Fyctia
Chapitre 2
Je n’arrêtai ma course effrénée qu’une fois certaine de m’être assez éloignée de la maison. Penchée en avant, les mains sur les genoux, j’attendis que mon souffle se calme. Ma mère avait raison, il était grand temps que je me remette au sport. À peine cette pensée me traversa-t-elle que je frissonnai. La gravité de la situation me frappa de plein fouet et des larmes commencèrent à couler le long de mes joues. Je m’accordai quelques minutes pour pleurer sur mon sort, puis me redressai. Le poids de mon sac à dos menaça de me faire basculer, si bien que je dus faire appel à l’Air pour me stabiliser.
L’Air était l’élément qui répondait le plus vite et demandait le moins de concentration. Logique, nous en étions entourés. Pour autant, l’aéromancie n’était pas la spécialité la plus répandue. J’avais la chance, comme mes parents, qu’il s’agisse de l’une des miennes. Je pouvais donc réagir avec rapidité en cas d’attaque.
D’après ce que mon père m’avait expliqué durant nos « cours », tous les sorciers avaient la capacité de faire appel aux quatre éléments. Toutefois, chacun disposait au minimum d’une spécialité majeure, d’un contrôle renforcé sur l’un d’eux. La plupart en développaient deux. Les plus puissants, comme mes parents, en possédaient en trois. Quant à moi, j’appartenais au dernier groupe, ceux qui maîtrisaient les quatre éléments : les sorciers suprêmes.
Nous étions rares. Mes parents n’en avaient rencontré qu’un seul avant ma naissance. J’avais vite compris que c’était à cause de mon statut qu’on ne s’était jamais rendus dans le royaume d’Elarys. Située dans un monde parallèle à celui des humains, cette terre abritait les sorciers depuis des siècles. Ils y naissaient et apprenaient à contrôler leurs pouvoirs. Tous, sauf moi. J’avais souvent harcelé mes parents à ce sujet, sans obtenir la moindre réponse.
De nouveau en équilibre sur mes deux pieds, je sortis un élastique de ma poche et m’attachai les cheveux. Une longue marche m’attendait. Je m’engouffrai un peu plus dans la forêt en me félicitant d’avoir mis des baskets pour aller en cours. Cette randonnée improvisée aurait bousillé mes bottines toutes neuves.
Le soleil se coucha bien avant que je n’atteigne ma destination et le feuillage des arbres était trop dense pour que je puisse compter sur la lune pour éclairer mon chemin. Je soupirai et, d’une simple pensée, une boule de feu apparut dans ma main droite. Sa portée suffit pour m’éviter de me casser la figure à cause d’une racine. Les animaux, qui peuplaient l’endroit, ne tardèrent pas à émettre des sons flippants. J’accélérai, faisant fi des douleurs dans mes jambes.
Je marchai pendant près de deux heures avant d’arriver à la clairière. Le soulagement m’envahit à la vue du lac et de la multitude de fleurs qui tapissait le sol. Je me mis en quête du tronc sur lequel mon père avait marqué l’emplacement de la planque. Je trouvai rapidement le A gravé dans l’écorce et la trappe juste en dessous, camouflée par un immense buisson. J’ouvris le cadenas à l’aide de la petite clé bleue de mon trousseau. Alors que je descendais à tâtons l’escalier en bois, une voix se fit entendre non loin.
— Tu es sûr qu’elle est partie par ici ?
L’abruti du jour était de retour. Je reconnus son ton désagréable, bien qu’un peu éraillé. Il n’avait pas dû apprécier la petite sieste que je lui avais imposée. Je m’activai pour me glisser dans l’abri et refermer la trappe, mais, au dernier moment, je décidai de l’entrouvrir pour écouter leur conversation. Ils ne faisaient aucun effort pour étouffer les paroles.
— C’est ce qu’indiquent les traces sur le sol, répondit une voix qui, si mes soupçons étaient bons, devait appartenir à l’homme qui avait eu la malchance de me croiser dans le couloir. Mais je ne vois plus rien.
— Quelle bande de minables ! Se faire avoir par une gamine de 15 ans.
Vexée, je grimaçai et dus prendre sur moi pour ne pas réagir. J’avais 17 ans, crétin !
— Elle nous a eus par surprise.
— Évidemment ! s’emporta mon nouveau meilleur ami. À son âge, elle devrait être dans un Institut !
Un quoi ? Je serrai les poings. Pour la première fois que je rencontrai un sorcier, il fallait que ce soit un abruti colérique qui avait pénétré chez moi pour s’en prendre à ma famille. Chiotte !
— Je ne dis pas le contraire. On devrait rentrer et ramener le corps de Swan à sa famille.
Je n’entendis pas la suite. Le corps de Swan ? Dans un état second, je fermai la trappe et la bouclai avec le cadenas. Je ramassai mon sac, que j’avais lancé à l’aveuglette avant de me faufiler par l’ouverture, et m’enfonçai dans l’abri. Je me laissai choir, les yeux humides, dans le canapé poussiéreux qui occupait le fond du refuge.
J’avais tué un homme.
Les mains posées sur ma bouche, je peinais à y croire. J’étais consciente que priver un être humain d’oxygène pouvait mener à ce résultat, mais ça n’avait pas été mon intention. L’autre idiot s’était seulement évanoui, lui. Pourquoi n’avait-ce pas été le cas de son collègue ? Je regardai mes paumes pleines de terre. Même s’il était invisible, j’avais du sang sur les mains. J’eus beau fermer les yeux pour ne plus les voir, cela n’empêcha pas mes larmes, de plus en plus nombreuses, de franchir la barrière de mes paupières.
J’avais tué un homme.
Ce Swan avait une famille, peut-être même une femme et des enfants, mais il ne rentrerait plus jamais chez lui. Je laissai d’atroces sanglots me déchirer la gorge et ne fis rien pour les stopper. Je réussis à enlever mes chaussures malgré mes tremblements. Seule, perdue et honteuse, j’attrapai un plaid orange pour m’emmitoufler.
— Je suis désolée, répétai-je, encore et encore, jusqu’à ce que, épuisée, je m’endorme.
Comme convenu, je passai trois jours dans l’abri à attendre que mes parents me rejoignent. C’était le plan de secours en cas d’attaque : attraper son sac de survie, se cacher dans la planque, patienter trois jours avant de sortir. Si on venait à être séparés, rendez-vous dans la clairière après ces soixante-douze heures. Simple. Je l’avais révisé des dizaines de fois sous leur œil attentif, persuadée qu’il ne nous servirait jamais. Quelle blague !
Mes provisions diminuaient doucement, mais vu mon peu d’appétit, elles tiendraient encore une semaine. Le carnet à dessin, que ma mère avait glissé dans mon sac, se remplissait à vitesse grand V. Aucune nouvelle de mes parents. Je ne captais pas sous terre et, de toute façon, la batterie de mon portable était à plat depuis la veille. Pour savoir s’ils avaient tenté de me joindre, il fallait que je rentre. Ça tombait bien, je ne supportais plus la lumière des bougies et j’avais hâte de me laver les cheveux.
Après une quatrième nuit passée dans ce trou, je décidai de quitter la planque. Je laissai un mot sur la table à l’attention de mes parents, au cas où ils passeraient par ici, et verrouillai derrière moi. Une fois à l’extérieur, je respirai au grand air pour la première fois depuis ma fuite et dénouai mes muscles avant de me mettre en route.
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