiques ou autres) avec Johanna, on se faisait la réflexion que c'était bel et bien de la fiction, car les couples se réveillent tranquillement, se parlent normalement à un centimètre l'un de l'autre, mais dans les faits, ils doivent franchement puer de la gueule.

Noah pivote et me fait dos. Et des fois que le message ne soit pas assez clair, il placarde une main contre son oreille en grommelant un truc incompréhensible.

C'est à ce point que je l'ai gonflé avec mes histoires ?

OK, attends, je me mets à sa place une seconde ... Oui, OK ... OK ... Oh bordel ! Ouais, j'avoue avoir envie de me mettre une petite gifle, au minimum une pichenette bien placée.

Aïe ! Une bonne claque, ça réveille ! Allez, une deuxième pour la route ! Aïe ! On se bouge Jo !

Je me lance dans une intense réflexion sur le pourquoi, le comment, et je tente de trouver une solution adéquate. Un exutoire. Me connaissant, je peux rapidement partir dans les extrêmes, donc des idées, oui, mais pas trop extravagantes.

Je ne peux pas me résoudre à rester coincer indéfiniment dans cette spirale infernale. Je cogite, je cogite, je cogite, ouf c'est compliqué ...

OK, je sais ! Je vais commencer par dresser une liste exhaustive des choses à faire pour parer les offensives de ces parasites qui logent à longueur de temps sur les parois caverneuses de ma boîte crânienne. Il me faut des trucs bien originaux, pas tordus, plutôt du genre insolite. Plus c'est cocasse et plus j'aurai de chances de ne pas me laisser submerger par ces foutues pensées, intempestives et nocives.

Voyons, en premier lieu, je vends ma voiture. Pour aller au boulot, ça me demandera des trajets en métro, des changements de stations. Et je mets mon réveil assez tard pour que ce soit la course tous les matins. J'aurai pas l'temps de gamberger. Ouais, ça c'est bien !

Ensuite, pendant mes jours de libre, je m'atèle à des activités que je n'ai jamais pris le temps de faire à Paris. Il y a tellement de choses à découvrir ici et pourtant, je me cantonne au même horrible train-train depuis des années. Assez paradoxal pour un type qui déteste la monotonie.

Ah, un peu moins original, mais si je faisais un peu de bricolage dans l'appart, ça serait top. Il n'y a pas forcément besoin d'un rafraîchissement, mais il y a quelques objets à réparer, quelques étagères à poser. Je suis loin d'être un grand bricoleur, mais justement ça occupera mon cerveau.

Je trouve que pour commencer, c'est très déjà très bien ! Je complèterai la liste au fur et à mesure ... Oh ! Je viens d'avoir une idée lumineuse ! Oui, ça, ça briserait complètement mes habitudes ... Je prends mon téléphone, un coup d'oeil sur Leboncoin, la recherche, les filtres, je défile, je défile ... oui celui-ci, parfait ! J'envoie un message à "LexyDuBois" ... Les trois petits points ne se font pas trop attendre. Elle me répond dans les cinq minutes qui suivent. On échange quelques messages, "prené soin, j'y tien baucoup" (ça pique les yeux), "ne vous en faites pas, j'en prendrai soin", et blablabla ... on se donne rendez-vous !

— Hé mon pote !

Aucune réponse. Je récidive.

— Allô mon pote !

— Ta gueule !

C'est de bonne guerre.

— C'est juste pour te dire que je sors ... je reviens dans moins d'une heure.

Noah lève mollement le bras droit et point son pouce vers le haut. Je traduis : "OK, super, maintenant casse-toi et laisse-moi dormir !"

Ça marche ! J'me casse. Je m'estime heureux, il aurait pu pointer un autre doigt vers le haut.

Si je me dépêche, je peux être de retour avant que Noah ne se lève. Enfin ... c'est sans compter sur le trafic parisien, parce que bon, c'est à l'autre bout de Panam. J'ai souvent tendance à sous-évaluer la puissance du grand n'importe quoi de la circulation dans notre belle capitale, notamment sur le périph.

Je regarde rapidement sur Waze, top, vingt-trois minutes pour aller dans le 17ème. Avec un peu de chance, il n'y aura pas trente minutes qui se rajoutent en plein trajet. Ça m'était arrivé une fois, une quarantaine de minutes en plus, alors que je devais rejoindre Voldemort. Je ne me souviens plus pourquoi je devais la voir ce jour-là d'ailleurs. Je me rappelle simplement son état de furie. Très franchement, avec le recul, j'aurais même apprécié la faire attendre une bonne heure supplémentaire, voire une bonne journée, voire à vie !

Allez, j'me bouge, un café bien serré que j'emporte aux toilettes, sans oublier mon paquet de clopes. C'est le rituel le plus sacré avant d'entamer une journée. Les trois C.

Dès que j'en sors, direction le brossage de dents, puis le salon. Je réfléchis une seconde ... si je retourne dans la chambre pour prendre des vêtements, je vais me faire insulter. Je vois mes fringues de la veille proprement mises en boule sur le canapé, ça me va.

Une fois prêt, je sors de chez moi en faisant attention de ne pas claquer la porte. Tout est très silencieux à cette heure-ci. On a l'impression que le monde nous appartient. Ou pas.

Ah, j'ai hâte d'observer la réaction de Noah face à cet achat compulsif !