Fyctia
Chapitre 9
Au soupir déçu d’Anthony dont les épaules se voutèrent, je regrettai presque de garder quelques secrets, mais je préférai faire confiance à mon instinct. Si les paroles de ma mère m’avaient semblé insignifiantes ce jour-là, alors que nous étions affalées sur le canapé, un dimanche après-midi pluvieux, elles revêtaient à présent une tout autre signification. Tout comme ces heures passées à m’entraîner aveuglée, attachée ou désorientée.
Le soldat reprit place sur la chaise qu’il avait délaissée plus tôt.
— Tu ignores donc pourquoi tes parents ont été pris pour cible ?
Je hochai la tête, les lèvres pincées. Je n’osais plus ouvrir la bouche après ce mensonge. Je n’avais pas l’habitude de mentir. Au contraire, mon père répétait souvent que j’étais sans filtre. Impossible de savoir si c’était une critique ou un compliment…
Ils me manquaient tellement, lui et ma mère !
Je leur en voulais d’être partis sans moi. Pourtant, je savais qu’ils devaient être dans un sacré pétrin pour disparaitre de la circulation du jour au lendemain. Je les imaginais mal m’abandonner sans se retourner. Je coinçai mes mains entre mes cuisses et fermai les yeux. Rester positive. Je me rabâchai ce mantra, tout en me focalisant sur ma respiration.
— Ça va aller ma grande.
Mes paupières s’ouvrirent et Anthony me sourit de l’autre côté de la table. Ma détresse l’avait poussé à surmonter son chagrin et je retrouvai le soldat aimable et attentif.
— Si j’ai bien compris, tu n’as pas eu de nouvelles de tes parents depuis l’attaque ?
J’acquiesçai de nouveau.
— C’est étrange tout de même, intervint William, les sourcils froncés. Qu’ils n’aient pas essayé de te joindre. Ce n’est pas le genre de réaction qu’on attend de la part d’un père ou d’une mère.
Ce type m’irritait. Il me rappelait Giovanni, un de mes camarades de classe, qui aimait contredire tout le monde : élèves, parents, professeurs, directeur… Peu importait qu’il ait raison ou tort, il s’amusait juste à contester la personne qui se trouvait en face de lui. William réagissait de la même façon, en remettant en cause tout ce que je disais. Et il se permettait de critiquer mes parents au passage.
— Je suis sûre qu’ils me contacteront dès qu’ils en auront la possibilité, aboyai-je d’un ton désagréable, les ongles plantés dans mon jean.
— Sauf s’ils sont morts.
Je me figeai tandis que la boule de stress, que je trimballais dans ma poitrine depuis des jours et m’efforçais d’oublier, doublait de volume, à tel point que je m’attendais presque à voir ma cage thoracique exploser. À aucun moment je n’avais songé à cette éventualité. Après tout, la bataille avait eu lieu dans notre maison. Si mes parents avaient été gravement blessés, ou pire, il y aurait eu des traces dans le salon, comme du sang ou des cadavres.
Quoique, dans les séries policières, les criminels déplaçaient souvent les corps pour brouiller les pistes. Les soldats de l’Est avaient-ils suivi le même schéma ?
De nouveaux tremblements me secouèrent et ma respiration devint laborieuse. Mon cœur battait à tout rompre sans que l’air parvienne à entrer dans mes poumons. Cette fois-ci, mes larmes débordèrent sans que je puisse y faire quoi que ce soit. De la bile remontait tout doucement le long de mon œsophage. Je lançai un coup d’œil circulaire à la pièce en me demandant si j’arriverais à atteindre les toilettes avant de vomir.
Un violent courant d’air se leva et traversa la maison, emportant avec lui le géomancien médusé qui se retrouva dehors en quelques secondes. Hagarde, les yeux toujours rivés sur la porte, le souffle erratique, je sursautai lorsqu’une main réconfortante se posa sur mon épaule.
— Calme-toi, me conseilla Anthony en rejetant ma tignasse ébouriffée dans mon dos. Tu es en train de faire une crise d’angoisse.
— Ils ne peuvent pas être morts. Ils ne peuvent pas me laisser toute seule pour toujours. Je ne veux pas rester toute seule. Je ne veux pas les perdre.
Ces paroles se déversaient de ma bouche en un fouillis de mots, qui aurait surpris tous ceux qui me connaissaient, et d’atroces scénarios se bousculaient dans ma tête. Je m’embourbai dans des pensées plus noires les unes que les autres. Anthony m’obligea à courber le dos et à respirer profondément, le visage à deux centimètres de mes jambes. Je me concentrai sur sa voix rassurante et sa forte présence qui m’empêchaient de perdre pied. Ses doigts glissaient dans mes cheveux et ce geste régulier m’apaisa.
Impossible de savoir combien de temps dura cette crise, à croire qu’elle me rendit sourde et aveugle. Mon pouls se stabilisa au bout d’un moment, puis les tremblements cessèrent. Enfin, mes pleurs prirent fin, me laissant épuisée. Quand je relevai la tête, de la sueur avait remplacé mes larmes et dévalait mon front et mes joues, sans parler de mon dos trempé. Anthony n’avait pas bougé, sa main non plus.
— N’écoute pas William. Son égo froissé le pousse à se comporter comme un con. Rien n’indique que tes parents ont… péri dans l’attaque.
J’appréciai son choix de mots – péri, c’est beaucoup mieux que mort – et le remerciai d’un faible sourire. Il se leva et disparut dans le couloir. À son retour, il me tendit un verre d’eau que j’engloutis aussitôt.
— Ça va aller ?
Sa sollicitude me toucha. Il ne me connaissait que depuis quelques heures, mais sans lui, je me serais effondrée plus tôt, plus fort. Je hochai la tête tout en essayant mon visage humide. Pour m’occuper, j’entrepris de m’attacher les cheveux en un chignon sommaire sur le sommet du crâne. Je ne supportais pas qu’ils me collent sur les tempes.
William fit irruption dans la pièce.
— Notre carrosse est là, nous informa-t-il, avant d’ajouter la mine contrite : tu vas bien ?
Je ne compris pas tout de suite qu’il s’adressait à moi. Lorsque je finis par le réaliser, j’acquiesçai d’un coup de menton. Je préférai ne pas savoir à quoi je ressemblais pour que même lui en vienne à me poser la question.
— On arrive.
La colère d’Anthony à l’encontre de son collègue ne semblait pas avoir disparu. Dans tout ce merdier, j’avais au moins une personne de mon côté et ça me soulageait. Parce que je devais bien reconnaitre que la situation pourrie dans laquelle je me trouvais me dépassait complètement. Pas de nouvelle, plus de plan à suivre. Moi qui étais convaincue que mes parents me retrouveraient à la planque ou m’attendraient à la maison.
— Qu’est-ce qui va se passer maintenant ? demandai-je d’une voix rauque.
Les mains sur les hanches, Anthony me surplombait de toute sa hauteur.
— Je t’emmène à l’Institut du Nord. En tant que mineure isolée, tu dépends de leur ressort.
Isolée, un joli mot pour dire « abandonnée ».
Alors qu’il se dirigeait vers l’entrée, il me fit signe de le suivre. Je me levai, le cœur lourd, et le rejoignis.
— Au fait, l’interpellai-je tandis qu’il ouvrait la porte, je m’appelle Amalie.
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Lexa Reverse
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Amphitrite
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Il y a 3 ans
Geane Casey
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Il y a 3 ans
Amphitrite
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Il y a 3 ans