Fyctia

J'angoisse quelque peu, parce que si cet humain haut comme six plumes, a été capable de percer mon secret à jour, d'autres le sont aussi … sûrement.

Depuis que nous sommes sorties de la boutique, je n'entends presque plus les voitures sur la route, ni même le vacarme de la population humaine. Je sens que le vent a changé de direction, il n'est plus face à moi, mais dans mon dos. Comme s'il me poussait dans une direction bien définie.

Je lève la tête vers le ciel, car je ne n'ai pas pris le temps de le faire depuis ma descente parmi les créatures de mon père. Seuls quelques nuages viennent se mélanger à la splendeur du bleu, ils semblent former un symbole que je ne parviens pas à décrypter correctement. Cela ressemble à deux visages côte à côte, seulement je crains que mes yeux de femme ne soient pas aussi efficaces que ma perception angélique.

Un homme blond aux épaules carrées arrête Léa, il a besoin d'aide. Elle, ne comprend pas, mais moi oui.

— Oh lâchez-moi ! dit-elle avec véhémence. Viens Angie, traîne pas ...

Je décide d'apporter mon soutien à ce pauvre homme perdu. Moi-même, je sais ce que c'est que d'être sans repère ici-bas.

— ты потерялся ?

— О, да ! Я ищу улицу Barrault в 13-м округе, me répond-t-il avec le sourire.

— Léa, comment se rendre rue Barrault dans le 13ème arrondissement je te prie ?

C'est la première fois que je vois mon guide se figer ainsi, bouche bée, et avoir du mal à articuler une phrase.

— Euh ... je ... connais pas cette rue, mais le plus simple pour aller dans le 13ème à partir d'ici, c'est de prendre le métro à Bastille tout droit au bout de l'avenue puis de se rendre Place d'Italie.

L'homme semble m'interroger du regard : "Qu'a-t-elle dit ?"

— Итак, вы садитесь на метро до Bastille и выходите на площади Italie Я думаю, что, оказавшись там, вы найдете кого-нибудь, кто укажет точную улицу.

— Большой ! Что ж, надеюсь, я не окажусь в Италии, dit-il en riant.

Cela me fait spontanément rire.

C'est fabuleux ! Depuis que j'ai découvert que j'étais capable de rire comme les humains, j'ai envie de m'amuser tout le temps, pour retrouver ce bien-être le plus souvent possible.

— Большое спасибо, мисс, пусть Бог хранит вас ! ajoute-t-il en s'en allant.

Eh bien, mon cher père est omniprésent sur Terre, et ce, dans toutes les langues !

Léa s'approche de moi au milieu de la foule d'humains qui ne regardent ni les autres, ni où ils vont.

— C'était quoi ça ?

— Comment ça "quoi ça" ?

— Bah, c'était du russe non ?

— Oui ...

— Et depuis quand tu parles russe ?

— Depuis toujours.

— Là, tu m'épates meuf !

Elle fait un pas supplémentaire vers moi et me regarde avec tendresse.

— Je m'aperçois que je ne sais pas grand chose de toi, finalement. J'étais tellement concentrée sur mes propres problèmes (et sur tes conneries aussi, je dois dire), que je ne t'ai même pas demandé comment tu t'étais retrouvée à être isolée du monde ...

— Oh, ça ne fait rien tu sais ! Je suis beaucoup mieux ici sur Te... enfin, je veux dire que je suis beaucoup mieux avec toi au milieu de la vraie civilisation.

— Mais ta famille, tes amis, ne te manquent pas ?

— Absolument pas !

— Ah carrément ! Mais tu vivais où exactement avant de venir à Paris ?

— C'est tellement éloigné d'ici que je suis certaine que tu ne connais pas le nom.

