Jennifer Desrosiers Elarys Chapitre 11

Chapitre 11

Je demeurai silencieuse le reste du trajet, méditant sur les paroles d’Anthony. Si les éléments eux-mêmes pouvaient révéler la ou les spécialités d’un sorcier, nul doute que je devais me montrer prudente. La gentillesse du Capitaine m’avait calmée et réconfortée, et j’avais relâché ma vigilance. On ne m’y prendrait plus.


Je ne devais pas oublier avec qui je me trouvais ni ce qui m’avait conduite à Elarys.


Nous avions quitté la côte depuis un bon moment pour nous enfoncer dans une forêt verdoyante peuplée d’oiseaux en tous genres. Impossible de les admirer en détail, ils se déplaçaient sans cesse, simples tâches de couleur qui tranchaient avec le feuillage qui nous surplombait. Seul leur chant nous parvenait par les fenêtres grandes ouvertes de la voiture.


Je me grattai une nouvelle fois les poignets en soupirant. Depuis quelques heures déjà, les menottes me démangeaient. Quand Anthony s’en était rendu compte, il avait semblé surpris. Comme ce fut le cas des trois autres.


— On est bientôt arrivés, m’informa Éric, le surfeur californien.


Je le remerciai d’un mince sourire. Je ne pouvais pas lui offrir plus. Mes muscles ankylosés me faisaient souffrir et mes os craquaient à chacun de mes mouvements. J’avais hâte de descendre de cette voiture. D’après mes souvenirs, je n’avais jamais voyagé aussi longtemps.


Nous avions parcouru près de 700 kilomètres depuis Oléac. Je comprenais pourquoi William s’était plaint de la porte que nous avions utilisée pour gagner Elarys. Après vérification, elle était bel et bien la plus éloignée de la capitale. De tout en réalité. À croire que mes parents n’avaient pas choisi la Suisse pour rien. Toujours plus de questions sans réponse.


Nous finîmes par quitter la forêt et je remarquai que le ciel commençait à s’assombrir. Un coup d’œil sur le tableau de bord m’apprit qu’il était déjà 19 h 30. Mon estomac jugea que le moment était idéal pour gargouiller. Je n’avais rien avalé depuis le petit déjeuner. Je plaquai mes mains contre mon ventre dans l’espoir de couvrir le bruit.


— Ne me dites pas que vous avez affamé cette pauvre gosse ! s’exclama mon voisin, outré.

— Sans commentaire, Éric, grogna Anthony en retour.

— Elle survivra.


Je me tournai vers William, les dents serrées. Il me sourit, sans prendre la peine de lever les yeux de son téléphone. Ce gars avait un talent incroyable pour m’énerver. Le bout de mes doigts commença à me picoter, et les démangeaisons reprirent de plus belle. Mes ongles raclèrent la peau de mes poignets, laissant de fines marques blanches à chacun de leurs passages.


— Donne-moi tes mains, m’ordonna Anthony depuis la place passager.


Je relevai la tête et obtempérai. Le soldat s’était retourné après avoir détaché sa ceinture et, le torse coincé entre les deux sièges avant, il se rapprocha et saisit mes bras.


— Tu ne vas tout de même pas les lui enlever ?


Le Capitaine ne prêta pas attention à William et retourna mes poignets pour poser ses pouces au milieu des menottes. Le cuir chauffa aussitôt.


— Je ne voyage pas à côté d’elle si elle n’est pas entravée !

— Vince, arrête la voiture.


Le conducteur obéit sans broncher à Anthony et stoppa le 4x4 sur le bas-côté.


— On est à Louméac, tu n’as qu’à traverser la ville à pieds.


William quitta le véhicule, furieux, et claqua la portière. J’ouvrais la bouche, prête à prendre sa défense pour je ne sais quelle raison, quand les deux attaches cédèrent. Une mince fente était apparue à l’endroit où Anthony avait posé ses doigts. Je les avais examinées sous toutes les coutures et savais qu’elles ne possédaient aucun fermoir. Toute sorcière que j’étais, certaines choses parvenaient encore à me surprendre, comme le fonctionnement de ces bracelets.


