Jennifer Desrosiers Elarys Chapitre 8

Chapitre 8

J’attendais avec impatience qu’il poursuive, ma curiosité à son niveau maximal.


— Tous les sorciers du royaume passent par la case Institut, énonça Anthony, catégorique. Comme tu l’as deviné, il s’agit d’une école dans laquelle on enseigne la magie, mais surtout on y apprend les règles à suivre et les limites à ne pas franchir lorsqu’on utilise nos pouvoirs. Il est obligatoire d’y étudier jusqu’à l’âge de 20 ans. Aucune exception n’est tolérée.


Il se pencha sur la table, se rapprochant de moi par la même occasion.


— Tu es la seule sorcière de dix-sept ans à ne pas être scolarisée dans un Institut.


Déconcertée par ses propos, je me contentai de le fixer, immobile.


— On ne voulait pas te faire peur. Ta présence nous a surpris.

— Par présence, il veut dire « instinct de tueuse », ricana William.


Je m’étais peut-être trop avancée sur l’état actuel de nos relations…


Le visage d’Anthony devint glacial et il fusilla son collègue d’un regard cuisant. J’étais heureuse qu’il ne soit pas dirigé contre moi. Le changement brutal avait de quoi étonner. Je constatai à ce moment-là qu’il prenait soin de se montrer inoffensif avec moi.


— Si c’est pour dire ce genre de conneries, tu ferais mieux d’attendre dehors.


Ce fut au tour de William de foudroyer Anthony de ses yeux presque noirs. L’atmosphère de la pièce s’alourdit et les poils de mes bras se dressèrent. Ils s’affrontèrent en silence, oubliant même que je me tenais près d’eux. Ni l’un ni l’autre ne semblait prêt à s’avouer vaincu et, au vu de la pression croissante que je sentais peser sur mon corps, la situation devenait critique. Je devais à tout prix détourner leur attention, et une part de moi souhaitait se justifier d’avoir réagi de cette façon.


— D’autres soldats sont passés avant vous. Je crois qu’ils ont attaqué mes parents.


Mon intervention fonctionna. Ils reportèrent tous deux leur intérêt sur moi.


— Quand je suis rentrée mardi, la porte de la maison était ouverte et le salon…


Je n’arrivais pas à terminer ma phrase. Des images du chaos que j’avais découvert flottaient devant mes yeux : les meubles renversés, les murs marqués… Je cachai mon visage entre mes mains quand mes souvenirs me ramenèrent à la bagarre qui avait eu lieu dans le jardin, et à l’homme qui y avait perdu la vie.


— Je ne voulais blesser personne, m’excusai-je alors que mon pouls s’emballait et que ma gorge se nouait. Je devais me défendre parce que j’étais toute seule et…


Incapable de me concentrer pour leur relater la suite des évènements, j’appuyai mes paumes contre mes yeux dans une vaine tentative de refouler les larmes qui se formaient au coin de mes paupières. Hors de question de passer pour une pleurnicharde devant deux soldats. Un raclement de chaise et des bruits de pas m’informèrent qu’Anthony s’était levé. Il s’agenouilla près de moi et, d’un geste délicat, m’obligea à baisser les bras.


— Je suis désolé de devoir remuer le couteau dans la plaie, mais j’ai besoin que tu me racontes ce qui s’est passé. Tu as parlé du salon, m’encouragea-t-il d’une voix douce, ses traits à nouveau lisses et paisibles.


Je déglutis et serrai les poings pour mettre fin aux tremblements qui venaient d'apparaître.


— Il était retourné quand je suis arrivée. J’ai cherché mes parents dans toute la maison, mais je ne les ai pas trouvés.

— Donc tu n’as pas assisté au combat ?


Je secouai la tête d’un mouvement saccadé.


— Bien, soupira-t-il soulagé. Pourquoi crois-tu que c’était des soldats ?


Je plantai mon regard dans celui d’Anthony.


— Brassard vert.


À nouveau, l’expression de son visage se métamorphosa. L’étincelle qui brillait dans ses yeux disparut, ses narines se dilatèrent et sa mâchoire se serra. Comme ce fut le cas la fois précédente, cette transformation soudaine me fit froid dans le dos. Anthony se releva, les épaules tendues, et rejoignit William qui n’avait toujours pas quitté sa position.


— Qu’est-ce qu’ils foutaient là-bas ? grommela ce dernier.

— C’est une excellente question. L’Est n’est pas connu pour son amour des humains. Je ne vois pas pour quelle raison…

— Ils cherchaient quelqu’un, les coupai-je.

