Sophie F. Morvant Dimension Tome 1 : Les portails de l'Ombre Chapitre 13.1

Chapitre 13.1

Contrairement à ce que j’imaginais, les cours à UCLA sont bien moins astreignants que prévu. Heureusement, le fait de retrouver un certain rythme avec des journées bien remplies me permet de me structurer et de m’occuper suffisamment l’esprit pour ne plus penser à mes rêves étranges.


Au cours de la semaine qui vient de s’écouler, Meg a insisté plusieurs fois sur l’importance d’appeler ma mère. Mais je n’arrive pas à m’y résoudre pour le moment. Les dernières nuits ont été bien moins agitées. Moins effrayantes. Il me semble donc raisonnable de ne pas l’alerter pour le moment. Le stress engendré par le déménagement a certainement contribué à générer tout cet imaginaire.


Je m’abstiens de confier à mon amie que je continue de me réveiller toutes les nuits à la même heure. J’évite également de lui dire que je rêve toujours de Matt. Je préfère garder secrètement pour moi cet univers intime dans lequel je retrouve celui qui berce mes nuits.


C’est étrange de dire cela d’un être qui n’existe pas, mais avec lui, le temps n’a plus aucune importance. Nous promener, ou juste contempler l’océan depuis notre banc, c’est tout ce qui compte. C’est la seule chose qui me semble réelle lorsque je suis dans ma bulle. Notre banc. Notre refuge.


Étrangement, ce qui me démoralise beaucoup, c’est de ne jamais avoir conscience que je suis dans un rêve. Pas au début tout du moins. Tout est toujours un éternel renouveau. L’environnement dans lequel je plonge la nuit me parait tout autant naturel que ma vie « réelle ». À mesure que le temps s’écoule, je suis assaillie de déjà-vus, mais je ne comprends pas d’où me vient cette impression de vivre des situations qui me sont familières. C’est seulement lorsqu’une évidence s’impose à mon esprit que je prends conscience que je rêve. La plupart du temps, il s’agit d’un événement en relation avec Matt. Ce qui par-dessus tout me perturbe, c’est que je ne suis pas supposée avoir conscience d’être dans un rêve.


Les phases de réveil n’en sont que plus déconcertantes. Plus le temps passe et plus je suis persuadée d’abandonner une petite part de moi à chaque fois que je m’enfonce dans un rêve. Je laisse des miettes de moi là-bas, dans cet univers généré par mon esprit tordu, que je me réjouis chaque soir de retrouver lorsque je me glisse sous les draps.


Quand je reviens à moi, il me faut toujours un moment pour me remettre de mes émotions et pour m’adapter à la réalité. La fac, Meg, les Sigma, Connor… Toutes ces choses que j’aime pourtant au quotidien et que pour rien au monde je n’échangerais contre de l’irréel.


Quelle ironie… J’aime les journées qui s’écoulent, mais je ne me sens pleinement moi-même que dans mes songes. Depuis le décès de mon père, j’ai le sentiment de n’être que l’ombre de moi-même. Je me sens en décalage avec la réalité. En marge…


Connor me manque. Je le connais à peine, pourtant je sais que je n’ai pas rêvé. Il s’est passé quelque chose entre nous, lors de la soirée des confréries. Nous avons développé un lien très particulier. Privilégié. Il est le seul depuis longtemps à m’avoir donné le sentiment d’être plus qu’une simple personne brisée, fragile, que l’on doit protéger. Il s’est intéressé à moi. Il m’a accordé de l’importance. Il m’a fait sortir de mes pensées moroses. Il m’a fait découvrir de nouveaux horizons et par-dessus tout, il m’a fait rire. J’aimerais vraiment le revoir, mais ce ne sera pas pour tout de suite.


Après ce qu’il s’est passé chez les Sigma, ma tâche principale, en dehors des cours, a été d’éviter de mettre une nouvelle fois Stacy en colère. Je ne souhaite pas non plus lui donner d’autres occasions de me reprocher quoi que ce soit. Elle m’a suffisamment mise en garde au sujet de Connor et m’a bien fait comprendre que mon rapprochement avec lui la dérangeait.


Alors, depuis ce jour-là, j’ai fait en sorte de ne pas croiser le chemin de Connor. À regret. Mais c’était sans compter sur sa ténacité. Un subtil sourire à la cafétéria, un frôlement à l’angle d’un couloir, un regard le long de l’allée de la bibliothèque… Toutes ces petites choses qui m’ont empêchée de l’oublier.



Ce matin, j’assiste pour la quatrième fois au cours le plus prenant que je n’ai jamais eu. Notre professeur de « communication de l’information », M. Keller, a des avis très tranchés sur la manière dont une information doit être communiquée au grand public.


— Vous ne devez vous fier qu’aux faits observables. Votre esprit ne doit jamais laisser place à votre propre interprétation d’une situation. Car vous risquez non seulement de biaiser ledit fait, mais également d’orienter l’opinion publique.


— Pratiquer la désinformation ? questionne un étudiant.


— Pas tout à fait… Des commentaires plutôt, soit l’analyse des faits selon votre propre interprétation. Est-ce cela que vous voulez transmettre dans vos articles ? Dans vos rapports ? Dans vos présentations ? Un journaliste se doit d’être impartial : droit et juste. Il existe cependant des situation précises qui pourraient, dans certains cas, nécessiter l’utilisation des commentaires ou éventuellement la pratique d’une forme de désinformation.


Quelques étudiants le questionnent un peu plus. D’autres attendent patiemment leur tour, main levée.


— Prenons l’exemple d’une situation fictive. Disons qu’il apparait un fait qui, une fois révélé, pourrait engendrer le désordre, la peur, l’intolérance ou encore d’autres réactions au sein de la population.


— Une révolte ? demande un autre étudiant.


— Une révolte, pourquoi pas. Dans ce cas, la pratique de la non-information peut se révéler efficace. Non pas dans le but de nuire, mais dans le but de cacher les véritables conditions et conséquences de la situation qui s’est produite jusqu’à ce qu’elle soit décantée. Car toute vérité n’est pas bonne à dire. Et à plus forte raison à écrire. Du moins pas tout de suite.


— Vous pensez par exemple à une menace terroriste ? demande une autre voix.


L’ensemble de l'auditoire s’agite. Certains étudiants rentrent leurs épaules. D’autres paraissent totalement outrés. Les derniers affichent leur scepticisme.


— Ok, ok. On se calme… Disons plus simplement les choses. Lorsque quelque chose de grave se produit, je veux dire de vraiment grave, mieux vaut prendre la décision de ne pas communiquer l’information ou mieux, de ne rapporter que quelques faits succincts tant que nous, les journalistes, nous, les professionnels de la communication de l’information, ne sommes pas au clair avec les faits, ni avec les sources. Pourquoi risquer de déclencher une émeute ? Réfléchissez donc à cette question pour la prochaine fois.





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