Fyctia

Il continue son manège. Depuis la semaine dernière au bar, il n’arrête pas de tout faire pour que l’on se voie, se retrouve dans la même pièce, ou pire, comme hier, seuls au théâtre. La raison pour laquelle je lui laisse me parler m’échappe encore. Mais je crois que ma carapace, celle dont j’ai mis si longtemps à construire, est en train de s’étioler de jour en jour, surtout depuis notre conversation dans ce bar. Ses paroles me reviennent sans cesse en mémoire. Les sentiments que je nourrissais pour lui se ravivent un peu plus chaque jour et lutter devient de plus en plus difficile. Mais je vais tenir bon, je ne veux pas que cet imbécile ait le dernier mot. Il m’a fait trop de mal et mon cœur ne survivrait pas à un deuxième abandon.

Je finis de préparer mes affaires pour me rendre au théâtre. Aujourd’hui, je risque bien d’être en retard, je le sais, même avec un petit sprint, je ne suis pas sûre d’être à l’heure. Je me vois bien arrivée toute rouge, essoufflée et incapable de faire quoi que ce soit à cause d’un vulgaire point de côté. Je doute qu’Al et John soient très contents. Enfin si je me dépêche, je pourrais n’avoir que le quart d’heure de politesse.

Mais c’est sans compter sur mon amie la météo, il pleut des trombes d’eau. Génial, je n’ai même pas pris la peine de regarder dehors. Pour moi, le mois de juillet signifie soleil et chaleur. Un jour pluvieux comme aujourd’hui n’est pas du tout dans mes plans. Je referme la porte de l’immeuble et rebrousse chemin jusqu’à mon appartement. Pas le choix, ce sera un ciré à capuche, un parapluie et une tenue de rechange pour plus tard histoire de ne pas attraper la grippe.

J’arrive enfin au théâtre, les jambes trempées, mon imperméable dégoulinant, et les cheveux collés par la sueur d’avoir au final couru tout le long de la route.

En passant la porte du vestiaire, je m’aperçois qu’un groupe y est encore. J’entends une voix féminine demander aux autres :

— Vous ne le trouvez pas canon Lazlo ?

— Carrément, j’en ferais bien mes quatre heures.

— Je ne dirais pas non s’il me proposait de m’amuser un peu.

— Je crois que j’ai une touche avec lui, reprend la première voix. Il m’a invitée à rester après les cours ce soir pour me donner quelques astuces techniques. J’espère qu’elles ne sont pas uniquement d’ordre professionnel et qu’il me montrera quelques figures plus intimes.

Les trois femmes pouffent à cette dernière remarque tandis que moi, je ressens un pincement au cœur en apprenant leur rendez-vous. J’entre tout de même et les salue. Je reconnais Gaëlle, Jessica et Manon, le trio d’inséparables comme elles sont déjà surnommées par les autres membres de la troupe. Je me hâte de me changer, tout en écoutant d’une oreille distraite, le reste de leurs allusions graveleuses sur Lay. Qui a dit que les filles étaient sages ? De vraies prédatrices.

Cela réussit à me faire prendre conscience d’une chose : je suis jalouse. Me l’avouer me fait mal, mais je ne peux pas faire comme si ce sentiment n’existait pas. Ce soir, je vais l’attendre. Pour lui dire quoi ? Je n’en sais rien, en revanche je ne suis pas prête à le voir parader au bras d’une autre sous mon nez.

Il a fait le premier pas, à moi de faire le deuxième.

La journée passe très lentement, trop lentement. Je n’arrive pas à me concentrer sur autre chose que sur le rendez-vous entre Lay et Gaëlle. Al n’arrête pas de me reprendre, car aucun de mes mouvements n’est précis ni maîtrisé.

— Si tu continues sur cette lancée toute la semaine Eliora, je vais être obligé de te faire bosser le soir pour que tu sois au point le jour J, me rabroue-t-il. Tu es complètement à l’ouest. Allez, on enchaîne, mais mets-y du tien !

— Pardonne-moi, j’ai la tête ailleurs, m’excusé-je.

— Oui, ben reprends-toi, et laisse tes problèmes aux vestiaires s’il te plaît. On a du pain sur la planche cette semaine.

Mais rien n’y fait. Ce qui m’amène à ma deuxième prise de conscience du jour, je tiens encore à Lazlo, et pas seulement en temps qu’amie. Il faut absolument que je lui parle avant son cours privé avec Gaëlle, sinon, c’est foutu.

C’est comme ça que je me retrouve à faire le pied de grue devant la porte de la salle où il est actuellement. Eh oui, bien malgré moi, je sais exactement ce qu’il fait de ses journées. En fait, à trop chercher à l’éviter, je suis devenue l’inverse d’une groupie. Je le piste pour le fuir. Complètement puérile comme réaction, mais je n’y peux rien. Sauf aujourd’hui, où je veux prendre le taureau par les cornes et l’affronter. Nous avons fini un peu plus tôt pour mon plus grand bonheur, et surtout pour ne pas me blesser tellement j’ai la tête ailleurs. Ce qui me permet de patienter, tout en étant douchée et présentable.

Au bout d’une dizaine de minutes, les premiers membres du groupe sortent en me saluant. J’attends qu’il ne reste plus que Lay dans la salle pour entrer, mais malheureusement pour moi, Gaëlle est toujours à l’intérieur. Je me fais discrète, mais Lazlo me remarque quand même alors que j’allais m’en aller. Je l’entends s’excuser auprès de Gaëlle et il ne met que quelques secondes avant de se retrouver devant moi.

— Salut.

— Salut.

Non, mais, à quoi je joue ? Sérieusement, on dirait deux collégiens. On est ridicule.

— J’ai quelque chose à te demander, me lancé-je. Mais je ne voulais pas interrompre quoi que ce soit.

Je feins de ne pas savoir qu’il a un cours particulier avec Gaëlle. Pour qui passerais-je sinon ?

— Pas de soucis, je t’écoute, m’encourage-t-il.

— Si tu as le temps un de ces soirs, on pourrait aller boire un verre, en souvenir du bon vieux temps.

— Ah, ah, ah…