Fyctia

Les "fringues" qu'elle m'a prêtées sont moins légères à porter que les précédentes, mais je ne ressens plus ces picotements causés par le vent froid. Ce qui reste pénible, c'est ce pull qui me gratte et dont le col me serre la gorge. Je crois que je préférais mon débardeur en dentelle. Au moins, je n'étouffais pas.

— Allez active Angie ! Mes amis m'attendent pour 20h00, il est …

Elle sort un objet de la poche de sa veste en cuir. Un objet rectangulaire avec un écran lumineux, comme une télé miniature. J'ai aperçu beaucoup d'humains avec le même genre d'appareil, certains d'entre eux le collaient à leur oreille et parlaient seuls. Auraient-ils trouvé le moyen de communiquer directement avec les cieux ?

— Putain il est 19h58 ! poursuit-elle sur le même ton que lorsqu'elle m'a vu à poil.

— A vrai dire, je peine à suivre ton rythme de marche … Est-ce que vous marchez toujours autant ici ?

— Tu veux dire à Paris ?

— Oui …

Nous empruntons une rue qui se nomme Crussol et je suis toujours à deux mètres derrière elle.

— À Paris ma chérie, c'est marche ou crève. On fait tout à pied. En voiture c'est galère. Encore en moto ça va, mais perso, j'aurais trop peur de me faire découper en deux.

— Et pourquoi n'avons-nous pas pris le métro cette fois-ci ? Cela doit bien faire dix minutes qu'on marche …

— J'habite Voltaire, on va boulevard du Temple, c'est plus rapide à pied. T'es pas de Paris ou quoi!

Léa se retourne sans cesser d'avancer, comme à son habitude, puis regarde à nouveau devant elle.

— En tout cas, les vêtements te vont très bien. Le col roulé en maille avec le manteau trois quart, c'est parfait. Je pourrais peut-être te les laisser, c'est des habits que je ne mets plus trop.

Je ne veux pas froisser sa bienveillance à mon égard, je décide donc de me taire pour cet horrible pull.

— Merci Léa !

Que de dissimulations depuis que je suis sur cette planète ! Les humains sont-ils confrontés à ce genre de dilemmes épineux ? Dire la vérité ? Ne rien dire par crainte de la réaction de l'autre ? Je me demande.

Léa et moi arrivons enfin devant le "bar" dont elle m'avait parlé. Le Bisou. C'est assez petit. De la végétation orne l'entrée ainsi qu'un éclairage rose au néon. En extérieur une toile est tendue au-dessus des tables disposées uniformément, autour des … ah flûte ! Léa m'a dit comment ça s'appelait mais j'ai oublié. Je ne peux pas tout mémoriser avec ce cerveau aux capacités limitées.

L'établissement diffuse une symphonie quelque peu différente des notes célestes jouées par mon frère Jophiel lors de nos réunions de famille.

Un chant accompagne en rythme la symphonie.

🎵 Y ando despechá', oah, alocá'

Que Dios me libre de volver a tu la'o

Lo muevo de la'o a la'o y a otro la'o

Hoy salgo con mi baby de la disco coroná', coroná', yeah

Voy con la falda (ah), aro' y cadena' (eh)

Piña colada (sí), no tengo pena (no) ...🎵

Je les trouve de plus en plus étranges ces humains. Ils diffusent des chants qui ne sont pas dans leur langue natale. Comment font-ils pour en comprendre le sens et apprécier le contenu ? À moins que les humains à Paris ne maîtrisent plusieurs langues ...

— Salut les losers ! s'écrie mon précieux guide terrien. Je vous présente Angie, elle est cool. Un peu zarbi par moment, mais cool.

Trois humains aux allures variées me fixent comme si j'avais encore mes ailes dans le dos. Je les ai pourtant rangées. Que me veulent-ils ?

Léa, elle, se penche pour coller sa joue droite contre la joue gauche de la femme, et inversement. Elles émettent toutes les deux un petit bruit avec leurs bouches, au même moment, à chaque fois que les peaux se touchent. Encore l'une des nombreuses conventions humaines. La voilà qui va répéter ce rituel avec les deux hommes assis à côté. L'un deux glisse sa main dans le bas du dos de Léa au moment où elle se penche.

J'ignore ce que je dois faire. La même chose ? Un simple geste de la main ?

Je vais faire exactement la même chose que Léa, on verra bien …

— Salut les losers !

(J'ai tenté d'imiter sa voix)

Ça, c'est fait !

Je m'abaisse et plaque ma joue gauche contre la joue droite de la femme blonde, sans omettre le son avec la bouche (bien joué Angie !), puis je passe à l'autre joue. Je remarque qu'elle n'a pas produit de sonorité comme avec Léa. Je fais exactement pareil avec le premier homme dont je capte une certaine réciprocité.

Au moment où ma joue frôle celle du deuxième homme, une main file dans mon dos. Je réfrène alors mon geste et me relève spontanément. À son contact, j'ai eu une très mauvaise sensation. Je ne saurais l'expliquer, mais de vilaines ondes ont pénétré mon organisme. Un peu comme si les picotements causés par le froid avaient traversé la chair.

Cet homme-là ne me dit rien qui vaille !