Fyctia
10.2 - Eliora
Effectivement, le reste de la journée est intense. Heureusement que nous sommes vendredi. Al me fait approfondir les trois premières chorégraphies. Nous avons enchaîné les pas jusqu’à ce que mes pieds saignent. Cela ne m’était jamais arrivé. Je lui en veux d’avoir passé sa frustration sur moi.
Lorsque se termine enfin la journée, je quitte la salle sans un mot pour lui, les pieds endoloris. Dans les vestiaires, je me douche longuement, savourant le jet d’eau chaude qui coule sur mes membres et détend mes muscles douloureux après cette journée intensive.
Un fois sèche, je rejoins Lay qui m’attend devant le théâtre, accoudé à un magnifique coupé sport gris métallisé, une Jaguar si je ne me trompe pas. Enfin je suis nulle avec les marques des véhicules, je suis une vraie inculte. Cela ne m’a jamais intéressée. Je n’y ai pas fait attention ce matin, trop obnubilée par le conducteur.
— Jolie voiture, le complimenté-je.
— Pour transporter de jolies filles, argumente-t-il.
Ce commentaire me provoque un pincement au cœur et mon sourire s’évanouit, fait qu’il remarque.
— Je rigole, tu sais qu’il n’y a que toi, se reprend-il.
Maintenant peut-être, mais à combien de filles a-t-il donné du plaisir à l’intérieur ?
— Non, non, non, personne ne souille mon bébé, répond-il à ma question silencieuse.
Je souris discrètement. Au moins un endroit sans souvenir avec ses conquêtes.
Mais ce n’est pas le moment de s’épancher là-dessus. Je m’apprête à le contourner pour grimper dans l’habitacle, mais il ne l’entend pas comme ça. Il me saisit le bras et me murmure à l’oreille.
— Toujours chez elles, jamais longtemps.
Il n’a pas besoin d’ajouter d’autres détails, j’ai parfaitement compris. Et j’avoue être soulagée. Dès qu’il aperçoit mon visage s’adoucir, il m’ouvre la porte pour que je prenne place avant de venir me rejoindre.
— Jamais chez moi, lui avoué-je à mon tour.
C’est vrai, je n’ai jamais pu me résigner à faire pénétrer un homme dans mon espace de vie. Je trouve ça trop intime. En même temps, ils ne m’emmenaient pas forcément chez eux non plus, ce qui me convenait parfaitement.
Je regarde l’homme qui me fait tourner la tête et remarque le sourire qui a élu de nouveau domicile sur son visage. Nous venons tacitement de nous avouer qu’aucun de nous n’a eu une réelle envie de tourner la page.
Le trajet se passe dans un silence confortable jusqu’à l’hôpital. Une fois sur place, je prends mon sac de sport et suis Lay dans le dédale des couloirs à l’odeur caractéristique d’antiseptiques. Il connaît très bien les lieux et marche un peu rapidement pour moi et mes pieds endoloris. Je prends sur moi pour ne rien montrer et presse le pas pour remonter à sa hauteur.
Nous arrivons au service pédiatrique où l’ambiance est plus gaie que dans le reste de l’hôpital. De nombreux dessins colorés ornent les murs et d’énormes peintures multicolores de fleurs, dinosaures ou princesses rendent l’atmosphère chaleureuse. Une bande d’enfants présente dans les couloirs se précipite vers nous et saute sur Lazlo.
— Tu es revenu ! s’exclame une petite brune à couettes.
— J’ai trop hâte de continuer ce que tu nous as montré la dernière fois, enchaîne une grande blonde très mince, trop même.
— Tapette, marmonne un garçon bien enrobé en nous dépassant.
— Arrête Milo, tu es jaloux ! le rabroue une troisième fille, appuyée sur deux béquilles.
— N’importe quoi Lili, la danse, c’est pour les nanas, rétorque le fameux Milo en s’éloignant.
La petite troupe lève les yeux au ciel, mais ne prend pas la peine de lui répondre.
