Fyctia
2.5 Jonathan
— Mon pote, ça te dirait pas de lâcher un p'tit smile ? demande Noah de manière rhétorique.
Je fixe mon verre, perdu dans mes pensées. Je sais que ce n'est pas agréable pour lui, mais je ne peux m'empêcher de ressasser le passé.
Pourquoi ai-je été aussi aveugle sur les vraies intentions de Maé… ?
Qu'est-ce que j'ai raté avec Johanna pour lui donner envie de tout plaquer sans laisser aucune trace d'elle ?
Tout à coup, un flash vient m'arracher à ma négativité. C'est comme si la foudre venait de s'abattre juste devant mes yeux, mais sans le bruit détonnant. Ou plutôt comme si quelqu'un venait de me prendre en photo de nuit avec un appareil géant.
— T'as vu ça !
— Arrête de crier, t'es ouf toi, répond Noah.
— Mais t'as vu ça ?
— Vu quoi mon pote ?
— Laisse tomber.
Noah me scrute comme si j'étais un aliéné fraîchement échappé de l'asile.
— John …
Oula ! Quand il m'appelle "John" avec ce ton presque autoritaire, c'est que ça sent mauvais !
La dernière fois qu'il a fait ça, c'était pour me dire que le patron m'avait dans son viseur à cause de mes chiffres pitoyables. D'où mon excès de motivation pour exploser les stats, d'où la promotion qui s'en est suivie.
Cette fois-ci en revanche, je ne suis pas sûr que ça va fonctionner. Je suis démuni d'énergie. Tout simplement, je suis lessivé.
— Tu voudrais pas te faire aider ? Parce que t'as l'air vraiment à cran et je t'avoue que moi je sèche là.
— Ecoute … je suis pas fou, je viens de voir un truc, comme un éclair. Mais ça ne fait rien …
Je regarde instinctivement mon verre, pensant que le cocktail m'est probablement monté à la tête. L'alcool et la déprime, c'est clair, ça ne fait pas bon ménage ! Il ne manquerait plus que je commence à voir un psy et à prendre des médocs pour parfaire le cliché ambulant que je suis déjà …
— Tu sais, il n'y a aucune honte à ça. Mon père, lorsque ma mère nous a abandonnés, s'est fait suivre et ça l'a sauvé.
C'est à mon tour de dévisager Noah. Il ne boit jamais, l'alcool lui est probablement monté à la tête, car c'est la première fois qu'il se livre autant sur son passé. Ce que je savais, c'est que sa mère les avait abandonnés et qu'il ne l'avait pas connue, point barre.
— T'avais quel âge ?
Je crois que la blessure est loin d'être refermée car il fait tourner machinalement la paille dans son verre avant de me répondre.
— 3 ans mon pote … J'avais 3 ans.
Soudain, il passe Despechá de Rosalia. Noah se met à danser sur sa chaise et taper des mains, comme s'il voulait vite balayer notre conversation. Ses petites frisettes noires glissent sur son front au rythme de ses mouvements. Il s'ambiance et m'agrippe l'épaule pour me balancer de droite à gauche, histoire de partager son ivresse et sa bonne humeur avec moi.
— Wouh ! C'est de la bombe cette chanson mon gars ! J'ai déjà hâte d'être à cet été !
Il me tape la cuisse, se lève d'un bond, slalome au milieu des tables et entre dans le bar. Sûrement une envie pressante. Je souris. Noah pompette, c'est drôle quand même !
Une fois seul devant mon Sex on the Beach, je repars dans mes travers de solitaire. Mes pensées brumeuses reprennent le dessus et, j'ignore si c'est à cause des radiants installés en terrasse, mais je commence sérieusement à bouillir. La positivité de Noah me manque déjà.
Il revient après quelques minutes en me claquant le dos. Je crois que c'était censé être amical, mais qu'il ne contrôle plus sa force.
— Je nous ai commandé deux verres, dit-il avec un grain dans la voix qu'il n'a pas habituellement lorsqu'il est sobre.
