Fyctia
Beiping, Chine, 1402 : brasier
Mahé
Le nouvel empereur s’éloigne de quelques pas, ignorant les corps près desquels il passe, les jarres et paniers brisés, les chariots renversés, les chaises à porteur éventrées, les maisons dévastées.
Je le suis, gardant une distance protocolaire de quelques pas ; et m’immobilise lorsqu’il s’arrête face au palais ravagé par les flammes.
Son armure de métal en reflète la danse, parmi le sang qui la macule.
Yan est un chef, un guerrier. Durant ces quatre dernières années, il a combattu en première ligne de son armée, bravant les flèches, les lances et les épées adverses.
C’est ainsi qu’il s’est acquis la fidélité de ses troupes, et a peu à peu conquis l’empire du Milieu.
Le voici souverain incontesté, songé-je en contemplant la fournaise. Son dernier adversaire n’est plus que cendres désormais.
- Rejoins-moi, ordonne l’homme d’un ton grave.
Je me poste à sa hauteur. Nos regards se croisent, et une fois encore, je m’étonne du charisme que dégage Yan.
L’empereur est mon ainé d’une dizaine d’années, et au cours des vingt ans qui se sont écoulés, j’ai appris à le connaitre, et bien.
Je l’ai vu s’affirmer, survivre à des complots, grimper dans la hiérarchie et la succession. Je l’ai vu se marier, devenir père, découvrir le monde et se questionner.
Et aussi étonnant que cela puisse paraître, je l’ai vu s’intéresser à un jeune fils de dignitaire intégré à sa cour, se passionner pour son parcours et son maigre savoir. Je l’ai vu se prendre d’affection pour ce jeune homme et en faire peu à peu, au fil du temps, son confident….
- Mahé, murmure Yan, comme pour lui-même, tout ceci est-il vraiment réel ?
- Tu sais que oui, dis-je sur le même ton.
Loin des oreilles et des yeux de la cour des généraux et des soldats, je redeviens celui vers lequel il se tourne, celui à qui il énonce ses doutes et ses espoirs, celui avec qui il partage ses rêves d’avenir, aussi.
Moi, Mahé, désormais confident et homme de confiance de l’empereur de Chine…
- Sais-tu ce que cela veut dire ? me demande Yan, les yeux brillants.
- Que tu es l’empereur.
- Pas seulement !
Yan se remet en mouvement, m’intimant de rester à sa hauteur d’un geste de la main.
À son approche, les soldats refluent, les habitants de Beiping sont repoussés, le silence se fait.
Seul le crépitement du feu reste nettement audible, quand même le vent semble avoir cessé.
Yan nous entraîne droit sur le brasier. J’observe les étincelles s’élevant dans le ciel, jaillissant de l’incendie dévastateur.
Dans un fracas épouvantable, l’un des toits du grand palais impérial s’effondre.
Les poutres cèdent, la toiture se déverse dans les flammes. Les murs, eux, ont déjà brûlé depuis longtemps. Les poteaux de fondation ne tarderont pas à suivre…
L’incendie reprend vigueur et monte plus haut encore vers les cieux.
Tout le monde a reculé… sauf Yan… et moi, bien obligé d’obéir à ses injonctions.
- Ici, déclare le souverain, le regard perdu dans le sinistre, je bâtirai mon empire. Ma cité, mon palais.
- A Beiping* ? m’étonné-je. Si loin au nord ?
- Oui, ce sera ma capitale. Ma "capitale du nord"…
- Beijing** , répété-je tout bas.
- Mais avant, raconte-moi encore une fois ce que tu as entendu, jadis.
J’incline la tête.
Ce récit, je l’ai tant et tant narré à Yan, par le passé, que je n’ai même plus à y réfléchir pour en fournir le détail.
Il a bercé notre jeunesse et notre imaginaire, a construit nos espoirs et nos rêves, jusqu’à devenir l’une des utopies qui motivent les hommes à poursuivre leur existence jusqu’à sa fin.
- Cela se passait peu avant que je ne rejoigne ta cour. Il faisait chaud ce jour-là. Mon père nous avait menés par-delà les horizons, le long de la route de la Soie, jusque sur les terres d’Arabie. Là, se côtoyaient mille et une richesses, et maints peuples. Mon père souhaitait faire l’acquisition de métal venu du nord. Il négociait ardemment avec ces barbares poilus et hirsutes, quand mon regard tomba sur une dent animale, sertie au milieu d’un collier de perles en os. Je le pris et l’examinai.
« C’est un objet rare que tu vois là, me baragouina l’un de ces nordiens. Je le tiens du père du père de mon grand-père, et lui-même le tenait de son arrière-grand père. Ce dernier l’a trouvé dans une contrée si lointaine que tu n’imagines même pas son existence.
« Quelle contrée ? demanda mon père.
« L’une de celles que tu découvriras si tu t’aventures toujours plus loin vers le Ponant.
« Seuls la mer et les vagues peuplent le Ponant ! se récria mon père.
« Ce collier est la preuve manifeste du contraire ! rétorqua le barbare. Mon ancêtre en a foulé le sol. La mer se fracasse contre un autre monde au plus loin du Ponant, crois-en un peuple de navigateurs ! »
- Un autre monde au Ponant, murmure Yan. Un nouveau monde…
- Un nouveau monde, répété-je, exalté.
Ces mots résument à eux seuls le rêve commun que l’empereur et moi partageons depuis que je lui narrais cet épisode de ma vie, il y a de cela des années.
Yan pose une main sur mon épaule et la serre avec toute la vigueur du conquérant.
-Bientôt, prophétise-t-il, tu partiras à sa découverte.
*Beiping = "ville du nord" en chinois
**Beijing = "capitale du nord" en chinois
13 commentaires
Sandra MALMERA
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Il y a 5 ans
EvyCharly
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Il y a 5 ans
Eva_dk
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Elo François
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Eva_dk
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Il y a 5 ans