Fyctia
3.3 Angie
Nous sommes toujours enlacées l'une contre l'autre.
— Que s'est-il passé hier ? Comment ai-je atterri sur ce rectangle, sans aucun vêtement, excepté cette ficelle qui me rentre dans les fesses ?
Son corps roule pour venir s'étaler à côté du mien. Léa fixe alors le plafond tout en tripotant son anneau métallique.
— Un lit, c'est le nom du rectangle dont tu parles … et à la fin de la soirée, tu nous as bien fait peur. T'étais tellement torchée que tu t'es évanouie pendant presque une minute. C'est Arnaud, mon ex, qui a sauté pour t'éviter de tomber.
Peu importe, ce n'est pas pour cela que mon ressenti à son égard va s'améliorer !
— Oh ! Vraiment ?
— Oui, il lui arrive de penser à autre chose qu'à sa gueule parfois !
— Et après ça, alors ?
— Après, nous sommes rentrées en Uber. Je t'ai aidée à monter les escaliers. Au passage, t'as vomi sur le palier de mes voisins, mais ça fait rien, ils font iech tous les résidents à se hurler dessus tout le temps, bien fait pour eux. Puis, je t'ai enlevé tes fringues (mes fringues) et je t'ai laissé mon lit, moi j'ai dormi sur le canapé. Voilà tout !
— Oh, tu es vraiment d'une bonté absolue ! Tu es portée par la grâce.
— Ouais, n'en fais pas trop non plus.
Pourquoi dit-elle ça ? Etrange. Mais bon, je ne vais pas lui demander de m'expliquer chacune de ses pensées non plus.
— Tu sais, je demande le pardon pour avoir régurgité sur ton "ex". Je n'ai rien contrôlé.
Elle se met à rire tellement fort que mon corps fait un bond sur le "lit".
— Premièrement, on dit "demander pardon", pas "demander LE pardon", et ensuite … tu es juste magique meuf ! Te voir dégueuler sur lui était l'un des moments les plus drôles de ma vie, j'te promets !
"Dégueuler", je note. Je suis ravie de savoir que Léa ne m'en veut pas pour hier soir.
— Léa, je dois te dire une dernière chose à propos de ton ex …
— Tu n'as rien besoin de dire le concernant, je sais déjà que c'est un gros naze.
— Mais tu dois savoir qu'il n'est pas sincère et que ses intentions envers toi sont mauvaises.
Elle pivote et place une main sous sa tête pour la soutenir. Cette fois-ci, elle hausse les deux sourcils.
— Qu'est-ce que tu veux dire précisément ?
— Je ne peux pas détailler ce que j'ai ressenti, mais lorsque je me suis penché pour accomplir le rituel des joues sonores …
Elle rit de manière éclair, puis me dit :
— On appelle ça "faire la bise". Il faut vraiment tout t'expliquer en fait ! Parfois je me demande si je ne suis pas dans un remake de Truman Show.
— OK, eh bien je lui ai "fait la bise" et il a posé sa main dans mon dos, j'ai alors senti qu'il te cachait la vérité à propos de quelque chose, je n'aurais su dire quoi. Mais ensuite, quand il a parlé du fait que tes amis ne voulaient plus te voir, mon corps a été électrifié, littéralement, et j'ai immédiatement su qu'il était insincère, pour ça, et pour autre chose qui m'est apparu comme un flash dans mon esprit … Lorsque vous viviez ensemble chez toi, une autre femme venait lui rendre visite dès que tu partais. Je ne connais pas le degré de gravité que cela implique dans les relations entre les hommes et les femmes, je sais simplement que tu n'étais pas au courant de ça.
Léa s'élance hors du lit telle une vague dans un océan déchaîné, et marche à coup de petit pas dans toute la chambre. Tête baissée, elle part dans tous les sens en marmonnant des mots à peine audibles. Ses mains tremblent et elle se met à hurler par séquence … "Quel connard !", quelques pas, "Je le savais !", quelques pas, "Mais quelle ordure !". Je suppute que ma révélation a été terrible pour elle. Si seulement je pouvais décrypter ses émotions en cet instant !
La voilà qui se fige, me fait face et pointe son index dans ma direction.
— Et tu sais, le pire dans cette histoire, me dit-elle avec une voix pleine de faiblesse, c'est que le mec était fauché lorsqu'on a emménagé ensemble … et ensuite, tout s'est emboîté à la perfection pour le Grand Seigneur. Maël a eu une idée brillante …
Elle s'arrête de parler, comprenant sûrement que je n'ai aucune idée de qui est Maël.
— Maël c'est l'autre mec qui était avec nous à la soirée. Celui qui t'a proposé de tirer sur le joint.
Je hoche la tête, j'avais effectivement entendu son nom, mais dans un moment où je n'étais plus très connectée. J'en profite pour enregistrer le nom de la tige brûlée … un "joint".
— Donc, quand Maël a voulu créer sa boîte, il ne voulait pas le faire seul. Il a presque supplié l'autre tête de con de s'associer avec lui. Depuis, les deux gagnent suffisamment d'argent pour pouvoir partir aux Seychelles quinze fois par an. Mais Monsieur Arnaud le Grand Seigneur, lui, a bien profité de l'opportunité qui s'offrait à lui. Sa contribution dans la boîte s'est limitée à faire un peu de pub et à compter les sous qui rentraient et qui sortaient. Ce demeuré n'a même jamais mis les pieds dans les locaux de l'entreprise. Quel con, j'te jure ! Et le pire du pire, c'est que Maël ne voyait pas qu'il se faisait manipuler au début. Quand il s'en est aperçu, c'était malheureusement trop tard pour faire machine arrière.
Du liquide lacrymal coule jusque dans le creux de ses joues pâles, faisant apparaître une couche de matière noire autour de ses yeux. Cela me rappelle l'histoire que nous racontait mon frère Gabriel à propos des nuages et de la pluie : "Chère fratrie, Père ne vous le dira pas, mais je sais de source sûre que lorsque le monde va mal, le Ciel pleure. Lorsque le monde va très mal, il s'assombrit davantage et gronde. À nous de remplir parfaitement notre rôle pour maintenir l'équilibre et la lumière."
J'en déduis que c'est peut-être la même chose pour Léa. Les choses vont mal, donc elle pleure.
Léa me tourne le dos, s'assoit sur le lit, les mains sur son visage, puis son corps s'effondre et ses pleurs se mélangent à un son un peu aigu. Cela ressemble à celui de la douleur physique, mais plus long et plus intense.
— Je le déteste, Angie ! Je le hais ! dit-elle avant de repartir dans des gémissements ininterrompus … Pourtant c'était il y a longtemps tout ça, je devrais réussir à tourner la page. Mais non, je m'entête à lui donner de l'importance !
Probablement devrais-je répéter l'étreinte précédente au vu des circonstances … La chaleur humaine m'a fait du bien, il n'y a pas de raison que cela ne lui en fasse pas à elle aussi. Je retire donc le tissu épais qui me recouvre et me presse d'aller coller ma tête contre la sienne, les bras autour de sa taille. Elle serre fortement mes mains avec les siennes pour les maintenir contre son ventre.
— Tu sais, depuis le décès de mes parents, je pensais que plus rien ne pourrait m'atteindre, que plus rien ne ferait jamais autant souffrir. Eh bien, je me suis plantée en beauté !
Elle marque une pause, inspire bruyamment par le nez et me dit :
— Angie …
— Oui ?
— D'abord, faut d'urgence que tu te brosses les dents. Ensuite … le câlin avec la couette entre nous, c'était une chose, mais là c'est un peu gênant.
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