Sophie F. Morvant Dimension Tome 1 : Les portails de l'Ombre Chapitre 17.1

Chapitre 17.1

Le Dr. Hall griffonne quelques mots sur son dossier. L’espace de son cabinet est assez agréable et chaleureux. Deux fauteuils en cuir font face à son bureau et des étagères de livres ornent les murs. Du côté de la baie vitrée, une fougère agrémente l’espace de thérapie. Assise sur un divan plutôt confortable, je réponds du mieux possible à ses questions.


— Avez-vous récemment vécu un traumatisme quelle qu’en soit la forme ?


J’hésite un moment. C’est déjà la deuxième séance avec le Dr. Hall et il ne peut s’empêcher de me poser les mêmes questions que la dernière fois.


— La mort de mon père.


Je connais son objectif. Parler pour extérioriser.


— Bien.


Il prend scrupuleusement note de chacun de mes mots. Je le soupçonne même d’observer ma posture et, par conséquent, d’analyser chacun de mes gestes.


— C’est important que vous en ayez conscience. Se pourrait-il que le traumatisme de la mort de votre père soit directement lié à vos rêves ?


Cette question provoque en moi une réaction épidermique. Je me braque.


— Je n’en sais rien… Et vous ? Qu’en pensez-vous ? C’est vous le professionnel, après tout !


Je donnerais tout pour ne pas être là. Mais la thérapie individuelle n’a rien à voir avec celle de groupe. Il n’y a aucune échappatoire qui s’offre à moi cette fois.


— Vous savez, dit-il en déposant ses lunettes sur l’une des tables gigognes, beaucoup de personnes vivant un traumatisme similaire au vôtre mettent des mois, voire des années à s’en remettre.


Il sort de sa poche une petite pièce de tissu ourlée sur les côtés et entreprend de nettoyer consciencieusement les verres de ses lunettes.


— La perte d’un être cher, dans le cas présent votre père, n’est pas une situation anodine. Votre corps est sous le choc. Il essaie de vous communiquer quelque chose.


Dites-moi donc quelque chose que j’ignore, Dr. Hall…


— Prenez par exemple, dans votre premier songe, la représentation de cette grande horloge qui tourne. Dans quel sens allait-elle ?


— Je vous l’ai déjà dit. Elles tournaient dans le sens inverse des aiguilles d’une montre.


Il marque un temps d’arrêt, manifestement satisfait d’une réponse qu’il connaissait déjà.


— Voilà. Et à quelle heure s’est-elle finalement arrêtée ?


— À 03h00, vous le savez bien, dis-je exaspérée.


Il tourne les pages de son dossier.


— Votre subconscient essaie donc de vous transmettre un message. Il essaie de remonter le temps. Peut-être souhaite-t-il retourner dans votre passé. Est-ce que cette heure vous évoque quelque chose de particulier ?


Il marque un point car je n’avais pas encore fait ce parallèle. Je sais précisément à quoi cette heure peut se référer, mais je n’ai absolument pas envie de lui en parler.


— À l’heure à laquelle je me réveille à chaque fois que je rêve.


— En effet. Maintenant il va nous falloir comprendre pourquoi c’est toujours à cette heure que vous vous réveillez. Combien de personnes votre cellule familiale comptait-elle avant la disparition de votre père ?

Il me prend pour une idiote.


— Ai-je vraiment besoin de répondre à la question, Dr. Hall ?


Il doit me trouver piquante. Ma question à peine teintée d’ironie lui déplait tellement qu’il enchaîne sans délicatesse.


— Vous étiez trois. Votre mère, votre père et vous. Ne se pourrait-il pas que cette fameuse heure soit intimement liée à cela ?


Je ne suis pas certaine d’apprécier les thérapeutes qui savent exactement où ils veulent amener la réflexion, mais qui formulent leurs questions de façon à ce que leur patient prenne conscience des liens à tisser au fur et à mesure de ce match de ping-pong faussement intellectuel.

Je m’enfonce un peu plus dans le divan.


— Je n’en ai aucune idée…


— Mlle Porter, reprend-il en poussant un profond soupir, est-ce que je me trompe si je vous dis que vous connaissez parfaitement chacune des réponses à mes questions ? Je vous comprends bien plus que vous ne semblez le penser.


Je lève un sourcil interrogatif.


— Je ne suis pas votre ennemi, Mlle Porter. Je suis là pour vous accompagner dans votre quête de réponses. Peut-être que ma démarche ne vous plaît pas. À en croire votre attitude fermée - il désigne mes bras fermement croisés sur ma poitrine - j’en conclus que vous ne souhaitez pas poursuivre nos séances.


Il se lève et fait quelques pas en direction de la fenêtre.


— Pourtant, quelque chose vous retient ici… Vous êtes intriguée, n’est-ce pas ? demande-t-il en tournant la tête dans ma direction, un sourcil haussé, accompagné d’un sourire de satisfaction sur ses lèvres.


Cette fois, il a su attirer toute mon attention. En signe de trêve, je me détends et me redresse pour me mettre dans une posture plus propice à la conversation.


Il comprend ma démarche, retourne à sa place et nous nous mettons enfin à travailler en collaboration.


— Voilà ce que je pense, Mlle Porter. Le chiffre trois symbolisait beaucoup pour votre esprit. Peut-être même quelque chose que nous ne comprenons pas encore. Lorsque votre père est décédé et que vous avez laissé votre mère seule à San Francisco, vous avez choisi de rompre cette dynamique du trois. Votre esprit tente de vous en faire prendre conscience.


J’ai demandé ma mutation, oui. J’avais besoin de m’éloigner, oui. Mais jamais je n’ai choisi que mon père nous quitte. Oui, peut-être que ce fameux « trois » représente notre cellule familiale, mais la conclusion du Dr. Hall est vraiment imparfaite, tout du moins incomplète.


— Vous dites que vous rêvez souvent de ce garçon. Matt. Pouvez-vous m’en parler un peu ?


L’entendre prononcer son nom ébranle mes remparts.


— C’est un homme plein de charme et d’empathie. Nous nous connaissons depuis peu, pourtant il est très présent. Il se montre facilement disponible et nous nous confions beaucoup l’un à l’autre.


Il acquiesce en consignant cette nouvelle donnée.


— Et que représente-t-il pour vous ?


J’ignore ce qu’il représente, mais je sais en revanche ce que je ressens. Je déglutis pour tenter d’apaiser la boule qui m’empêche de respirer correctement.


— Je me sens bien avec lui.


Le Dr. Hall se racle la gorge.


— Et y a-t-il un autre homme, au cours de votre vie, avec lequel vous vous soyez aussi bien sentie par le passé ?


J’hésite un instant. Mes yeux se mettent à picoter sévèrement. Une fine larme glisse le long de ma joue. Il connaît la réponse. Tout le monde la connaît.


— Mon père…


— C’est exact.


Il me regarde et hoche de la tête en guise de sympathie. J’ignorais que les psychologues en étaient capables.


— Vous sentez-vous prête à poursuivre ? me demande-t-il gentiment.


Je réponds d’un signe de tête par l’affirmative, incapable de formuler pour l’instant le moindre mot.




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4 commentaires

Karine Carville

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Il y a 2 ans

Allez, plus vite !!!

Sophie F. Morvant

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Il y a 2 ans

🤣🤣🤣

Sarah B

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Il y a 2 ans

Me voilà à jour.

Sophie F. Morvant

-

Il y a 2 ans

Merci 🙏🏻
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