Dès que ma peau ne fut plus en contact avec le cuir, toute sensation d’irritation s’envola. Je serrai les poings et roulai mes poignets pour savourer cette liberté retrouvée.


— Tu risques de te sentir nauséeuse. Préviens-nous si c’est le cas.


J’acquiesçai, convaincue que ça n’arriverait pas puisque je ne réagissais pas aux menottes comme les autres, et Anthony se réinstalla dans son siège. Je restai bouche bée devant la vue qui s’offrit à moi à travers le pare-brise. Le corps du Capitaine m’avait caché le paysage pendant que le véhicule se rapprochait de la ville.


Louméac s’étendait sous mes yeux. Subjuguée, je ne pris pas la peine de bouger et gardai ma place au milieu de la banquette, tandis que Vince passait la première pour entrer dans la cité qui ne ressemblait en aucun point à ce que j’avais imaginé.


Louméac, ses bâtiments ocre, ses ruelles sinueuses et ses trottoirs pavés me transportèrent au Moyen-âge. Les maisons, toutes accolées, bien que semblables dans leur architecture, se distinguaient les unes des autres grâce à la couleur des rideaux ou des volets, aux fleurs qui habillaient les porches ou à la forme des boîtes aux lettres. On passa ensuite devant des immeubles de trois ou quatre étages que seuls les balcons colorés et ouvragés permettaient de différencier. De grosses boules de feu flottaient à trois mètres du sol et éclairaient d’une faible lumière chaque rue que nous empruntions. Des rues identiques et distinctes à la fois.


Le centre-ville, peuplé de boutiques et de restaurants, grouillait d’activités quand on le traversa et nous finîmes par déboucher sur une grande place au cœur de laquelle s’élevait un immense édifice composé de pierre et de verre, qui me faisait penser à une ancienne cathédrale gothique agrémentée d’une touche de modernité. L’atmosphère qui s’en dégageait me souffla et j’en oubliai les soubresauts qui secouaient la voiture.


— C’est quoi ce bâtiment ? ne pus-je m’empêcher de demander, incapable d’en détacher le regard.

— Il s’agit du siège de l’Assemblée du Nord.


Je frissonnai, pour une raison inconnue, et mon pouls s’emballa. Était-ce le bâtiment ou sa fonction qui me rendait si fébrile ?


— Arrête la voiture ! exigea une nouvelle fois Anthony, qui sortit du véhicule à vive allure, avant même qu’il ne soit à l’arrêt.


Il courut jusqu’à l’entrée du Siège, son bandeau bleu l’aidant à se frayer un passage parmi la foule. Il discuta avec une femme âgée, aux cheveux d’un blanc pur, vêtue d’un tailleur pantalon turquoise. Cela ne dura pas plus d’une minute. Quand il fut de nouveau installé à l’avant, ses traits tendus encouragèrent Vince à redémarrer sans attendre, et je n’osai pas poser les questions qui me tiraillaient.


Quelque chose chez cette femme m’avait interpelée, mais je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus. Elle m’avait laissé une étrange impression de familiarité. Malheureusement, avec la distance, impossible de l’examiner de près. Je continuai de m’interroger un petit moment sur elle, et son lien avec Anthony, avant de m’extasier à nouveau sur la beauté de cette ville.


J’admirais la rangée d’arbres gigantesques à travers laquelle nous nous déplacions, quand le Capitaine me sortit de mes rêveries :


— Bienvenue à l’Institut du Nord, Amalie.


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2 commentaires

Kathleenm

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Il y a 3 ans

coup de pouce sur tous tes chapitres, n'hésite pas à passer chez moi je suis bloquée ! Merci :)

Lexa Reverse

-

Il y a 3 ans

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