Fyctia

Je dois informer Léa de mon inconfort face à cet être. Mais je le ferai plus tard car je ne veux pas la mettre dans une position malaisante. Surtout qu'ils me regardent tous comme si j'étais venue annoncer leur mort imminente. Je décide donc d'agir comme le bon soldat que je suis et attendre les recommandations de mon guide.

— Je vous avais dit qu'elle était un peu zarbi par moment dit-elle tout en s'asseyant sur une … ah oui ! une chaise !

Sans doute fait-elle allusion à la manière dont je me suis présentée à ses amis. Peu importe, si elle s'assoit, moi aussi. Le malheur a voulu que la seule chaise disponible soit celle à l'extrémité, à côté de l'être aux ondes néfastes. Un homme aux cheveux blonds, soyeux et mi-longs.

Visiblement une âme qui se soucie plus de son aspect physique que du bien-être des autres.

Mon frère Uriel m'avait prévenue que, chez les humains, les apparences sont primordiales. Je suis finalement satisfaite d'avoir choisi de belles courbes à mettre en évidence. C'est mieux pour me fondre dans la masse.

— Bonsoir je peux prendre votre commande ?

Mon cœur a fait un bond, mes fesses aussi. Je ne m'attendais vraiment pas à ce que quelqu'un déboule derrière moi pour me hurler dans les oreilles. Il s'agit d'un homme propre et dynamique. Il tient fermement un petit amas de feuilles et un objet pointu. Je me demande quelle est sa fonction dans l'établissement. Qu'entend-t-il par "prendre votre commande" ?

— C'est la première fois que je viens, vous avez une carte ? demande la femme blonde en caressant ses longs cheveux.

— On n'a pas de carte Madame, vous composez directement votre cocktail suivant vos goûts.

Je remarque que Léa ne lâche pas du regard l'homme à la main glissante à côté de moi. Lui, fixe les voitures passant sur la route. Les yeux de Léa indiquent quelque chose de différent de tous les regards que j'ai pu analyser chez elle aujourd'hui. Elle tripote l'anneau métallique qui est fixé à sa narine et cet air jovial a disparu pour laisser place à une émotion totalement opposée. Je ne saurais la définir.

— Génial ce concept ! Je vais réfléchir. Et … c'est Mademoiselle répond-t-elle la poitrine en avant et la tête inclinée en arrière.

Madame, Mademoiselle ... J'enregistre ces appellations.

L'homme propre ne semble pas interagir avec elle et se tourne vers les autres, à commencer par Léa qui était happée par l'être dérangeant à ma gauche.

— Je vais prendre un kiwi, pastèque, Vodka, Martini s'il vous plaît.

— Ah ouais ! le même pour moi ... s'il vous plaît réplique la blonde d'une voix plus caressante.

Les humains auraient-ils eux-mêmes créés des variétés de fruits que je ne connais pas ?

Quoiqu'il en soit, j'ai maintenant saisi l'utilité d'un bar. Les humains s'y retrouvent entre amis pour combler le vide dans leur estomac. Le même creux que j'ai ressenti un peu plus tôt.

Ici, ils peuvent apparemment choisir divers assemblages de fruits. Voilà une invention de l'Homme qui me plaît !

— Pour moi, Cognac, citron, orange annonce l'homme discret à droite de Léa.

J'ai compris ce que signifiait "prendre la commande". À chaque mélange de fruits, l'homme propre prend son objet pointu et le frotte contre l'une des feuilles. Surement pour garder une trace de ce que nous lui "commandons". Je le comprends tellement ! C'est impossible de mémoriser les choses correctement avec une cervelle si étroite.

— Pour vous Monsieur ?

— Rien pour moi répond l'homme perturbant, sans même regarder l'homme propre.

— Ok et pour vous Madame ?

Oh mon père ! Il s'adresse à moi. Je n'ai rien anticipé, je ne sais pas quoi dire, quoi prendre. Je connais les 2053 variétés de fruits, mais j'ignore leur saveur. Excepté pour la banane dont le goût est passablement bon.

D'accord. Je sais !

Après tout, je suis venue sur Terre pour découvrir l'Humain dans son monde complexe … Alors, goûter un mélange de fruits que je ne connais pas s'ajoutera à mes nouvelles connaissances de mon nouvel "univers".

— Moi, je vais prendre un mélange Vodka, Martini, Cognac.

Tous me regardent très fixement. Qu'ai-je donc encore fait qui ne va pas ?

— Vous êtes sûre Madame ? Vous ne voulez pas mélanger avec autre chose ?

— Non, c'est très bien comme ça. Merci beaucoup Monsieur !

Le propre fait la moue, inscrit ma commande sur le papier et repart vers une autre table.

Les autres me scrutent toujours, lorsque la blonde laisse sortir une énorme vocalisation, le nez plissé, les yeux fermés. Comme Lexy, comme Léa, mais encore plus sonore, plus intense.

Puis Léa et le discret suivent le mouvement.

Rien pour l'autre qui reste impassible, le regard toujours dans le vague.

La blonde s'arrête progressivement jusqu'à retrouver une expression plus normale.

— En fait elle est complètement barge ta nouvelle copine, mais je kiffe trop.

Le discret, lui, sourit toujours. Il sort un petit carton rouge et blanc. Il en extirpe une sorte de tige qu'il porte à sa bouche et qu'il brûle à l'aide d'un objet surprenant. Puis il aspire vigoureusement avant de souffler un épais nuage dû à la combustion.

C'est à mon tour de plisser le nez. Cette odeur est nauséabonde ! De plus, cet homme n'est pas sain d'esprit, en agissant de la sorte il crame ses poumons. De surcroît, à Paris, ils ont grandement besoin de leurs poumons …

— Angie, t'en veux ? me demande-t-il le bras tendu.

— Non, je ne veux pas cramer mes poumons … Qu'est-ce ?

— D'où tu sors toi !

Encore une réplique que j'ai déjà entendue. Que j'ai trop entendue. Je décide de ne plus me taire.

— Je viens de très loin. D'un endroit où nous ne connaissons pas toutes ces choses nocives.

— C'est vrai que t'es zarbi toi.

Puis il me tourne le dos et s'adresse à Léa :

— Tu nous as ramené du lourd là.

— Laisse-là tranquille un peu … Bon vous racontez quoi les losers ?

J'observe leurs conversations avec attention. Les femmes entre elles parlent de fringues, de cheveux, d'ongles et de "mecs". Les hommes entre eux parlent de "sport" (du "PSG"), de "poker", de "meufs" …

Le propre nous revient avec toutes les commandes et les dépose sur la table en disant "Voilà vos verres, bonne dégustation".

C'est curieux ça, des fruits liquides. Couleur pêche en plus ! J'approche le verre de ma bouche et j'ai un mouvement de recul, l'odeur est puissante. Je prends une lampée pour tester … Effectivement, ces fruits piquent un peu la gorge, mais ils sont bons. Le vide dans mon estomac se manifestant à nouveau depuis un moment, je décide d'ingurgiter toute la contenance d'une traite pour le combler.

Une fois encore, ils me regardent tous étrangement.

— Mais non, t'as pas fait ça ! dit Léa tout en entamant le rituel du plissage de nez sonore.

Ses amis la suivent, sauf le malaisant qui pose une main sur ma cuisse.

— T'es unique toi, j'aime beaucoup ça dit-il d'une voix éraillée.

Je ressens un courant électrique arpenter l'intérieur de mon corps. C'est bien plus oppressant qu'avant. Cette fois-ci j'ai ressenti quelque chose de très lourd.

C'est ça. Il cache quelque chose à Léa !