Fyctia

2021 - Un peu plus de trois ans. C'est la période durant laquelle je suis resté sans aucun rapport physique, intellectuel ou autre avec la gent féminine. Même avec les collègues femmes au bureau, ce fut compliqué de tisser du lien. Même pendant que je vous parle, là, c'est compliqué. Vous devez ressentir une baisse de régime, moins d'entrain, moins de panache pour raconter l'histoire. Mon histoire. C'est normal, je ne peux m'empêcher d'être empli de mélancolie lorsque j'évoque cette période de ma vie.

Juste un petit retour en 2020. Vous voyez, là, le laisser-aller avait atteint son paroxysme. Cheveux gras mi-longs, barbe de capitaine Haddock, cernes jaunâtres et caleçon sale. Un confinement qui était tombé à pic après deux années en apnée. Vous reconnaissez le canapé ? C'est normal, c'est mon appartement. Oui, parce que si j'ai pu tirer une leçon de ma dernière expérience amou... de ma dernière relation, c'est que notre capacité à être indépendant est primordiale. Fini papa, fini maman, place à mon chez-moi.

Il convient de préciser qu'à ce moment-là, je n'en voulais pas à toutes les femmes, comme ces mecs qui généralisent la mauvaise attitude d'une seule fille. Non, ce n'est pas ça, j'en voulais précisément à celle dont je ne prononcerai plus le nom. Celle qui m'a découragé d'entamer ne serait-ce qu'un soupçon d'interaction avec l'autre sexe. Celle qui m'a envoyé prendre un vol direct et sans retour pour la dépression.

Revenons à 2021, cette année fatidique !

Là, ce sont les bureaux dans lesquels Noah et moi travaillons. Vous le constaterez, c'est ultra moderne. Au milieu de la trentaine de téléprospecteurs, se trouve Noah, debout, en train de tenter de convaincre un promoteur immobilier d'intégrer la boîte dans ses projets. La scène me fait étrangement penser au Loup de Wall Street, lorsque tous les courtiers en rut hurlent dans les combinés en pensant à leur bon gros chèque en fin de mois. Ouais, c'est pareil sauf que les vieux téléphones ont été remplacés par des micro casques non filaires.

Vous ne me voyez pas ? C'est normal, j'étais à cet instant précis dans le bureau du patron qui avait une annonce importante à me faire : "Tu travailles chez nous depuis un moment et tes résultats sont excellents. La période de crise est passée, on peut recommencer à voir grand. Que dirais-tu de devenir manager et de gérer ta propre équipe ?". Ouf ! On avait évité le licenciement ! J'avais évidemment répondu avec mon inimitable répartie : "Euh …", puis il avait surenchéri : "Ne réponds pas tout de suite, prends le temps d'y réfléchir …".

Il m'avait laissé jusqu'à la fin de journée pour lui donner une réponse. Je crois que les patrons n'ont pas la même définition de "prendre son temps" que les employés. Ce qui doit d'ailleurs expliquer cette différence hiérarchique.

Quand on pense qu'un an et demi en arrière, j'étais en calbut sur mon canapé à me goinfrer de chips rayées et qu'aujourd'hui on me donnait l'opportunité de gravir les échelons au niveau professionnel … c'est juste dingue !

Après la baisse de rythme du récit, me voilà de nouveau enjoué. Tout simplement parce que c'est représentatif de l'état d'esprit dans lequel j'étais à ce moment-là.

C'est d'ailleurs là, lorsque j'entrais dans l'ascenseur pour retourner chez moi déjeuner, que je l'ai vu … Elle, la grande blonde au parfum envoutant qui me donne un coup de coude maladroit en guise de présentation, c'est Johanna, la femme qui allait marquer le tournant le plus décisif de ma vie …

2022 - Après un an de relation, nous nous sommes aperçus que notre couple était improbable tant nous étions différents. Nos goûts, nos désirs et nos envies étaient autant à l'opposé que l'eau et le feu.

Elle était l'eau, j'étais le feu.

Elle détestait les fins de films qui sortaient du cadre conventionnel, j'appréciais d'être surpris.

Elle voulait adopter un chien, je pensais que c'était trop contraignant.

Elle aimait les concerts, moi pas.

Elle adorait plaire, je souhaitais rester l'homme d'une seule femme.

Pire que tout, elle désirait garder son confort alors que je rêvais de quelque chose de plus. Quelque chose d'étincelant, de palpitant. J'aurais voulu faire le tour du monde avec elle et la demander un jour en mariage dans un lieu aussi invraisemblable que le sommet du mont Everest.

En somme, j'idéalisais une relation intense et surprenante là où elle, se complaisait dans la monotonie.

Nous avions tout de même un énorme point commun … la flamme dans nos yeux.

Après tout ce temps, nos regards contenaient toujours une chaleur rassurante. Même après une lourde dispute, nos yeux riaient en symbiose.

Maintenant, vous vous demandez sûrement ce qui a pu être pire que ce que j'avais déjà enduré …

2023 - Là, nous sommes déjà en mars et si vous me voyez au plus mal, les larmes coulantes, l'estomac noué, c'est parce que ça fait trois semaines que je me suis imprégné de la définition du mot "ghoster".

Je pense qu'il n'y a rien de pire que de ne pas avoir d'explication. Rien de pire que d'avoir le crâne bourré de questions qui ne trouveront jamais de réponses.

Son odeur était omniprésente dans l'appartement, ce qui rendait les choses encore plus difficiles à supporter.

Parfois, j'avais l'impression de l'apercevoir au détour d'une ruelle, mais ce n'étaient que des hallucinations. Mes messages ne se distribuaient plus, je n'avais plus d'accès à son Facebook et pour couronner le tout, ses amies n'avaient aucune nouvelle d'elle.

Elle était partie du jour au lendemain en me laissant comme cadeau une profonde obscurité, avec ce goût amer d'un espoir illusoire.

Finalement, Johanna m'avait tiré de la dépression pour mieux m'y replonger.

Et rien ni personne n'aurait été capable de ranimer la flamme du type joyeux que j'étais.

Actuellement coincé dans les affres de ma tourmente (et dans les toilettes de mon appartement), je sais que seule une aide Divine pourrait me maintenir en vie.

Hé oh là-haut ! Personne ne m'entend ? Personne ne me voit ?