Fyctia
Chapitre 14.2
— Abby ! Attends !
Connor se plante devant moi et m’oblige à lui faire face. Je prends une profonde inspiration et reste de marbre. Mon impassibilité doit le surprendre car il ne dit rien de plus.
— Laisse-moi passer, finis-je par lâcher froidement.
— Mais enfin Abby, qu’est-ce qu’il t’arrive ?
Il semble interloqué par ma réaction, presque déstabilisé. À croire qu’il n’a pas remarqué le malaise omniprésent dès que Stacy est dans les parages.
— Écoute, je vais être franche. Tu es quelqu’un d’adorable et de très séduisant, mais ça s’arrête là. Ça doit s’arrêter là.
J’ignore si je dois considérer son air impassible comme quelque chose d’agaçant ou de terriblement attirant, mais il est préférable que je lui exprime tout ce que j’ai sur le cœur.
— Si je veux prendre ma vie en main et m’engager chez les Sigma cette année, je dois faire des choix. J’ai tout sauf envie de commencer ma nouvelle vie dans une sororité avec un handicap.
Cette dernière phrase le fait sourire.
— Tu me traites de handicap maintenant ? plaisante-t-il.
Je prends immédiatement conscience de mon erreur.
— Tu ne comprends pas, Connor… Je t’aime beaucoup, mais…
Il lève un sourcil, manifestement curieux de ce que je vais ajouter. Je me reprends.
— Je t’apprécie beaucoup, mais je ne veux pas être forcée de devoir choisir entre Stacy et toi. Je rencontre déjà assez de difficultés avec elle sans que je me mette en plus des bâtons dans les roues.
Il recule de quelques pas et croise les bras sur sa poitrine. Son regard s’assombrit quelque peu.
— Je peux savoir ce qu’elle t’a dit au juste à mon sujet ?
Je soupire, baisse les yeux et prends une lente, mais néanmoins profonde, inspiration.
— Tu vas trouver ça ridicule… Mais pour bien comprendre ce qu’il s’est passé, il faut que je te raconte mon arrivée chez les Sigma. Ma mère m’avait recommandé de bien m’habiller pour me rendre aux portes ouvertes des sororités. Lorsque je suis arrivée chez les Sigma, Stacy a pris ma tenue pour une provocation.
— Une provocation ?
Il fronce les sourcils.
— Suite à la soirée des confréries… J’en ai déduit qu’elle semble dérangée par le fait de nous avoir vus flirter ensemble. Je lui ai affirmé qu’il ne se passait rien entre nous.
Les traits de Connor se détendent. Il me dévisage paisiblement, un petit sourire naissant au coin des lèvres. Aucun signe d’agacement ne vient troubler la beauté de ses traits.
— Ensuite ? demande-t-il pour me forcer à aller un peu plus loin dans les confidences.
— Elle a dit qu’elle te connaissait bien et elle m’a conseillé de faire attention.
Je prends garde de bien peser chacun de mes mots. Connor ne dit rien. Il se contente de m’observer en train de lentement me décomposer devant lui.
— Je ne sais pas trop ce qu’elle a voulu dire, mais j’en ai déduit qu’elle m’en veut pour une chose que j’ignore.
Je n’aurais pas dû en dire autant. Après tout, j’ignore quelle est la nature de leur relation, ou s’il a pu se passer quoi que ce soit entre eux par le passé. Peut-être même qu’il était sur le point de se passer quelque chose, mais je me suis immiscée entre eux sans même le vouloir.
— Et c’est ça qui t’a fait peur ?
Sa voix si douce m’extrait de mes pensées.
— Ça ne m’effraie pas, mais je viens d’arriver sur le campus et sincèrement, j’ai tout sauf envie de me mettre entre une autre femme et toi.
Ses yeux s’écarquillent. Il lève à nouveau un sourcil, écarte les bras et, contre toute attente, éclate de rire. Sa réaction me surprend.
— Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle !
Il se moque de plus belle. Son attitude commencerait presque à m’irriter si elle ne me déroutait pas autant. Néanmoins, je veux savoir ce qui provoque son hilarité.
— En fait, si tu traites toutes les femmes comme ça, je comprends pour quelle raison Stacy s’est autant énervée ! Es-tu seulement conscient que, pour une raison qui m’échappe, elle semble t’en vouloir ?
Une colère sourde gronde en moi. J’adopte un ton plus ferme auquel ni lui, ni moi, ne sommes habitués. J’ai bien peur que mes paroles aient dépassé ma pensée. D’un côté, je regrette l’impulsivité dont je viens de faire preuve. Mais d’un autre côté, il n’existe pas de meilleur moyen pour que la vérité éclate. J’espère seulement que Connor fera preuve de franchise pour que je sois rapidement fixée sur la situation.
— Bien sûr que Stacy m’en veut ! Elle ne peut que m’en vouloir et elle continuera de le faire ! s’époumone-t-il les bras levés au ciel, avec une pointe d’ironie dans ses paroles.
Sa réponse me fait sortir de mes gonds. Je sens mes joues s’empourprer et je m’efforce de serrer les poings et la mâchoire pour me retenir de dire quelque chose que je pourrais regretter. Je rêve ou ce type est réellement ignoble ? L’image de l’homme si attentionné et charismatique que j’ai rencontré l’autre soir laisse place à un tout autre visage. Et ce que je vois ne me plait pas du tout.
— Mais, enfin ! C’est quoi ton problème, Connor ?
Je me surprends à m’entendre crier à travers tout le campus, comme une enfant capricieuse.
— Est-ce que tu as joué les pourris avec elle ? Dans le fond, c’est ça ta stratégie ? Tu les séduis toutes et ensuite tu finis par les abandonner pour passer à la suivante ?
J’aimerais pouvoir arrêter le fil de mes pensées, mais je crains qu’il ne soit trop tard. Je m’en veux de m’être autant laissée bercer d’illusions par un séducteur tel que lui. Connor n’est pas celui que je croyais.
— C’est peut-être même le sort que tu me réserves aussi ?
Un nouveau fou rire l’envahit. Son attitude insupportable me déçoit tellement que je me détourne de lui et reprends mon chemin à grandes enjambées.
— Abby ! crie-t-il. Tu n’as rien compris !
J’enchaine les pas et m’éloigne encore un peu plus rapidement. Je n’ai plus envie d’écouter le moindre mot de sa part. Comment ai-je pu me laisser aussi facilement berner ? Connor n’est qu’un chasseur de nouvelles proies, rien de plus. Je me suis fait avoir comme une débutante. Ma colère est telle que des larmes rafraichissent mon visage bouillonnant d’exaspération. Malgré mes pas élancés, Connor me rejoint facilement. Il finit par me stopper en me saisissant par le bras.
— Ne pars pas. Je vais tout t’expliquer, me supplie-t-il le souffle court.
Un bref instant de distraction le fait lâcher prise. J’en profite pour reprendre ma route à plus vive allure.
— Abby ! crie-t-il une fois de plus.
Je perçois sa voix qui continue de crier mon nom, mais je n’ai plus envie d’entendre le moindre mot sortir de sa bouche. J’ignore si ce sont les questions que j’ai posées qui me mettent dans cet état ou l’attitude désinvolte dont il a fait preuve, mais je me sens humiliée. Je crois n’avoir encore jamais ressenti pareille déception.
— Abby ! me supplie-t-il.
Je ne l’écouterai plus jamais. Tout du moins, c’est ce que je m’évertue à croire jusqu’à ce que je l’entende se justifier une ultime fois dans mon dos.
— Stacy est ma sœur !
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