La plus jeune du groupe nous prend les mains sans nous laisser le temps d’ouvrir la bouche et nous entraîne à sa suite. J’ai juste le temps de voir l’écriteau sur la porte qui indique « Salle d’attente », avant d’être entraînée dans une pièce visiblement réaménagée pour l’occasion. Plusieurs chaises sont empilées dans un coin alors que d’autres sont toujours appuyées contre le mur.
Lili prend place sur l’une d’elles au centre et le reste des enfants s’installe sur les autres.
— Tu nous apprends quoi aujourd’hui Lazlo ? lui demande la grande blonde.
Ils sont surexcités. En même temps, je me doute qu’il n’y a pas foule d’activités dans l’hôpital.
Lay s’assoit devant les enfants, à même le sol, et je l’imite.
— Bonjour tout d’abord, les calme-t-il. Comment allez-vous aujourd’hui ?
— Bonjour ! lui répondent en chœur les petits.
De mon côté, je n’ai toujours pas ouvert la bouche. Ils lui expliquent ce qu’il ont vécu depuis sa dernière visite : leur nouvelle opération, le traitement d’une certaine Céline qui n’a pas fonctionné, le départ de Jim, l’arrivée de Carole… Une multitude d’informations lui est communiquée par toutes ses petites têtes. Je trouve la scène très touchante.
Après avoir pris le temps d’écouter chacun d’eux, Lay reprend la parole et leur présente le programme de ce qui va suivre.
— Aujourd’hui, je vous propose un programme un peu différent. Est-ce qu’une démonstration de tango suivie d’une initiation vous plairait ?
— Oui.
Tous les enfants sont très enthousiastes à cette idée.
Nous nous préparons dans un coin. Lorsque j’enlève mes chaussures, je jette un rapide coup d’œil à mes pieds avant de les bander pour cacher leur état. Lay allume son enceinte Bluetooth et lance la musique sur son téléphone. Je reconnais « Objection » de Shakira. J’adore cette musique. Je jette un coup d’œil à mon partenaire et nous nous perdons dans les yeux l’un de l’autre, le temps d’une chorégraphie endiablée.
Lorsque la musique se termine, je sors de ma transe. Les enfants restent muets. Le silence dure et je n’ose pas le rompre.
Lazlo prend la parole :
— Alors ?
— Waouh ! Comme j’aimerais trop savoir danser comme vous ! s’exclame Lili. Quand je serai libérée de ces affreuses béquilles, c’est ça que je veux faire moi aussi.
— Madame, t’es trop belle quand tu danses.
— Lazlo, apprends-nous !
— Moi aussi, je veux être comme toi.
Les étoiles qui brillent dans les yeux de ces enfants gonflent mon cœur de gratitude et d’amour. Ces petits êtres ont aussi le droit d’avoir des rêves et de les réaliser. J’ai envie d’y participer.
L’heure qui suit, nous leur enseignons les bases du tango. Je suis admirative de leur compréhension rapide. Ils s’appliquent à l’exécution de chaque mouvement.
Lorsque je ressors du bâtiment, après avoir embrassé toutes ses petites têtes, je suis aux anges. Malgré la maladie, ils continuent à garder espoir et à se battre. Ils m’ont fait promettre de revenir avec Lay pour leur montrer d’autres danses. Et lorsque je suis partie, je les entends murmurer derrière nous que nous formons un joli couple.
— Je te raccompagne ? me demande Lay, en entourant ma taille de son bras.
— Tu restes ? lancé-je par cette simple question en guise de réponse.
— Aussi longtemps que tu voudras de moi.
Il sourit et lorsque nous nous asseyons enfin dans la voiture, je pousse un long soupir de soulagement, car mes pieds me font atrocement souffrir. Le week-end ne sera pas de trop pour les reposer.
13 commentaires
Roselyne Simone Paquier
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Il y a 3 ans
Sand Canavaggia
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Charlie L
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Laure Ardric
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Sam Laurent
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Sam Laurent
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