Fyctia
Chapitre 13
Nous entrâmes dans la pièce avec Anthony. Il resta devant moi, son large torse occupant tout l’espace entre la porte et le cadre en bois, si bien que je ne voyais que son dos. Sa main serrée autour de la poignée m'empêchait de passer. Mes oreilles bourdonnaient tellement que je n’entendais rien de ce qu’il disait. Seuls les mouvements de sa mâchoire m’indiquaient qu’il était en train de parler.
J’en profitai pour respirer profondément et calmer les battements de mon cœur. Je pouvais compter sur les doigts d’une main le nombre de fois où j’avais stressé à ce point : quand j’avais invité Thomas Keller au cinéma - un fiasco monumental depuis lequel j’étais persuadée que les garçons de mon âge étaient tous des idiots -, mon premier entraînement à la magie avec ma mère le lendemain de mes 11 ans - j’en avais fait des cauchemars - et ce maudit lundi, quatre jours plus tôt, point de départ de mon calvaire.
Ces quelques instants me permirent de reprendre le contrôle de mes émotions. Lorsque le Capitaine s’avança dans la pièce, j’étais prête. Mes yeux se posèrent sur l’immense bureau en bois sombre qui occupait le mur du fond. La femme assise sur l’imposant fauteuil qui accompagnait le meuble se redressa quand elle m’aperçut.
— Bonjour Amalie, m’accueillit-elle, d’une voix à la fois douce et autoritaire.
Je lui accordai un mince sourire. Deux autres personnes se tenaient dans la pièce et leur présence me mettait mal à l’aise. Comme la sienne, d’ailleurs.
— Vous pouvez nous laisser.
Les deux visiteurs se levèrent sans un mot. Un frisson désagréable glissa le long de mon dos lorsqu’ils passèrent à côté de moi. Je me forçai à rester immobile et ne compris que j’avais retenu ma respiration qu’une fois qu’ils eurent fermé la porte en sortant.
— Amalie, je te présente la Directrice de l’Institut du Nord, Suzanne Van Heroltz, m’indiqua Anthony en me guidant, d’une main ferme, sur l’un des sièges qui venaient d’être libérés.
— Ne soyez pas si protocolaire, Capitaine Duquenne, minauda cette dernière tandis que je m’asseyais.
Elle se recoiffa du bout des doigts, les yeux rivés sur Anthony, et se mordit la lèvre inférieure. Je retins une grimace de dégoût. Cette femme n’avait aucune pudeur alors même qu’une adolescente se trouvait devant elle. Je remarquai que le soldat demeurait insensible à son charme. Il prit place à mes côtés sans entrer dans son jeu, se contentant d’attendre qu’elle poursuive.
Au bout de plusieurs minutes, la Directrice cessa enfin de le reluquer et se tourna vers moi.
— Je tiens à te présenter mes..., commença-t-elle avant de s’interrompre, les sourcils froncés. À te témoigner toute ma sympathie. Tu fais face à une drôle de situation.
Mes condoléances, voilà ce qu’elle avait voulu dire.
Je hochai la tête pour toute réponse et reportai mon attention sur Anthony. Sa présence m’empêchait de fuir en courant. Ou de fondre en larmes, au choix. Les mains croisées, son pied droit négligemment posé sur le genou opposé, il me sourit, m’offrant le réconfort dont j’avais besoin.
— Saurais-tu me dire pour quelle raison tes parents se sont crus au-dessus des lois en ne t’inscrivant dans aucun institut ?
Estomaquée, je plongeai mes yeux dans ceux de cette femme qui se pensait supérieure à mes parents et plissai le front devant son air condescendant.
— Le Capitaine Duquenne m’a expliqué que tu ne connaissais pas grand-chose au fonctionnement de notre monde. Je ne t’en tiens pas rigueur, sache-le.
Avait-elle vraiment soupiré en prononçant son nom ?
Anthony se gratta le menton et se racla la gorge. Il avait donc remarqué son manège.
— Mais je pense que tes parents ont commis une faute en te privant d’une formation digne de ce nom.
— Mes parents m’ont parfaitement bien formée.
La Directrice Van Heroltz sursauta. Impossible de savoir si c’était à cause du ton que j’avais employé ou si c’était dû au fait que je prenais la parole pour la première fois. Elle se reprit rapidement et, les bras croisés sur les quelques documents qui traînaient sur son bureau, se lança dans des justifications qui ne m'intéressaient pas :
— Je comprends que tu es convaincue d’avoir reçu une bonne formation de leur part, mais dans les faits, tu es très loin du compte. Il y a peu de chance que tu aies atteint le niveau d’excellence qu’ont les élèves de ton âge dans notre école.
Elle ignora mon regard noir et enchaina :
— Nos professeurs sont des sorciers de renom qui mettent tout leur savoir au service de nos étudiants. Les élèves de l’Institut suivent de nombreuses heures de cours étalées sur 10 ans. On leur demande de réaliser les mêmes exercices jusqu’à ce qu’ils parviennent à les exécuter à la perfection. Je ne pense pas que tu…
— Je suis obligé de vous donner tort à ce sujet, la coupa Anthony, à mon grand étonnement.
La Directrice et moi nous tournâmes vers lui de concert.
— Amalie a un très bon niveau en magie. Je n’ai jamais vu d’élèves de son âge lever une tempête avec autant de facilité, expliqua-t-il, le sourire.
— Une tempête ?
Effarée, Suzanne Van Heroltz s’enfonça dans son fauteuil. Je me réjouis que cette information réussisse à lui clouer le bec.
— Amalie est une incroyable aéromancienne.
Une moue crispée accueillit cette annonce. La Directrice se passa les doigts dans les cheveux avant de demander :
— Sais-tu combien de spécialités tu possèdes ?
— Moins de spécialités tu as, plus tu passes inaperçue, souffla la voix de mon père, une fois de plus, dans ma tête.
— D’après mes parents, je n’en ai qu’une, mentis-je avec facilité.
Et pourtant, Dieu sait que je détestais ce mensonge ! J’étais fière de mes pouvoirs, de détenir ces quatre spécialités, d’avoir appris à les utiliser, à les manier comme des armes.
— Seulement ? Une chance que ce soit celle-ci, nous avons peu d’aéromanciens dans cet Institut.
Je dus prendre sur moi pour rester impassible et ne pas lui faire ravaler sa petite moue débile. Les poings et la mâchoire serrés, je la regardai se lever pour aller se poster près de la fenêtre. Elle marchait avec élégance dans son tailleur beige et ses hauts talons. Je jetai un coup d'œil à ma droite et remarquai qu’Anthony me fixait bizarrement.
— Quoi ? le questionnai-je dans un murmure.
Il ne répondit pas, mais me sourit, rassurant.
— Le Capitaine Duquenne m’a dit que tu ignorais pourquoi tes parents ont choisi de t’éloigner d’Elarys et qu’ils sont ta seule famille. C’est bien cela ?
Je me retournai vers la Directrice et acquiesçai. Elle secoua la tête de dépit, puis soupira avant de me sourire, peinée.
— Malheureusement, tant qu’ils ne donnent pas signe de vie, tu es considérée comme mineure isolée et tu dépends de l’Institut le plus proche. C'est-à-dire le mien.
Un poids me tomba dans l’estomac à l’idée de dépendre d’une femme hautaine qui se transformait en midinette devant un bel homme.
— Maintenant, tu as le choix. Soit tu acceptes d’intégrer mon école et de suivre les cours comme n'importe quel élève, soit nous serons obligés de t’enfermer.
0 commentaire