Sophie F. Morvant Dimension Tome 1 : Les portails de l'Ombre Chapitre 3.2

Chapitre 3.2

Ma mère s’est assise au bar, les mains posées sur le journal. Elle porte son petit tailleur brun habituel, et ses cheveux blonds sont soigneusement ramenés en arrière. En me voyant, elle ne peut s’empêcher de sourire.


— Regarde-toi Abby ! Tu es superbe ! Et la queue de cheval te va à ravir ! dit-elle en me tendant un verre de jus d’orange.


Elle se lève et dépose délicatement la paume de sa main sur ma joue.


— Tu as les yeux de ton père… Aussi verts que l’herbe fraichement coupée, aussi gris que la brume un matin d’automne.


Je me mets à grogner en guise de réponse et m’assieds à sa place. L’acidité de l’agrume me fait grimacer, ce qui ne manque pas de la faire rire.


— Tu vas me manquer…


Même si je suis convaincue de mon choix, je culpabilise malgré tout de la laisser seule dans cette grande maison après ce que nous venons de vivre.


— Maman… Ne commence pas s’il te plaît. Si tout va bien, je serai de retour dans quelques semaines. Au besoin, je pourrai même revenir certains week-ends. Los Angeles n’est qu’à sept heures de route. Et je te rappelle que je ne serai qu’à trois heures d’ici en prenant l’avion, dis-je en tentant de la rassurer.


— Au moins quatre ma chérie. Tu oublies de prendre en compte les temps de déplacement, la circulation et le retard lié aux vols aériens.


Il ne faut surtout jamais la contredire en matière d’horaires. Jamais en vingt ans, il ne lui est arrivé d’avoir la moindre minute de retard au travail. Contrairement à moi, elle arrive même à être tout le temps en avance. Organisation, anticipation et méthode sont ses maîtres-mots… Tout ce qui fait d’elle une excellente journaliste. Tout ce que je ne suis pas. Pas encore.


Elle soupire en regardant sa montre.


— Si tu en as envie, j’ai encore le temps de te conduire à l’aérop…


— Respire maman ! coupé-je en la voyant bondir sur ses clés de voiture. Les parents de Meg vont arriver d’une minute à l’autre !


Meg habite à quelques maisons de là et jusqu’à preuve du contraire, elle n’a jamais raté un seul de nos rendez-vous. Depuis petites, nous avons toujours été comme des sœurs. Inséparables. Même si beaucoup de points communs nous rassemblent, ne serait-ce que le brin de folie qui nous anime, Meg reste très différente de moi. Son côté excentrique et décalé, toujours la tête dans les nuages, la rend particulièrement attachante.


Meg a également commencé ses études à Berkeley, mais elle ne s’est pas du tout épanouie dans le même cursus que le mien. En réalité, elle possède le tempérament d’une véritable artiste. Sa faculté de voir les gens et les objets au-delà de ce qu’ils semblent être fait d’elle un être à part. Chaque matière qu’elle a pu toucher au cours de sa vie, que ce soit de la terre, du plâtre ou encore de la peinture, s’est transformée en une œuvre exceptionnelle et unique.


Sans surprise, elle avait donc réussi brillamment tous ses examens en cours d’arts pratiques et en histoire de l’art. Par conséquent, et contrairement à moi, sa formation actuelle lui permettait de lancer directement sa carrière dès la fin du premier cycle d’études. Mais ce n’est pas ce qu’elle a choisi.


Je sais que je ne pourrai jamais assez la remercier pour ce qu’elle a fait pour moi. Après l’enterrement, elle nous a tous surpris en prenant la décision de demander également sa mutation à UCLA, préférant se perfectionner et passer ainsi quelques années de plus à mes côtés plutôt que de forcer le temps et la distance à nous éloigner l’une de l’autre en me laissant seule affronter le début de ma nouvelle vie. Ma vie « d’après ».


Je prends une autre gorgée. Ma mère se tient à présent tout près de moi. Elle me regarde comme elle l’a toujours fait, le sourire aux lèvres et les yeux pétillants d’amour pour la seule enfant qu’elle a eue.


— Essaie de ne pas m’oublier Abby… Téléphone-moi de temps en temps, ajoute-t-elle en me caressant le front du bout des doigts.


Même si l’idée de m’enfuir de ce monde a pu par moment me traverser l’esprit, je n’ai aucune envie de l’oublier. Je vais revenir. Je m’en fais la promesse. Dès que mon planning me le permettra, je ferai en sorte de rentrer à la maison certains week-ends. L’idée que ma mère se retrouve seule dans cette grande maison m’est insoutenable. Depuis l’enterrement, nous n’avons encore jamais été séparées. Pas même le temps d’une soirée.



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