Fyctia

Je lui cours après, je n’y crois pas. Cela fait maintenant six semaines que la troupe s’est mise au travail. Conformément à ce qui a été convenu le premier jour, c’est Al qui s’occupe exclusivement de Lia. Moi, je ne la vois que de loin, de très loin même. Je ne pensais pas qu’il était si facile de se cacher de quelqu’un alors qu’on fréquente les mêmes personnes et les mêmes lieux.

Ce soir, l’équipe a envie de sortir faire la fête. Tout le monde est invité pour célébrer la première date officiellement confirmée pour notre show. Dans un an, nous monterons sur scène pour épater le public, enfin, je l’espère. Cette bonne nouvelle arrive à point nommé pour booster le moral de l’équipe et augmenter la productivité des répétitions. Au moins jusqu’à ce que toutes les chorégraphies soient apprises. Le perfectionnement demande plus de rigueur, mais les journées seront moins intenses pour diminuer tout risque d’accident.

Je rentre chez moi, la tête dans mes enchaînements, lorsque je vois Al qui me scrute depuis le bar de la cuisine.

— Pas de conneries ce soir avec Eliora, me prévient-il sur un ton presque paternel.

— Aucune raison, elle m’évite comme la peste, rétorqué-je avec un air condescendant.

J’ouvre le frigo pour prendre une bière. La première gorgée me fait du bien. C’est le signe que la semaine est finie. Enfin !

— Justement, cette femme est une perle, la remplacer après autant d’efforts me ferait vraiment chier, vieux. Alors, reste loin d’elle et ne la provoque d’aucune manière.

Plus facile à dire qu’à faire. Personnellement, je cherche depuis un moment à tout faire pour qu’on se croise « par hasard ». Mais elle réussit toujours à prendre la tangente.

Pour ma part, je lui dois une explication et si la moindre occasion se présente, je lui sauterai dessus sans hésiter. Pas sexuellement, même si cela ne me dérangerait pas. Des images de nous deux, nus dans mes draps, s’imposent à mon esprit. Ses lèvres délicates capables du meilleur, ses mains devenues expertes au fil de nos ébats, son regard sulfureux à chaque fois que je l’amenait à l’extase, ses jambes musclées enserrant ma taille…

MERDE !

Je me sens à l’étroit dans mon boxer au simple souvenir de son corps.

Je prends une douche froide qui réussit à faire redescendre la tension. Je taille ma barbe de trois jours savamment entretenue, ébouriffe mes cheveux encore humides auxquels j’ajoute une pointe de gel me conférant un look « saut du lit » soigneusement étudié. Direction mon armoire où je m’habille pour la soirée. J’aime ce qui est simple. J’opte pour une chemise noire déboutonnée sur le dessus dont je retrousse les manches, un jean foncé et mes éternels sneakers au pied. Nous sommes en plein été, il fait encore chaud à l’extérieur. Je prends juste un blaser sous le bras au cas où le fond de l’air se rafraîchirait durant la soirée. Nous avons rendez-vous dans un endroit branché de la ville où ils passent du bon son et servent d’excellentes bières. C’est ma boisson favorite. Je ne dis pas que je n’apprécie pas un bon verre de vin, je préfère une chope du liquide ambré et pétillant.

Lorsque nous arrivons, tout le monde est installé. Le bar est chic en apparence, tout en noir et blanc, il y a plusieurs alcôves avec banquettes et table basse. Le devant du comptoir en plexiglas rétro-éclairé donne une touche fun à cet endroit. De notre côté, nous sommes installés à une grande table un peu à l’écart, ce qui ne me gêne pas. Je remarque même une piste de danse où, je sais par avance, que nous finirons tous. Passion oblige.

Je commande sans surprise une bière, une Edelweiss, ma préférée par cette chaleur. Les discussions vont de bon train. Je remarque Lia à l’autre bout de la table. Elle rit avec sa voisine de droite. Mon sang se glace lorsque je vois John, à sa gauche, lui chuchoter quelque chose à l’oreille. Elle secoue la tête avec l’air gêné avant de lui cogner dans le biceps, sa manière de réagir aux compliments n’a pas changé. Elle avait déjà la même à l’époque, et c’était ma mimique préférée, parce qu’ensuite, elle se blottissait contre moi et me disait d’arrêter de me moquer d’elle.

On tire sur ma manche, mon regard se décroche de Lia et reconnecte mes pensées par la même occasion pour se porter sur l’élément perturbateur. C’est Gaëlle, une des danseuses les plus acharnées, qui me demande si je veux l’accompagner sur la piste avec d’autres membres du groupe.

Rien de tel pour me changer les idées.

Nous enflammons le dancefloor. Plusieurs couples se forment lorsque des sons plus latinos s’échappent des enceintes. Tango, salsa, mambo… je prends plaisir à improviser dessus. La sensualité qui se dégage de nos corps à corps attire les curieux autour de nous pour regarder. Avoir du public, je chéris cette sensation, surtout que ce dernier prend du plaisir en nous regardant.

Gaëlle est une incroyable danseuse, mais elle se rapproche de plus en plus de moi, allant même jusqu’à effleurer mes lèvres à la fin d’une rumba endiablée.

Je l’éconduis délicatement, et elle ne retente rien durant le reste de la soirée. Je change plusieurs fois de partenaires, découvrant les membres de la troupe sous un nouveau jour. Voilà pourquoi j’aime ça. Pour moi DANSER rime avec LIBERTÉ.