Il termine cul sec sa mixture étrange de fruits et d'alcools, puis pose son verre tel un pilier de bar qu'il n'est pas, avant d'ajouter :
— Tu sais, j'ai bien réfléchi … Il faut que tu recommences à brancher des filles pour essayer d'oublier. Il n'y a que ça à faire !
— Moi aussi j'ai réfléchi pendant ton absence et finalement, la vie de couple ne sert en fait qu'à attendre le meilleur pointe le bout de son nez.
Il tourne la tête pour me regarder et sa paupière droite flanche légèrement. Je crois que c'est dû à la petite rasade. Et peut-être dû aussi au verre d'avant.
— C'est dans Hitch ça ?
— Ouais.
— J'suis un monstre, réplique-t-il en frappant sur la table. Et donc, c'est quoi le rapport ?
— Le rapport c'est que j'ai décidé de …
— Attends j'te coupe une seconde ! Regarde là-bas les deux canons avec le mec ! Viens on va les voir !
OK ! Je note ! Ne plus jamais faire boire Noah, mais vraiment, plus jamais !
Je tourne la tête vite fait, histoire de lui faire plaisir, puis j'enchaîne :
— Ouais magnifiques ! Ecoute, voilà ce que j'ai décidé … A partir de maintenant …
— Oh merde, regarde mon pote ! L'une des deux a gerbé sur la chemise du mec … Dégueu ! Tu sais quoi, viens on rentre, je vais annuler les verres. T'as même pas bu le tien, tu déconnes !
Sans même avoir le temps d'émettre un son, il se dirige à nouveau vers l'intérieur du bar et
revient deux ou trois minutes plus tard en m'annonçant qu'il a tout payé, que ça lui fait plaisir.
C'est à mon tour de lui donner une tape amicale sur l'épaule.
— Je sais que je te l'ai déjà dit, mais t'es un frère pour moi ! Et justement, t'as été présent jusque-là, mais voilà ce que j'ai décidé …
Sa tête pivote un peu à gauche et il me coupe de nouveau la parole :
— Mec, elles sont passées où les filles ?
— J'en sais rien moi ! Je peux te dire ce que j'essaye de te dire depuis dix minutes bordel ?
— Oh ça va, sois pas vénère ! C'est juste que j'aurais bien aimé prendre le numéro de la brune, celle avec le piercing au nez.
— OK trop tard, elles sont parties, je peux te parler maintenant ?
— Vas-y, répond-t-il en se frottant les yeux. Je t'écoute !
— Donc … Ce que je voulais te dire, c'est que j'en ai ras le bol de courir après une chose aussi invraisemblable que l'amour. J'en ai marre d'être la bonne poire. Je suis loin d'être parfait, mais je ne supporte plus d'être attentionné et gentil envers des femmes qui ne le méritent pas …
Noah semblait endormi, mais désormais il écarquille les yeux.
— Super le réveil mon pote ! Je suis trop fier de toi, tu peux pas savoir !
— Merci, mais c'est pas fini. Je suis las d'être spectateur de ma propre vie, tout ça parce que j'ai ouvert mon cœur aux mauvaises personnes. Donc c'est décidé, à partir de maintenant, j'adopte ton attitude. Je prends la vie comme elle vient et je me fous de tout.
Je regarde la toile rose qui couvre la terrasse, sur laquelle est écrite le nom du bar (Bisou.), et je pense au fond de moi :
J'ai connu des dénouements bien trop malheureux jusque-là, mais maintenant, je reprends les choses en main. Je décide de la direction du vent, je statue qu'il va tourner en ma faveur.
Oui, tout me sera agréable maintenant, car je suis fermement décidé à ne plus rien ressentir.
Je vais ensevelir mes émotions tellement profondément, qu'aucune femme au monde ne pourra venir les déterrer pour me briser.
Je ne connaîtrai jamais plus l'amour, jamais plus, mais tant pis !
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Acrobis
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Kalehu
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