Fyctia
1.3 Angie
C'est curieux, quand on pense que mon père a créé le temps ici sur Terre et pas ailleurs. Ici, tout semble long. Je ressens le poids du temps qui passe. Je marche depuis peut-être trente minutes humaines et c'est déjà épuisant.
Ça doit être ennuyeux pour les humains. Nous les anges, nous sommes conditionnés à errer dans l'espace sans notion de temps et ça nous va très bien. Nous ne connaissons pas l'ennui, nous ne sommes pas forcés de vivre dans ce que l'on appelle "le présent".
Nous sommes des âmes se promenant dans l'immense éternité de l'univers.
Avant de partir pour Paris, Lexy, la femme blonde, m'a gentiment prêtée des vêtements qu'elle avait dans son sac. Elle m'a dit que j'étais cool, et que ça lui faisait plaisir, que de toute façon "ce sont des fringues qu'elle ne met plus". Elle m'a aussi dit que Lexy était son pseudo pour le trottoir. Devant mon incompréhension, elle a précisé que c'était son nom pour le boulot. "En réalité, elle s'appelle Iuliana".
Ces humains sont plein de mystères. Des noms leur sont donnés à la naissance, mais ils s'inventent d'autre noms. Etonnant !
J'observe l'environnement, je dissèque ce qui m'entoure. Les routes se ressemblent toutes, les humains eux ne se ressemblent pas mais agissent presque tous de la même manière, comme s'ils étaient préoccupés par quelque chose. Il y a encore et toujours ces véhicules bruyants qui dégagent une odeur désagréable. C'est quelque chose que j'ai découvert ici, l'odorat.
En revanche, je suis séduite par ce que les créatures de mon père ont réussi à construire. Les édifices autour de moi sont d'une beauté folle.
Ce sont les créations des créatures du Créateur. Et c'est un succès !
Certains humains me regardent fixement. Je suis épiée, comme si j'étais totalement étrangère à ce monde. Pourtant, j'ai joué le jeu. J'ai rabattu mes ailes et me suis vêtue comme ils le font tous.
Une femme courbée et ridée, avec une canne et des cheveux blancs passe à côté de moi et me hurle dessus en brandissant son bout de bois.
— Vous devriez avoir honte ! Allez donc faire vos p'tites affaires ailleurs !
Elle passe son chemin sans aucune considération et je me demande alors ce que j'ai pu faire qui heurterait les bonnes mœurs humaines.
C'est curieux car je découvre depuis que je suis Terre une sensation assez spéciale. Un peu moins depuis que j'ai cet accoutrement, mais je ressens des frissons qui parcourent mon échine et mes avant-bras. Je crois que c'est ce qu'ils appellent "avoir froid". Ce n'est pas forcément très agréable mais je vais faire avec maintenant que j'ai choisi d'avoir une apparence humaine.
J'ai remarqué que les endroits portent des noms ici à Paris. Des plaques métalliques bleues et vertes indiquent l'endroit dans lequel vous êtes. Moi je me promène dans l'espace grâce aux astres. Eux utilisent ces plaques pour se repérer. Avenue Ingres, boulevard de Beauséjour, rue de la Pompe, rue de Passy ... J'en ai déduit que toutes ces routes grises avec des lignes blanches sont des rues.
J'ai aussi entendu un homme demander à l'un de ses compères comment se rendre rue de la Tour. L'autre lui a répondu qu'il n'avait vraiment pas le temps. J'ai l'impression que les humains ne portent pas plus de considération que ça à leurs semblables. Ou alors, c'est pour leur crier dessus ou leur signifier qu'ils sont différents, ou encore pour poser des questions étranges. Pour l'instant, la seule qui m'a laissée une bonne impression, c'est Lexy. Même si j'ai trouvé très singulier sa manière de réagir, ces petits cris aigus qu'elle poussait étaient pour le moins inexplicables.
Je suis appuyée depuis un petit moment contre une barre métallique qui change de couleur en son sommet. Apparemment, les humains utilisent ces couleurs pour savoir quand s'arrêter, quand marcher, quand avancer avec leurs véhicules. Vert pour avancer, rouge pour s'arrêter et orange pour ... je n'ai pas bien compris à quoi servait cette couleur. Certaines fois en revanche, les humains ne tiennent pas compte de ces couleurs. Un instant plus tôt, une voiture est passée au feu rouge manquant de percuter un homme qui traversait la rue. Ce dernier a prononcé une phrase du genre "espèce de sale connard" et a pointé l'un de ses doigts en direction du véhicule. Je n'ai pas saisi la signification de tout ça, mais j'imagine que cet homme en voulait à l'autre pour ne pas avoir respecté le code établi par les couleurs.
Voilà de nouveau un véhicule qui s'arrête devant moi et qui baisse la vitre. Un homme pouilleux entièrement vêtu de bleu me demande combien je prends. Encore avec cette question !
Peut-être est-ce une question habituelle par ici ?
— Combien je prends de quoi ?
Il me dévisage maintenant comme si je venais de lui annoncer la fin du monde. Non cher homme, papa l'a prévue pour l'an 4312.
— C'est quoi ce plan ! Je veux la totale, c'est combien ?
Une femme rayonnante que j'avais déjà repérée auparavant s'approche de nous. Son aura est vraiment bonne. Jusqu'ici, je n'avais pas perçu une telle clarté chez les humains. Ce n'est quand même pas une sœur dont je n'aurais pas connaissance ?
Elle glisse son bras pour venir encercler le mien et le coller contre sa hanche. Une attitude que j'aurais trouvée saugrenue chez un autre humain, mais avec elle, je laisse faire.
— On a décidé de pas bosser aujourd'hui mon gars. Tu peux tracer ta route lance-t-elle sur un ton affirmé.
— Sales putes ! répond le pouilleux avant d'accélérer et de repartir.
Elle lâche mon bras et se met face à moi. Dommage, j'avais moins froid.
— Tu sais, moi je te juge pas, j'ai failli faire le même boulot que toi à force d'enchaîner les nazes, mais quand même, t'es culotée de faire le tapin dans le 16ème !
— Faire le tapin ?
J'ignore s'il s'agit spécifiquement de Paris, mais les humains ont une manière de parler assez atypique ici.
— Oui te prostituer quoi !
Oh, j'avais entendu parler de ça par mes frères. C'est apparemment le plus vieux métier du monde.
— Mais je ne me prostitue pas. Mon métier à moi c'est de nettoyer les as...
Non, les humains ne doivent pas avoir connaissance de notre existence. Je me reprends.
— Je suis nettoyeuse.
Voilà qu'elle se met à me regarder des pieds à la tête, comme le faisait Lexy. Et je comprends rapidement ... Lexy !
— Ce ne sont pas mes vêtements ! C'est une femme qui me les a gentiment prêtés car je n'avais pas d'accoutrement.
Comme Lexy, elle commence à plisser le nez et émettre un son avec sa bouche. Mais chez elle, c'est plus léger, plus discret, surtout moins aigu.
— Mais de quelle planète tu viens toi ?
Comment sait-elle que je ne viens pas de la planète Terre ?
Soudainement, elle m'attrape la main, me tire vers elle et marche d'un pas rapide. Puis, tout en me serrant la main, elle me dit sans se retourner :
— De toute façon je ne bosse pas aujourd'hui et le mec que je devais rencontrer a du retard. Un autre naze. On va te trouver des fringues !
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Emma Chapon
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