Fyctia

— Bonjour Léa … Mon crâne me fait terriblement souffrir.

— Hé oui ! C'est ce qu'on appelle une gueule de bois ma belle !

Je pense que désormais, Léa intègre très rapidement mon incompréhension.

— Quand tu bois trop d'alcool, ajoute-t-elle, c'est le résultat.

Alcool ? C'est quoi ça ?

— Mais je n'ai pris que des fruits …

Le rituel habituel du nez plissé commence. Je décide donc d'éclaircir ce point une bonne fois pour toutes.

— J'aimerais te demander quelque chose … Pourquoi fais-tu ça ? Quelle est la signification ?

Elle interrompt le rituel aussi net. Cette fois, c'est elle qui semble ne pas comprendre. Je précise donc ma pensée :

— Je veux dire … Pourquoi plisser le nez, montrer ses dents et émettre ce son étrange ?

— Je rêve ou t'es en train de me demander pourquoi je ris ?

Léa accompagne sa question d'un haussement de sourcil.

Une forte sensation de piqûre vient heurter mes tempes, je forme alors instinctivement de petits cercles avec mes doigts pour tenter de faire passer la douleur, puis je hoche la tête pour acquiescer.

— Je te promets … il va vraiment falloir que tu m'expliques d'où tu viens un de ces quatre !

Elle se passe une main dans les cheveux et se gratte le sommet du crâne, puis poursuit.

— En y réfléchissant, c'est vrai que t'as beaucoup de mal à sourire, donc rire ne doit pas faire partie de ton vocabulaire … OK. Hé bien, en général, on rit lorsque quelqu'un dit quelque chose de drôle, quelque chose d'amusant. Tu vois ?

Je repense un instant à mon arrivée sur Terre et à toute ces fois où des humains ont "ri" lorsque j'étais en train de parler.

— Mais ça signifie alors que la plupart du temps, ce que je dis est "drôle", amusant ?

— On va dire que depuis que je t'ai rencontrée, je ne me suis pas ennuyée une seconde. C'est vrai, tu dis des choses étranges, on dirait que tu viens d'un autre monde !

J'entends parfaitement les paroles de mon guide et je souhaiterais qu'elle m'enseigne les codes ici-bas. Comment aborder cela sans rien lui dévoiler ? …

— Je comprends ce que tu dis et c'est pour cette raison que je sollicite ton aide. Effectivement, je ne viens pas d'ici. Disons plutôt que je vis en-dehors de la civilisation humaine depuis longtemps et que j'ai été tenue à l'écart de toutes les règles conventionnelles qu'il existe. Pourrais-tu m'enseigner toutes ces règles ? Ne plus rire si ce que je dis te parait étrange, mais plutôt m'instruire ?

— Ma pauvre ! Mais quelle genre de vie t'as eu toi ! … Oui je veux bien t'aider ...

Elle marque une pause et ses yeux pétillants me fixent avec profondeur.

— Mais je veux que tu me rendes un service en échange.

— Entendu. Que veux-tu que je fasse ?

— Attends …

Elle se lève, me tourne le dos et sort de la pièce.

Je me redresse un peu et observe autour de moi. Je reconnais alors sa chambre, où nous avions choisi des vêtements pour sortir … Où Léa avait choisi des vêtements pour moi, plutôt.

Je suis allongée sur cette espèce de rectangle très confortable dans lequel mon enveloppe corporelle s'enfonce paisiblement. Je suis recouverte par un tissu bleu très épais. Cela me tient chaud et je trouve ça plaisant.

Lorsque mon magnifique guide terrien revient avec un verre d'eau à la main, je remarque un personnage sur son pull. Il s'agit d'un canard aux apparences humaines, avec de longs cils et un accoutrement rose sur la tête.

Léa me tend le verre d'eau et un tout petit objet blanc.

— Tiens, pour commencer, avale ça pour faire disparaître la migraine.

La migraine correspond probablement à la douleur dans ma boîte crânienne. Je saisis le verre et décortique le petit objet sous tous les angles.

— Un si petit objet peut vraiment atténuer le mal ?

Je me rends compte qu'elle fait l'effort de retenir un rire, une main devant la bouche.

— Oui, ça ma belle, ça s'appelle un médicament. Un doliprane, plus précisément.

Je hausse les épaules puis absorbe le médicament. Je manque de m'étouffer malgré la bonne gorgée d'eau ingurgitée.

— C'est vraiment difficile à avaler !

— Ouais, ils ne les avaient plus en gélule à la pharmacie.

Elle semble réfléchir quelques secondes avant de se rassoir sur le rectangle absorbant et de clarifier ses propos.

— La pharmacie est l'endroit où on achète les médicaments. Justement, pour soigner toute sorte de douleurs.

— Oh ! C'est génial d'avoir un magasin rempli de remèdes contre le mal.

Une fois de plus, les humains me surprennent.

— Ecoute, ce que je voulais te demander en échange, c'est de veiller sur moi. Je t'apprends tout ce que tu as besoin de savoir et toi tu me protèges des mecs nocifs …

Je bois encore un peu d'eau pour faire passer ce vilain goût de "médicament", pendant que Léa poursuit.

— En bref, je veux que tu sois mon ange gardien, Angie.

Cette fois, ma gorge se noue et je m'étrangle littéralement. De l'eau jaillit sur le tissu épais.

— Nom de papa ! Euh … ce n'est pas mon rôle ça. Je … je veux dire que celui qui veille sur les … mon grand frère Raphaël est missionné pour ça, moi je n'ai pas le droit.

— Oulala ! J'ai rien compris ! T'as vraiment dû avoir une enfance traumatisante toi !

— Traumatisante n'est pas le mot adéquat. Je dirais plutôt "infructueuse" ou "stérile".

Léa sourit et attrape ma main. Ce geste dégage une énergie positive et bienveillante.

— Je ne t'ai pas demandé de me protéger des coups, ne t'inquiète pas. C'est juste qu'hier soir, j'ai remarqué que tu ne pouvais pas te blairer mon ex. Donc, je me dis que tu peux m'aider à y voir plus clair dans les choix que je fais avec les hommes …

— Ah ! Je comprends mieux ! Enfin … je crois !

— Alors ? Tu acceptes ?

C'est finalement un bon compromis que me propose Léa. Elle souhaite avoir mon ressenti sur les ondes positives ou négatives que je perçois chez les hommes et en échange, elle m'aide à y voir plus clair sur la nature humaine.

— Oui, c'est d'accord, mais avant …

La voilà qui me saute dessus de tout son poids, cale sa tête dans le creux de mon cou et m'étreint avec ses bras. J'ignore comment je dois réagir dans une telle situation. Dois-je lui rendre son étreinte ?

— On se connait pas depuis longtemps Angie, murmure-t-elle à mon oreille, mais je sens qu'on va être de bonnes amies toi et moi.

Je réfléchis à l'aspect logique du contexte. Je dépose donc le verre sur la petite table à ma droite, puis j'entoure délicatement Léa avec mes bras afin de la serrer contre moi.

Quelle est cette sensation étrangement agréable ?

Je ne sais pas, mais cette chaleur humaine me procure un immense plaisir.

Si je devais rester ainsi pour toujours, je voudrais prolonger l'éternité.