Sophie F. Morvant Dimension Tome 1 : Les portails de l'Ombre Chapitre 14.1

Chapitre 14.1

Cette fois, je ne lui cache rien. Absolument rien. Ma mère m’écoute d’une traite, impassible, sans faire le moindre commentaire au sujet de mes peurs, de mes rêves, de Connor ou encore de Stacy. Elle ne me fait même aucune remarque pour l’avoir dérangée en plein pendant ses heures de travail. Contre toute attente, elle se montre même très compréhensive. En revanche, le ton de sa voix ne me trompe pas. La récurrence des rêves que je fais l’inquiète beaucoup.


— Je contacte le Dr. Hall.


Pas ça…


— Il a bonne réputation à Los Angeles. C’est le Dr. Adams qui me l’a recommandé.


Ma respiration s’accélère. Les jardins du campus se mettent à voltiger devant mes yeux. Je me réfugie sur le premier banc que je vois. En un instant, tout ce que je redoutais se produit. Ma mère prend les choses en main. Elle est incapable de me prêter simplement une oreille attentive et d’être la protectrice que j’aimerais qu’elle soit. Non. Cela fait un peu plus d’une quinzaine de jours que nous nous sommes quittées et déjà elle ne me laisse pas le choix. Elle préfère tout contrôler, tout juger, tout analyser, sans même me laisser la moindre chance de gérer mes propres problèmes en tant qu’adulte.


— Maman, ça va aller, la rassuré-je légèrement exaspérée.


— Non, ça ne va pas, Abby. Non seulement ça recommence, mais j’apprends également que tu n’as même pas pris la peine de me parler plus tôt de tes rêves étranges ! Je me doutais que la perte de ton père risquait de te fragiliser. Tout ceci n’est pas sain… Tu dois te faire suivre.


Je me décompose. Ma mère doit probablement le ressentir, car elle se râcle la gorge avant d’employer un peu plus de douceur.


— C’est pour ton bien, ma chérie…


J’ai tout sauf envie de recommencer une thérapie dans le but d’analyser les songes qui me hantent la nuit. La première fois que l’on m’a forcée à en suivre une, de longs mois se sont écoulés avant qu’on m’autorise à l’arrêter. Les séances individuelles n’étaient pas trop éprouvantes, mais celles de groupes constituaient pour moi une véritable épreuve. Les tours de parole avaient fait partie des moments les plus difficiles que j’avais eu à affronter. Devoir se mettre à nu et se confier devant un groupe d’inconnus n’a rien de simple. Alors évidemment, quand on a treize ans et que le groupe de parole est majoritairement composé d’adultes, on ne se sent pas à sa place. Je me retrouvais chaque jeudi, pitoyablement assise en rond à devoir écouter chacun des patients se plaindre de leur condition, tout en m’exposant aux regards vides des autres participants. Et évidemment, lorsque mon tour venait, le désintérêt faisait place à la compassion pour certains, et à des mimiques grimaçantes pour d’autres. Me confronter à chaque détail de mes cauchemars pour tenter d’y trouver une soi-disant raison logique me faisait revivre éveillée mes angoisses les plus profondes.


Cette période de ma vie a été extrêmement éprouvante, difficile et j’ai eu bien quelquefois envie de tout abandonner. Mais la pression qu’exerçaient mes parents ne m’avait pas laissé voix au chapitre.



À proximité de moi, tous semblent absorbés par leur travail. Le silence qui règne dans la bibliothèque Powell est apaisant. Les grands étalonnages de livres recouvrent les parois, toutes surmontées de grandes arches de verre. Seule à mon bureau, je referme mon carnet et le range dans mon sac. C’est finalement le seul thérapeute personnel que je connaisse ces temps-ci et je suis assez satisfaite d’avoir couché sur le papier ces réminiscences venues d’un autre temps, qui me rongeaient depuis la dernière conversation que j’avais eue avec ma mère.



Dans l’après-midi, le club de lecture se réunit pour la première fois à l’ombre des arbres du parc Meyerhoff. Chaque membre a reçu comme consigne d’apporter, lors de la première rencontre, un livre qu’il avait apprécié. L’idée est de présenter à tour de rôle une œuvre que l’on apprécie ou d’en lire un passage. Connor a tenu sa promesse en me présentant aux anciens membres, ce qui contribue à me mettre à l’aise.


Nous sommes une petite quinzaine lorsque la réunion débute. Sans le regarder, je peux sentir que Connor ne cesse de me dévisager, même lorsqu’il s’adresse à d’autres personnes. Le silence est demandé afin que le président puisse démarrer officiellement la séance. Je manque de m’étouffer quand je vois Connor se lever, remerciant chaleureusement celui qui vient de lui céder la parole. Je suis agréablement surprise, non seulement par la fonction qu’il occupe au sein du club, mais également par le charisme qu’il dégage en parlant avec passion des écrits qui l’ont poussé à devenir étudiant en littérature.



Au cours de l’heure qui suit, tous sont attentifs aux propos de leurs camarades. Ils débattent de diverses thématiques abordées ou du style d’écriture employé. Je suis vraiment contente de m’être inscrite dans ce club car à la fin de la réunion, je quitte le groupe avec trois nouvelles recommandations de livres à lire.


Afin d’éviter de me retrouver seule avec Connor, je m’éclipse discrètement en longeant l’avenue principale à grandes enjambées. Après quelques mètres, des pas rapides se rapprochent de moi.


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2 commentaires

Kevin Karbowiak

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Il y a 2 ans

Hello à jour pour toi !

La Plume d'Ellen

-

Il y a 2 ans

Petit coup de main 😉
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