— Dis toujours …

Soudain, je suis sauvée par le bruit assourdissant d'un gros véhicule creusant des trous dans le sol à dix mètres de nous. S'ajoute à ça, les hurlements d'hommes portant des casques jaunes : "Oh Marco, plus à gauche !" ... "Ferme ta gueule, je sais ce que je fais !".

Ouf ! Quel soulagement ! Je peux dévier de la conversation, du moins pour l'instant …

Je ne pourrai pas éternellement esquiver ce genre de questions périlleuses.

— Je n'entends plus rien ! Et si on allait là où tu voulais m'emmener ?

Léa acquiesce, mais ne se réjouit pas forcément. Je suppose qu'elle aurait aimé avoir des explications un peu plus concrètes. Elle qui s'est tant livrée à moi. Malheureusement, je ne suis pas en capacité de les lui fournir.

Je demande pardon mon amie ! Si je pouvais, je te raconterais tout.

Mais je n'en ai pas le droit …

Après avoir marché à travers une floppée d'humains, nous avons pris le métro à Bastille, pour descendre à Franklin Roosevelt et sortir un arrêt plus loin à Alma Marceau. Léa est restée silencieuse pendant tout le trajet.

— Léa, quelle est cette merveille au loin sur notre droite ?

Elle me regarde d'une manière que je n'ai même plus besoin de décrire.

— Remarque, plus rien ne m'étonne avec toi ! ... C'est la Tour Eiffel, Angie.

Oh c'est donc ça, la fameuse tour dont j'avais entendu parler en tendant mes oreilles célestes !

Nous marchons maintenant le long d'un cours d'eau et je suis ravie parce que Léa s'est enfin adaptée à mon rythme. Je n'ai plus à devoir reprendre mon souffle constamment.

J'aperçois à gauche, un peu au-dessus de nous, une longue allée avec des arbres et je me remémore le Jardin d'Eden encore une fois. Je me demande alors pourquoi Père n'a pas donné le même éclat en bas qu'en haut aux éléments qu'il a créés. Faut-il que les âmes quittent leur enveloppe corporelle pour apprécier la nature et le reste ?

— Nous y sommes ! s'écrie-t-elle sèchement.

OK. On est loin d'une l'arche en bois de cyprès mesurant plus de 144 mètres de long, mais soit !

Plusieurs bateaux sont à l'arrêt, chacun avec deux étages. Dans l'un d'eux, des hommes, des femmes, sont déjà confortablement installés sur des morceaux de plastique orange ressemblant à des chaises. Encore avec cette couleur ! On dirait que Léa a décidé que ce serait la nuance de mon deuxième jour sur Terre.

A l'intérieur de la cellule vitrée, un homme à la pilosité excessive en-dessous du nez, a l'air d'être le régisseur des droits d'accès. Les humains lui échangent de petits ronds métalliques et des papiers chiffrés contre une permission de monter sur le bateaux.

C'est à notre tour, Léa s'approche de la paroi et parle distinctement.

— Il me faudrait un billet adulte et ...

Elle se retourne vers moi alors que j'attends sagement, les mains jointes.

— Mouais, deux billets adulte s'il vous plait.

— 30 euros Mademoiselle.

Léa tend alors trois bouts de papier rougeâtre et me fait signe de la suivre.

Au moment où nous posons les pieds sur le bateau, un courant électrique met en éveil tous mes sens. C'est différent de la décharge que j'ai ressenti au contact de l'ex de Léa. Cette fois-ci, il s'agit d'un pressentiment et non d'une certitude. Un peu comme si je savais au plus profond de mon être, qu'en cet instant précis, tout irait bien pour moi.

Nous montons à l'étage et allons nous assoir devant, profitant d'une magnifique vue sur le cours d'eau et sur la ville de Paris.

Après quelques minutes, le bateau démarre et les battements de mon cœur s'accélèrent. Je ressens que quelque chose est sur le point de se déclencher …

Quelque chose qui marquera probablement un tournant dans ma perception des sentiments humains. C'est ainsi que je le pressens.