Fyctia
Chapitre 10.1
— Abby ! Réveille-toi ! Eh oh !
Meg est en train de me secouer par les épaules.
— Oh ! Ça va ? T’arrêtais pas de hurler !
Elle me regarde d’un air inquiet. Ses cheveux sont enturbannés dans une serviette. J’en conclus qu’elle vient de sortir de la salle de bain. Mes yeux me brûlent et ma tête est comme prise dans un étau.
— Je ne sais pas trop… C’était étrange.
Il me faut un moment pour me remettre de mes émotions et pour comprendre que je me suis assoupie en attendant que Meg sorte de la salle de bains. Le réveil a été tellement brutal que le rêve s’est évanoui quasiment instantanément. J’évite de lui expliquer que je viens de rêver à l’instant des mêmes paysages que la nuit dernière. Je ne voudrais pas prendre le risque de l’apeurer.
— Écoute, dit-elle en soupirant. Il faut que je me sèche les cheveux. Va prendre une douche, ça te fera du bien ! Oublie pas qu’on a rendez-vous dans un peu plus d’une heure.
En prenant ma tête dans mes mains pour atténuer la sensation de coton qui m’oppresse, je constate que mes cheveux aussi ont besoin d’un bon shampooing.
Après la douche, Meg me propose de m’asseoir devant elle. Je sens bien qu’elle s’inquiète un peu pour moi. Nous nous sommes toujours considérées l’une et l’autre comme deux sœurs, mais depuis que je ne suis plus au meilleur de ma forme, ces derniers mois, elle a trop souvent tendance à vouloir me protéger en me maternant.
— Allez… Laisse-moi faire et détends-toi !
Elle relève la majeure partie de mes cheveux au sommet de mon crâne et l’attache avec une pince, en prenant soin de laisser de grosses mèches retomber sur ma nuque. Armée de tous les accessoires nécessaires, elle exécute un magnifique brushing ondulé, puis elle détache les mèches suivantes et recommence le processus.
Meg a eu raison. À la fin de l’expérience, je suis beaucoup plus décontractée qu’auparavant. Je me regarde dans la glace et suis ravie du résultat. Le petit effet de vagues encadre vraiment bien mon visage anguleux.
— Tiens, mets ça !
Elle me tend un fard taupe légèrement irisé qui enveloppe plutôt bien ma paupière. Après avoir appliqué le mascara, je me tourne vers elle.
— Ce n’est pas un peu trop sophistiqué pour se rendre aux portes ouvertes ?
Meg secoue négativement la tête.
— Rappelle-toi les paroles de ta mère. On doit mettre toutes les chances de notre côté. Allez, enfile ta robe et on y va !
J’acquiesce et obéis. Sur le pas de la porte, je constate à quel point Meg est resplendissante. Elle porte une jolie jupe rouge, assortie aux mèches de ses cheveux, et un top noir sans manches, le tout rehaussé par une dizaine de petits bracelets circulaires de couleur dorée qui pendouillent à son poignet. À côté d’elle, la tenue assez conventionnelle que je porte ne fait pas le poids. Mais qu’importe… Je ne suis pas certaine de pouvoir devenir un jour aussi solaire que l’est Meg.
Il nous faut une bonne vingtaine de minutes à pied pour rejoindre la maison des Sigma Zeta Mu. Mes pieds commencent à devenir douloureux. Je regrette finalement de ne pas avoir enfilé d’autres chaussures plutôt que d’avoir opté pour des escarpins assortis à la robe. Lorsqu’on arrive enfin devant la grande bâtisse, Olivia nous attend sur le perron blanc. Au-dessus de celui-ci, je reconnais les inscriptions que forment les lettres grecques de la maison.
Les langues mortes n’ont jamais été mon fort. Mes parents ont pourtant dû me pousser à continuer le latin à l’époque où j’apprenais le français en parallèle. Tout au long de mes années d’études, ils avaient régulièrement insisté sur la nécessité d’apprendre ces deux langues pour comprendre l’origine de certains mots. Le latin avait fini par entrer, là où ma tentative d’apprendre le grec durant tout un semestre avait lamentablement échoué. J’avais d’ailleurs fini par abandonner cette dernière langue, estimant qu’il était plus important de concentrer mon énergie sur les autres cours plutôt que de m’éparpiller et de risquer ainsi d’échouer, ou pire d’obtenir des notes moyennes dans chacun des domaines.
— Ah vous voilà enfin ! chantonne Olivia. Bien remises de votre soirée ?
Elle descend les quelques marches qui séparent le perron du trottoir pour nous serrer dans ses bras.
— Allez venez, entrez ! On va vous présenter. Stacy est dans la cuisine en train de terminer son gâteau.
Olivia nous précède en trottinant aussi vite qu’elle le peut sur ses courtes jambes. Le hall de la maison est gigantesque. Devant nous se dresse un immense escalier blanc en colimaçon, dont la balustrade fait penser à de petites colonnes grecques disposées les unes à côté des autres. Sur la droite, deux portes coulissantes légèrement entrouvertes offrent une vue sur un immense salon dominé par une grande cheminée en pierres grises.
— Vous vous rendez compte ? Le comité des anciennes a pu obtenir la maison l’année passée seulement, nous annonce fièrement Olivia en tapotant ses mains. Bon, c’est l’une des plus petites maisons, mais c’est une chance et un réel atout de l’avoir. Cependant, les autres sororités du quartier ont encore un peu de mal à nous accepter pour l’instant. Selon elles, on est trop… atypiques.
J’aime bien le naturel avec lequel Olivia a employé le terme « petite ». Si notre maison à San Francisco me semblait grande, celle-ci en fait au moins le double. Quant au fait que la sororité se différencie des autres, cela ne me dérange pas le moins du monde. Meg sautille de joie sur place et Olivia se joint à elle dans ce petit rituel aussi amusant que perturbant.
Olivia nous guide en direction de la cuisine. Stacy est accoudée sur l’ilot central. Très concentrée, elle dessine de jolies bordures bleues en forme de vague sur le deuxième étage de son immense gâteau nappé de pâte à sucre blanche. Elle a relevé ses cheveux au sommet de son crâne, mais cela ne l’empêche pas d’être couverte de farine de la tête aux pieds.
Nous nous rendons ensuite dans le salon où nous attendent plusieurs filles. Olivia fait les présentations.
— Bon, alors Abby… Meg, je vous présente Alison et Chelsea. Alison est une recrue, tout comme vous. Elle vient de France, mais son paternel est américain.
— Donc je suis bilingue et… tente de répondre la jolie blonde, brutalement coupée dans son élan par la suite des présentations.
— Et voilà Chelsea qui est parmi nous depuis trois ans déjà !
Une jeune métisse aux grands yeux en forme d’amande me fait signe du bout des doigts en souriant.
2 commentaires
AmyFLOWRIGHT
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Il y a 2 ans
Sophie F. Morvant
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Il y a 2 ans