Jennifer Desrosiers Elarys Chapitre 6

Chapitre 6

Si Anthony n’avait pas maintenu mon bras d’une poigne solide, je me serais écroulée.


Devant mes yeux écarquillés se dessinait le royaume des sorciers. Elarys, cette terre dont mes parents refusaient de parler et où ils avaient juré de ne jamais m’emmener. Rien de visible ne permettait de différencier ce monde de celui des humains. Pourtant, je sentais au fond de moi qu’ils étaient à l’exact opposé l’un de l’autre. La magie qui coulait dans mes veines vibrait, comme si elle reconnaissait son égale dans tout ce qui m’entourait.


Nous nous tenions à la lisière d’un champ de fleurs sauvages qui ondulaient au gré du vent. Elles parsemaient l’herbe d’une multitude de couleurs et embaumaient l’air de diverses senteurs. Leur présence appelait ma géomancie et la suppliait de les rendre encore plus belles, tandis que mon aéromancie se réveillait à chacune de mes inspirations. Un bruit d’eau au loin me parvint aux oreilles et je finis par détecter le fin ruisseau qui coulait en contrebas. Ajouté à cela le soleil éclatant qui me réchauffait la peau, mes deux autres spécialités ne tardèrent pas à se manifester à leur tour.


Je n’avais jamais ressenti ça. Une part de moi comprit que, sans ces menottes autour de mes poignets, ma magie s’exprimerait, avec ou sans mon accord. Pénétrer dans ce monde pour la première fois de ma vie se révélait être une expérience incroyable qui me submergeait.

Dans mon dos, le rideau scintillait encore, immuable, et le collègue d’Anthony nous rejoignit enfin après de longues minutes d’attente.


— Je déteste les portes secondaires, grogna-t-il en lançant un paquet à mes pieds.


Il continua sa route sans nous accorder le moindre regard, s’enfonçant à travers les hautes tiges. Je baissai la tête et reconnus mon sac de survie.


— Je t’ai pris quelques affaires.

— Vous avez fouillé dans ma chambre ? grondai-je, furieuse à l’idée qu’il ait mis son nez dans mes placards.


En réalité, c’était le dernier de mes soucis. Les objets les plus incriminants sur lesquels Anthony avait pu tomber n’étaient autres que la gigantesque réserve de post-it qui encombrait mon bureau et les centaines de portraits d’inconnus que j’avais réalisées pour m’occuper. À côté de la disparition de mes parents et de mon enlèvement, ça paraissait ridicule, mais ma vie m’échappait chaque jour un peu plus et ma présence à Elarys me rendait fébrile. Je ressentais le besoin de me rebeller pour retrouver un semblant de contrôle.


— C’était moi, ou William qui n’est pas ton plus grand fan, au cas où ça t’aurait échappé. Il aurait été capable de ravager la pièce pour se venger.


Comme si l’animosité de ce William à mon égard pouvait passer inaperçue. Je soupirai, forcée de reconnaître qu’il avait raison, et ramassai mon sac. Anthony ne me relâcha que quelques secondes, le temps que je hisse mon bagage sur mes épaules, puis sa main se referma à nouveau autour de mon bras droit.


— Je ne vais pas m’envoler et je suis capable de marcher toute seule.

— Je ne te fais pas confiance, tu es une gamine imprévisible, contra-t-il avec un sourire. C’est un compliment, sache-le.

— Fantastique.


Il se mit en route, m’entraînant à sa suite. La pente du champ s’avéra plus prononcée que je ne l’avais cru et je profitai de cet exercice pour reprendre le contrôle de mes pouvoirs. Je les étouffai de force jusqu’à ce qu’ils se rendorment. Arrivée à la moitié du trajet, je me sentais à peu près sereine. Autant que je pouvais l’être dans ma situation.


Je reportai mon attention sur Anthony. Il me tenait fermement, mais sa prise n’était pas douloureuse. Depuis le début, il ne cessait de répéter qu’il ne me voulait aucun mal et je commençais presque à le croire. Je posai les yeux sur sa main et remarquai qu’il portait une alliance. Je remontai le long de son poignet et poursuivis mon chemin. Je tressaillis lorsque mon regard tomba sur le bout de tissu qui lui enserrait le bras.


Le bandeau ressemblait à celui que portaient les hommes qui m’avaient attaquée quelques jours plus tôt. Sauf que le sien était bleu. Mes pensées me ramenèrent à la photo que j’avais trouvée, celle où ma mère arborait fièrement son brassard vert. Ils devaient avoir une signification. Vérifiant qu’Anthony ne me regardait pas, je tâtai ma poche arrière et soufflai en sentant les contours de la bague ainsi que le plat du cliché.


— Tu ne veux pas me dire comment tu t’appelles ? me demanda soudain Anthony.

— Vous m’avez assommée, kidnappée et privée de mes pouvoirs. Je n’ai pas envie de vous faire la conversation.


Il pila avant de se retourner pour me faire face. Son brusque arrêt me fit chanceler et, une fois encore, il me retint, ses mains serrées autour de mes bras. Se baissant pour que ses yeux soient à hauteur des miens, Anthony se défendit :


— Nous ne t’avons pas assommée, ma grande. La dose de pouvoir que tu as utilisée t’a affaiblie et tu t’es évanouie. Ce que tu as fait était certes impressionnant, mais surtout dangereux. Pas seulement parce que tu risquais de t’exposer. Tu es bien trop jeune pour te lancer dans de telles techniques de combat.

— Je vous ai impressionné ? me réjouis-je sans prêter attention au reste de ses paroles.

— As-tu écouté ce que j’ai dit ?


Je hochai la tête, les lèvres retroussées, et répondis :


— Mes techniques de combat vous ont impressionné.


Il soupira et nous nous remîmes en route. Je continuai de sourire comme une idiote en laissant Anthony me traîner à travers la ribambelle de couleurs qui nous entourait.

J’étais une sorcière suprême, je savais ce que valait ma magie. Mais puissance et talent ne vont pas toujours de pair. Mes parents en étaient conscients et ils m’avaient formée pour que je contrôle mes pouvoirs à la perfection. Résultat : j’avais bluffé Anthony.


Penser à eux me fit redescendre de mon petit nuage.


— C’est à cause de cela que vous m’avez enlevée ?

— Nous ne t’av…


Il ne termina pas sa phrase, et je sentis sa prise sur mon bras faiblir. Après quelques pas, il s’arrêta de nouveau et me lâcha. J’étirai les muscles endoloris de mes épaules. Anthony me tournait le dos, les mains sur les hanches. Quand il se décida enfin à pivoter pour que nos regards se rencontrent, il paraissait gêné.


— Tout ça doit te sembler un brin excessif, j’en ai bien conscience, présuma-t-il à raison. Mais on ne laisse pas une ado capable de déclencher une tempête livrée à elle-même dans le monde des humains.


Vexée, je croisai les bras et détournai les yeux. Comme si j’avais choisi de me retrouver dans cette situation !


— Je ne cherche pas à te blesser, juste à te faire comprendre notre point de vue. Je t’ai préparé un sac et William a laissé un mot pour prévenir ta famille qu’on t’emmenait dans un Institut. C’est pour ta sécurité, personne ne te kidnappe, ma grande.


La gorge nouée, je ravalais mes larmes. Je refusais de pleurer devant Anthony, mais je devais admettre qu’une part de moi se sentait rassurée de ne plus être seule.


— C’est quoi un Institut ? me renseignai-je du bout des lèvres, hésitante.


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