Fyctia

Son corps se rapproche du mien lentement. Je sens tous mes sens se mettre au diapason, comme si mon corps le reconnaissait. Lorsque ses lèvres touchent les miennes, la musique se termine et nous restons figés, incapables de bouger tels deux adolescents. Lui se demandant sûrement s’il ne va pas se faire envoyer sur les roses s’il ose aller plus loin et moi, ma bouche s’assèche, je déglutis avec difficulté. Mon cœur et mon cerveau se livrent bataille. L’un souhaite se perdre à nouveau dans la tendresse et le réconfortant de ses bras, l’autre refuse de se laisser berner par celui qui m’a rendue si malheureuse pendant toutes ces années. Nos yeux s’accrochent, il passe lentement les doigts sur ma joue, ce simple geste provoque un frisson qui remonte le long de mon échine. Il semble lire le dilemme qui se joue en moi, et finalement, il se détache sans s’être aventuré plus loin. Je n’arrive pas à savoir si je suis déçue ou soulagée.

— Désolé, s’excuse-t-il, je n’aurais pas dû, c’est une sale habitude.

À ses derniers mots, je tique. La magie du moment s’évanouit d’un coup.

— Tu embrasses toutes les filles avec qui tu danses ? demandé-je sans attendre de réponse, un goût amer dans la bouche. C’est bon à savoir. Bon je vais y aller, il se fait tard et Al m’a fait comprendre que la journée de demain ne sera pas de tout repos.

— Non, reste ! Tu ne m’as pas compris, me retient-il. Je parlais d’habitude par rapport à nos danses à nous, uniquement les nôtres. Aucune autre n’a eu autant d’importance que toi.

Cette dernière phrase me brise autant qu’elle me ravit. Savoir qu’il y en a eu d’autres alors que j’étais mise de côté me blesse. Même si je ne suis pas blanche comme neige non plus,car j’ai aussi eu quelques aventures mais jamais rien de sérieux, je n’ai jamais vraiment fait le deuil de notre relation. Nous en avions longuement discuté et nous séparer semblait être la meilleure solution pour qu’il s’en aille sans regret à l’époque. Mais je regrette tellement. Cette soirée aura au moins eu le mérite de me rappeler que même si ma tête le déteste, mon cœur lui appartient encore.

— Et puis, on n’a pas encore mangé le dessert. Ne me laisse pas seul devant mon tiramisu, plaide-t-il sa cause.

Je lui lance un regard en coin. Un tiramisu, c’est bien vu. Pour marquer encore plus de points, il faudrait qu’il soit…

— Avec des framboises, bien entendu, ajoute-t-il, terminant ma pensée.

Sans attendre ma réponse, il disparaît dans la cuisine. Cet homme me connaît tellement bien que je suis étonnée qu’il se souvienne d’autant de choses me concernant. Mon cœur va finir par s’arrêter. Ce sont de vraies montagnes russes qu’il me fait vivre. Je vais devoir décider si, oui ou non, il a de nouveau une place dans ma vie. J’éprouve beaucoup trop d’émotions contradictoires.

J’en suis là dans mes réflexions lorsqu’il arrive vers la table du salon avec deux verrines et une théière remplie de thé à la menthe maison. Il a décidément sorti le grand jeu. Du simple, de l’efficace et surtout de quoi me rappeler qu’il se souvient de tout ce que j’aime. Il n’a rien oublié.

— Et bien, tu as vraiment pensé à tout, lui fais-je remarquer d’un air taquin.

— Je voulais marquer des points, réplique-t-il, presque gêné.

— C’est réussi. Il ne manquerait qu’une chose pour que la soirée atteigne son apogée.

— Ah bon ?

Je décide de mettre toutes mes pensées dans un petit tiroir au fond de ma tête, je me penche vers lui et l’embrasse chastement. Au moment de m’éloigner, il passe sa main dans ma nuque et me retient en approfondissant notre baiser.

Mon dieu, qu’est-ce que c’est bon !

— Ah, j’arrive au mauvais moment on dirait, ou au bon, je ne sais pas au final.

Je sursaute et nous tournons tous les deux la tête en direction de la porte d’entrée qu’Al vient de franchir. Je ne l’ai pas entendu arriver.

— OK, je vous laisse, je vais direct dans ma chambre, conclut-il voyant qu’aucun de nous ne lui répond. Heureux de constater que vous ne vous étripez plus.

Il nous adresse un clin d’œil et frotte l’épaule de Lay en passant dans ce geste typiquement masculin, puis disparaît dans son antre.

— Reste cette nuit, me chuchote alors Lay à l’oreille.

— Non, je vais y aller, décliné-je, ne voulant pas brûler les étapes.

— Comme tu veux. Je suis heureux que tu m’aies accordé cette soirée.

Je lui adresse un sourire en me relevant. Et me dirige vers l’entrée pour reprendre mes affaires. Au moment où je me redresse, il me saisit par les épaules et me retourne pour se trouver en face de moi.

Il dépose un baiser sur mes lèvres avant d’ouvrir la porte.

— Bonne nuit, Lia.

— Fais de beaux rêves, Lay.

— Avec la soirée que je viens de passer, il ne peut pas en être autrement.

Je souris et tourne les talons pour rejoindre les escaliers quand je sens sa main se refermer sur mon poignet et m’attirer dans ses bras pour une dernière étreinte beaucoup plus passionnée.

Je quitte la chaleur de son étreinte presque à regret, mais je n’ai pas envie que tout aille trop vite et de m’en vouloir ensuite.

Je rentre chez moi à pied. En arrivant à la maison, je passe sous la douche. Les vapeurs m’enveloppent dans un cocon douillet et apaisant. Je profite de ce moment de détente pour me repasser dans la tête les événements de la soirée. Ce n’est que lorsque l’eau tiédit que je reviens à la réalité et me savonne en vitesse avant de sortir. Je me pelotonne sous ma couette et ne mets pas longtemps avant d’être emportée par les bras de Morphée, épuisée par ma journée.

Le lendemain, tout est encore flou pour moi. Notre repas de la veille tourne en boucle et ne n’arrive toujours pas à savoir où j’en suis et ce que je désire réellement.

Une relation avec Lazlo ? Est-ce que je suis capable de lui pardonner ? Je pense que la réponse à cette question, je l’ai depuis quelques temps, mais que je me voile la face. À bien y réfléchir, depuis cette fameuse fois où il nous a coincés derrière la sortie de secours du bar, je sais que je tiens encore à lui et j’ai eu la certitude que l’inverse était vrai. Il a peut-être trouver la clé pour ouvrir mon cœur verrouillé depuis six ans.

Quelle belle connerie de se laisser de l’espace à l’époque ! J’étais assez stupide pour penser que la distance ne changerait rien à notre amitié, et qu’en amour, il fallait faire nos propres expériences. Si je m’étais doutée un seul instant de ce qui allait se produire en définitive, jamais je n’aurais suggéré cet éloignement qui m’a tant coûté. À en croire ce qu’il m’a dit, cela lui a fait beaucoup de mal aussi, et son silence est la seule réponse qu’il a réussi à me donner. Au final, comment lui en vouloir ? Comment faire pour que les choses reprennent leur court, là où elles devraient être ? Là où a toujours été leur place ? Lazlo a fait beaucoup d’efforts ces derniers temps, je pense que c’est à moi de faire le prochain pas.