Fyctia

— Voilà ! Là c'est mieux. En plus, je dois dire qu'il te va parfaitement !

Je tire sur les extrémités du t-shirt rose clair qui me tombe jusqu'en haut des cuisses, et comme pour le pull de Léa, il y a un personnage, cette fois-ci avec une inscription en plus. Un personnage sur un moyen de transport à deux roues qui vole au milieu de ce qui semble être la Lune. En-dessous il est écrit E.T.

— OK. Maintenant, regarde, elle est toute neuve, j'en ai toujours de rechange au cas où ... Tu mets le dentifrice sur les p'tits poils et tu frottes tes dents.

Elle accompagne ses paroles de gestes très éloquents.

— Oh, cette invention est géniale !

Léa me fixe une seconde et je constate que la matière noire qui encerclait ses voies lacrymales a aussi coulé sur ses joues. Elle se met à cligner des yeux à plusieurs reprises avant de secouer la tête.

— J'te jure ! souffle-t-elle. Au moins, j'ai pas le temps de déprimer avec toi.

Aïe ! Une grosse lancée vient percuter ma tempe gauche.

— Combien de temps met le "médicament" pour agir ? J'ai encore terriblement mal au crâne...

— Compte 40-45 minutes à peu près ... Moi je descends à la boulangerie pour nous chercher le p'tit dej. Il est déjà 7h20. Normalement, je devais aller bosser aujourd'hui, mais vu les circonstances, je pense que je vais prendre ma journée ... Voire ma semaine !

Elle a l'air d'hésiter. C'est étrange, car j'ai l'impression qu'elle me regarde sans réellement me voir, comme si elle était prise d'une grande réflexion et que la réponse se trouvait à travers mon corps.

— Ouais je vais faire ça ! conclut-elle. Je vais prendre ma semaine ... Bon, je reviens dans même pas dix ou quinze minutes.

J'entends la porte claquer. Je regarde alors cette fameuse "brosse à dents" et décide d'appliquer soigneusement les conseils de mon guide.

Une grande fraîcheur envahit ma gorge, ce qui est plaisant. Ce qui l'est moins, c'est cette gêne au niveau de ma langue et de mon palais.

Je sors de la salle d'eau et scrute autour de moi. Tout est trop silencieux, ce qui me rappelle ma vie de l'au-delà. J'éprouve soudain une certaine lassitude due à la temporalité sur Terre.

Mon ventre produit des bruits et je sais désormais qu'il s'agit de la faim. Léa a parlé de "ptit dej" et de "boulangerie". Il doit sûrement y avoir un rapport, car je suppose qu'elle ressent ce vide dans l'estomac elle aussi. D'ailleurs, je me demande bien si les humains sont tous réglés de la même manière ? Ont-ils tous faim au même moment ?

Je vois que la télévision est allumée, mais elle n'émet aucun son. Je vais tenter ...

Je m'assois sur le canapé, écarte un tissu épais qui ressemble à celui de la chambre, puis attrape l'objet rectangulaire grâce auquel Léa fait fonctionner l'appareil. J'appuie à tous les endroits et parviens à remettre le son. Une inscription attire mon œil plus que les autres sur l'objet rectangulaire. Il est écrit Netflix.

Après une poignée de secondes, plusieurs images apparaissent avec des appellations différentes. Logiquement, je dirais que les flèches et le "OK" servent à sélectionner ce qui nous intéresse. Je fais défiler à droite, en bas, puis une figure m'interpelle fortement. Je lis le nom en-dessous, il s'agit de … mon frère ?

Quelques minutes plus tard, Léa ouvre la porte.

— Je rêve ou t'étais en train de rire ? me demande Léa

C'est vrai ! Je ne m'en étais pas aperçue sur l'instant. C'est surprenant, j'ai plissé le nez, montré mes dents et émis ce son si particulier. J'ai même un peu de liquide lacrymal au coin des yeux. Finalement, j'en déduis que si je suis capable de rire, c'est que la vie là-haut n'est pas si captivante que ça. Puisque l'on rit quand quelque chose est amusant …

— Oui, je dois dire que cette manière de présenter mon fr... de présenter l'ange porteur de lumière est très "drôle".

Léa reste debout dans l'entrée, immobile. Elle détourne son regard sur la télévision.

— Et t'as réussi à mettre une série sur Netflix toute seule ! Bravo meuf !

Je n'arrive pas très bien à cerner si elle me félicite vraiment pour avoir accompli un exploit, ou si elle considère que c'était pourtant simple et que j'aurais dû y parvenir plus tôt.

Elle referme la porte, se dirige vers moi et agrippe l'objet rectangulaire pour éteindre la télévision. Puis elle agite un petit sac.

— Je nous ai pris des croissants et des pains au chocolat. Basique. Ils avaient plus grand chose de toute façon.

Léa s'assoit sur le canapé, je l'imite. Je remarque qu'elle a pris le temps de changer de vêtements avant de sortir de l'appartement.

— Ecoute Angie, j'ai eu mon patron et tout ce que j'ai pu négocier, c'est une journée de repos. Demain je dois reprendre, j'ai pas l'choix. Tu peux rester ici le temps que tu veux, je ne veux même pas que tu participes au loyer, j'm'en fous … la seule chose que j'aimerais savoir, c'est si tu seras capable de te débrouiller toute seule en mon absence ?

— Oui … je pense.

— Je réalise que je te parle comme à une enfant. Faut qu'j'arrête.

Léa marque un légère pause avant de reprendre.

— J'ai remarqué que t'avais pas de téléphone. Ni papier, ni argent, rien. Tu devais vraiment vivre bien isolée de la société ma pauvre ! … On va sortir t'acheter un téléphone, pour que je puisse te joindre et je te filerai des sous pour que tu ne sois pas dans le besoin.

Je l'écoute attentivement, en faisant mon possible pour comprendre tout ce qu'elle me raconte. Téléphone ? Papier ? Argent ? Sous ?

La seule réponse que je suis capable de lui fournir, c'est mon expression actuelle … des yeux de Hibou grand duc.

— Bref, mangeons ! conclut Léa.

Au moment où je mets le croissant de lune dans ma bouche, j'ai toujours ce goût de substance lavante qui est très prégnant. Je suppute que cela va passer en mangeant davantage, je l'engloutis donc rapidement, mais je ne rencontre aucune saveur particulière.

— Léa, est-il normal que j'ai encore le goût du "dentifrice" ?

Elle s'arrête de manger et me fixe avec ce regard lourd de sens qui signifie que j'ai fait quelque chose qui n'allait pas.

— Rassure-moi, tu t'es rincée la bouche après t'être brossé les dents ?

Mon expression de grand duc réapparaît. Léa marmonne, souffle et se frappe à plusieurs reprises l'arrière de la tête contre le canapé.

— Angie ! Le dentifrice, ça ne se mange pas ! Mon Dieu, je ne suis pas prête à être mère moi !

Oh non, ne mêle pas mon père à tout ça, je t'en prie !

Léa reprend là où elle en était et croque dans le "pain au chocolat", puis s'arrête soudainement lorsqu'elle entend le bruit émanant de mon corps.

— Mais c'est pas vrai ! crie-t-elle en se levant. Tu vas toutes me les faire, j'te jure !

— Je demande pardon. Je ne sais pas ce qui se passe, j'ai affreusement mal tout à coup.

— Moi je sais c'qui s'passe !

Léa m'attrape la main, comme souvent, et ajoute :

— Suis-moi, je t'accompagne aux toilettes et après on sort vite d'ici.