Fyctia
2 - Eliora
— Si la candidate n° 198 veut bien s’avancer.
Machinalement je regarde mon dossard, oui c’est bien le mien. Je m’avance au centre de la scène sans écouter le reste de ses paroles. Toutes mes concurrentes quittent la scène et je me sens nue et observée.
— Pouvez-vous me donner votre nom ? demande un des membres du jury.
— Alima, Eliora Alima, me présenté-je.
— Nous sommes enchantés, madame, félicitations pour ce rôle. Nous avons été conquis.
Je n’en crois pas mes oreilles, enfin un premier rôle. Dans ma tête je bondis de joie, je saute, je crie, mais j’arrive à ne laisser transparaître qu’un très grand sourire.
— Je suis Al, se présente l’un des deux hommes qui semblent mener la danse.
Les lumières qui m’aveuglent baissent d’intensité pour que je puisse les voir.
Mon regard se fixe sur mon interlocuteur.
— Votre prestation nous a convaincus. Nous allons vous contacter pour les formalités et le planning. Avez-vous des questions ?
— C’est parfait, m’enthousiasmé-je. J’ai hâte de commen...
Et là, je me fige. L’homme qui était debout vient de s’avancer. Mon regard capte le sien, et à ce moment-là, je le reconnais, Lazlo Taylor.
Je n’en reviens pas qu’il ose revenir en ville pour monter un spectacle de danse. Jamais, je ne me suis doutée qu’il puisse être derrière le projet. Sur la brochure, le nom du chorégraphe est celui du duo ALLAY, mais comment j’aurais pu imaginer qu’il en fasse partie ? Le rôle ne me paraît plus aussi alléchant d’un coup. Je songe même à le refuser. Savoir qu’il va travailler avec moi pendant une très longue période tout en imaginant qu’il va royalement m’ignorer comme ces dernières années, je n’en ai ni l’envie ni le courage.
— Je vous remercie pour le rôle, prononcé-je finalement, difficilement, mais je me vois dans l’obligation de...
— Pouvez-vous nous laisser seuls un moment, me coupe Lazlo en s’adressant aux membres du jury.
— Nous allons prendre l’air, acquiesce le fameux Al.
Il parle à l’oreille de Lay et s’en va, suivi des deux autres membres du jury.
Pour ma part, j’en profite pour prendre la tangente, mais au moment de passer la porte, une main m’agrippe le bras. Je m’arrête, mais ne me retourne pas. Aucune envie de lui faire face.
— Lia, regarde-moi, me souffle-t-il en m’attirant contre lui. S’il te plaît.
Mais je me dégage d’un coup sec. Pour qui se prend-il ? Je rétorque d’un ton amer :
— Tu n’as aucun droit de me demander quoi que ce soit. Tu l’as perdu le jour où tu as cessé de vouloir communiquer avec moi.
— Je ne suis pas là pour m’excuser, mais c’était la meilleure solution pour moi à l’époque.
— Pour toi peut-être, mais à aucun moment tu n’as pensé à moi. Alors tu sais quoi, ton rôle, garde-le pour une autre, moi je n’en veux pas. Tout comme je ne veux plus avoir à faire à toi.
Sur ses paroles, je repars vers la sortie. Le laissant seul.
Après un passage éclair aux vestiaires pour récupérer mes affaires, je sors enfin du bâtiment. Je prends une très grande inspiration pour calmer mes nerfs à vif.
— Hey, m’interpelle une voix dans mon dos.
Je me retourne et regarde le collègue de Lay s’approcher.
— Qu’est-ce que cet abruti a encore fait pour vous faire partir et refuser le premier rôle du spectacle de l’année ? demande-t-il en ajoutant un clin d’œil pour appuyer sa dernière remarque.
— Ce sont de vieilles histoires. Demandez-lui, je suis sûre qu’il sera ravi de vous la raconter.
— Une ex qu’il n’a jamais rappelée, hein ?
En plein dans le mille.
— En version courte, c’est à peu près ça.
— Je ne pourrais pas vous faire changer d’avis ? Je suis convaincu que ce rôle est fait pour vous.