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?


La question de William – ou plutôt le rictus avec lequel il la posa – m’arracha un grognement. Je m’affalai contre le dossier de ma chaise et lui offris mon fameux sourire dédaigneux, celui qui exaspérait ma mère.


— Quand je les ai entendus, ils parlaient d’une femme. Une certaine Eliza.


Tous deux se figèrent. Nul doute que ce prénom leur parlait. Plusieurs secondes passèrent avant que l’un d’eux réagisse.


— Tu es sûre de toi ? s’enquit le géomancien qui s’empressa de venir s’asseoir à ma droite alors que son collègue demeurait cloué sur place.


Je me crispai, n’appréciant pas qu’il se tienne si près de moi ni qu’il me fixe de la sorte.


— Je ne suis pas sourde, rétorquai-je en levant les yeux au ciel.

— C’est impossible. Eliza est morte.


La voix d’Anthony tonna dans la pièce, plus éraillée qu’auparavant.


— Elle et toute sa famille.


Son visage morne m’en apprit suffisamment : il connaissait cette femme et sa mort le peinait. William n’émit aucun commentaire, j’en déduisis qu’il s’agissait d’un sujet délicat. Il m’avertit, d’un coup d’œil menaçant, de me tenir tranquille. Sauf qu’Anthony semblait au bord du gouffre et que cette vision m’attristait. Il était de mon côté depuis le début de ce bazar, je me voyais mal le laisser déprimer sans rien faire. Je tentai maladroitement de lui remonter le moral et supposai :


— Ils parlaient peut-être d’une autre Eliza.

— Armée de l’Est et Eliza dans une même phrase, il n’y a aucun doute possible, crois-moi, trancha-t-il après s’être raclé la gorge. Sa désertion avait provoqué un véritable tollé dans leurs rangs. À tel point qu’ils l’ont fait tuer.


Mon cerveau tournait à plein régime, il enregistrait toutes les informations qu’il entendait et les analysait aussitôt, relevant des détails anodins à première vue et mettant au jour des liens inattendus afin que chaque chaînon s’imbrique avec le suivant. Armée du Nord en bleu, Armée de l’Est en vert. Une renégate morte toujours recherchée. Ma mère et son brassard vert sur la photo. Notre salon ravagé.


Les hypothèses fusaient, mais la plus vraisemblable c’était que ma mère avait aidé cette Eliza à fuir quand elles étaient toutes deux soldates dans l’Armée de l’Est et que cette histoire l’avait rattrapée.


— Tes parents ont-ils déjà mentionné ce nom devant toi ?


La voix de William me sortit de mes réflexions. Lui et Anthony me fixaient, attendant ma réponse avec impatience. Une fois de plus, je songeai à ce cliché qui semblait me brûler la peau à travers mon jean. Il me suffisait de le sortir et de leur expliquer mon raisonnement. Je m’apprêtais à le faire quand une alarme sonna dans ma tête.


— Aucun soldat n’est digne de confiance.


Des mots que ma mère avait prononcés d’un ton sec alors qu’on regardait un film.


— Non. Je ne vois pas de rapport entre cette femme et mes parents.


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7 commentaires

NevaPlume

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Il y a 3 ans

Coup de pouce. J'adore ton histoire, j'avais commencer à la lire il y a un petit moment mais avec ce concours, je n'avais pas trouver de temps. Me voici à jour (pour le moment ahah) 😬 N'hésite pas à passer sur mon histoire à l'occasion 😅

Jennifer Desrosiers

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Il y a 3 ans

Merci de ton passage ! J'avoue je n'ai commencé aucune story du concours, alors que les résumés me donnent tous envie. Je crois que je n'arrive pas à me décider. Mais j'ai confiance, ça va venir ! 😂

Amphitrite

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Il y a 3 ans

Coup de pouce pour te permettre d'avancer. Ton monde est très immersif, j'aime beaucoup. Passe sur ma story, Pythia, si le coeur t'en dit.

Jennifer Desrosiers

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Il y a 3 ans

Merci beaucoup pour ce retour. Je passerai avec plaisir, en grande fan de mythologie que je suis, mais je ne peux pas te dire quand.

Amphitrite

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Il y a 3 ans

Quand tu veux!

EllenKasefni

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Il y a 3 ans

Petit coup de pouce avant de te lire^^

Jennifer Desrosiers

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Il y a 3 ans

Merci. J'espère que ta lecture te plaira 😉
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