Fyctia

J’avais entièrement raison : le rythme s’est accéléré et les répétitions sont devenues de plus en plus intenses. J’ai l’impression de ne faire que du boulot-dodo. Les journées me fatiguent tellement qu’il m’est impossible de faire quoi que ce soit le soir en rentrant chez moi. Le repas et la vaisselle sont le grand maximum que je puisse donner, je suis obligée de m’acquitter du reste des tâches ménagères le week-end si je ne veux pas que mon appartement ne devienne une porcherie.

Demain c’est enfin samedi, mais pas n’importe lequel, c’est la fameuse journée en « famille » avec la troupe. Je suis ravie de partager un moment hors boulot avec mes nouveaux amis. Lazlo ne nous a donné, pour seules indications, que le lieu du rendez-vous qui est le théâtre et la tenue sportive à mettre, tout en ayant prévu des vêtements de rechange décontractés pour la soirée. Je me demande bien ce qu’il a prévu, mais il ne me reste qu’une petite heure à patienter avant de découvrir de quoi sera faite cette journée.

— Salut à tous, nous accueille Lazlo. Je suis content de vous retrouver aujourd’hui. J’avoue qu’il m’est de plus en plus difficile de garder le secret alors que Al me questionne quotidiennement car il est autant dans le flou que vous.

Tout le monde rigole, sauf Al qui lui assène une tape derrière la tête.

— C’est parti mon kiki, le bus nous attend.

Nous contournons le bâtiment et montons dans le fameux bus vers la destination inconnue.

Nous roulons une demi-heure avant de s’arrêter à l’entrée d’un parc. De l’extérieur, il n’a rien de spécial. Je n’ai juste pas envie de faire une après-midi yoga. Ça j’en fais tous les soirs à la maison avant mes étirements en rentrant du boulot.

Lazlo s’avance vers un guichet que je n’avais même pas vu et nous fait signe d’entrer dans le garage derrière la bicoque. Il fait nuit noire là-dedans. Quelqu’un m’empoigne le bras, et me chuchote de lui faire confiance. En même temps, qu’est-ce que je pourrais faire d’autres ?

On nous équipe d’une combinaison intégrale et d’un masque avant de nous placer à la queue leu leu. Je commence à avoir une petite idée sur l’animation qui nous attend.

Je ne me suis pas trompée : du paintball. Je n’en reviens pas, cette activité m’a toujours attirée et je n’ai jamais sauté le pas de m’y essayer. Je suis toute excitée à l’idée de faire ça.

Les équipes sont déjà constituées. Un moniteur du centre nous explique les règles et les interdits, avant de nous lâcher dans les bois.

Pour ma part, j’ai à mes côtés John, mon duo, Al, et un autre groupe de danseurs dont ce dernier s’occupe. Ils ont eu la bonne idée de ne pas séparer les chorégraphes de leurs protégés. J’imagine que c’est pour resserrer les liens entre les membres. Et nous voilà partis. Près de deux heures à courir en courtes sessions de dix minutes, pour échapper aux billes de peinture, ce qui ne marche pas à chaque fois malheureusement, et à viser nos adversaires pour essayer de marquer des points, nous sommes tous lessivés. L’activité est intense et nous sommes heureux lorsque la plupart des participants n’ayant plus de munitions, le combat s’achève. De retour au bercail, on analyse les dégâts. Certaines balles nous ont laissé de jolies traces sur la peau alors que d’autres ont réussi à traverser la combinaison. Les plus touchés d’entre nous de voient avec des vêtements d’une nouvelle couleur.

De mon côté, je m’en sors pas trop mal, mes chaussures sont bonnes pour un récurage en profondeur et mes cheveux ne retrouveront leur teinte naturelle qu’après plusieurs shampoings, mais pas d’autres dégâts à déplorer pour le moment.

C’est l’heure d’aller manger, j’ai hâte de me restaurer et je pense que je ne suis pas la seule.

Juste à l’extérieur, à l’abri des arbres, nous n’avions pas vu qu’un cabanon y était dissimulé. Il doit s’agir d’une ruse pour que les joueurs novices comme nous ne commencent pas par le bar avant d’aller jouer.

— La première est pour moi, lance Lay, le sourire éclatant.

Je reconnais à cet instant ce qui m’a séduit chez lui à l’époque. Cet homme authentique, sûr de lui, qui se fout du qu’en-dira-t-on. Avoir une meilleure amie ne l’a pas forcément aidé à se faire des copains, trop souvent traité de tapette et d’autres insultes du genre, beaucoup moins polies. Ça ne s’est pas arrangé lorsque sa passion pour la danse est devenue une part entière de sa vie. Moi je le comprenais, mieux que personne, et c’est ce qui nous a permis de nous épanouir autant. « Aucun jugement, toujours honnête, à jamais amis »… Notre devise, enfin ça l’était, elle a pris fin en même temps que ses appels et ses nouvelles. Même si ma volonté de le maintenir à distance s’étiole au fil des jours qui passent, je veux tenir bon, histoire de lui faire comprendre ce par quoi je suis passée ces dernières années. Ma colère est encore bien présente alors que je refuse d’écouter ses explications. Il a une demi décennie de retard.

Bon, on meurt de soif et de faim. Personnellement, j’opte pour un burger avec des frites, une bière et un grand verre d'eau. Si je ne veux pas finir sous la table avant ce soir, j’ai intérêt à modérer ma descente, même si cela fait longtemps que je ne me suis pas lâchée. Les fois précédentes se sont avérées désastreuses quand on voit le genre de phénomène que j’ai ramené à la maison à ces occasions. Le pire a été le grand costaud footballeur qui, non content de me raconter ses exploits sexuels avec les autres nanas, par le menu sinon ce ne serait pas drôle, a voulu remettre le couvert bien trop de fois comparé à ce que j’étais capable d’endurer. Je me demande bien comment il fait, car moi, mon intimité me criait d’arrêter. Une activité aussi intense m’a laissée endolorie pour la semaine qui a suivi.

Mes pensées se recentrent sur ce qu’il se passe autour de la table, j’ai l’impression de me disperser beaucoup plus que d’habitude ces derniers temps. J’espère que ce n’est que passager et dû à ma proximité avec lui.