— À moins de m’assurer que je n’aurai jamais à faire à lui, c’est malheureusement impossible.
Il se gratte la tête et me fait signe de patienter en pianotant sur son téléphone. Il le met à son oreille et s’éloigne de moi. Le bruit de la circulation couvre celui de sa conversation. J’ai l’air d’une idiote à attendre comme un piquet au milieu de la rue. D’autant plus que je suis toujours en habits de danse, n’ayant pas pris le temps de me changer tellement j’étais pressée de sortir du théâtre. Il commence à faire frais : en débardeur en plein mois d’avril, ce n’est pas vraiment la tenue idéale. Ma grand-mère me dirait un vieux dicton : « En avril, ne te découvre pas d’un fil. Je sors donc mon gilet de mon sac et l’enfile au moment où Al revient vers moi.
— C’est réglé, m’annonce-t-il.
— Qu’est-ce qui est réglé ? demandé-je, pas sûre de bien comprendre.
— Je serai votre unique chorégraphe et entraîneur. Vous n’aurez pas à faire à Lay.
Je n’en reviens pas. J’ai vraiment dû faire sensation pour qu’on me retienne comme ça. J’ai l’impression d’être une diva et je n’aime pas ça.
— Merci pour ce que vous faites, mais je ne me sens pas à l’aise avec ce traitement de faveur, m’excusé-je.
— J’aimerais beaucoup que vous acceptiez notre proposition, vous avez tout ce que nous recherchons chez une danseuse.
— Bon, et après tout, pourquoi pas. Mais au moindre manquement à notre accord, vous devrez vous passer de moi.
— Ça, je l’avais bien compris. Bienvenue dans la troupe, madame Alima.
— Eliora, je vous prie.
— Avec plaisir Eliora.
Nous nous saluons et repartons chacun de notre côté. Je marche une bonne demi-heure jusque chez moi, j’en avais un grand besoin pour évacuer les émotions de la journée. Une fois fraîchement douchée, j’appelle ma sœur Inès. J’ai envie de me confier et c’est la mieux placée pour m’écouter. Le rendez-vous est pris dans notre bar habituel. Un moment entre filles, c’est exactement ce qu’il me faut.
Accoudée au comptoir comme à notre habitude, ma sœur m’écoute attentivement relater les faits de la journée.
— Non, mais tu imagines ? la sollicité-je, ahurie.
— C’est toi qui t’es présentée à l’audition. Connaissant vos métiers, il était inévitable que vous finissiez par vous croiser, répond-elle.
— Tu rigoles, il était à l’autre bout du pays, et là il débarque de nouveau en ville.
— Je sais que tu aimerais que je sois à cent pour cent de ton côté, mais ses parents sont toujours ici. C’est déjà un exploit que tu ne l’aies pas vu ses dernières années.
— Parce que tu l’as peut-être croisé, toi ?
— Évidemment, il s’est arrangé pour que vous ne vous croisiez jamais lorsqu’il était en ville. Mais là, c’est quand même bien toi qui t’es présentée. Quoi qu’il en soit, son associé t’a promis que tu n’aurais pas à faire à lui. Je trouve juste que ta réaction est puérile.
— Nianiania, marmonné-je en levant les yeux au ciel.
— Qu’est-ce que je te disais, une vraie gosse ! se moque ma sœur.
Je veux bien le lui accorder, elle n’a pas tout à fait tort. Les évènements de la journée m’ont mis les nerfs en pelote et je n’arrive pas à gérer le trop-plein d’émotions qui me submergent.
— Accorde-moi le fait que c’est lui qui a coupé les ponts, j’ai le droit de lui en vouloir, terminé-je voulant à tout prix avoir le dernier mot.
— Bien sûr, mais grandis un peu ! La vie est trop courte.
Elle n’a jamais eu autant raison qu’avec ses simples mots.
54 commentaires
Roselyne Simone Paquier
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Il y a 3 ans
Ady
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Il y a 5 ans
Rose Lb
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Charlie L
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Sand Canavaggia
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Charlie L
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