Vana Aim Deux cœurs fracassés pour Noël J-17 avant Noël

J-17 avant Noël

J-17…


Hugo


Ce soir encore, je n’ai pas arrêté avec ce foutu marché de Noël ! Entre les ampoules des guirlandes qui ne fonctionnaient pas, les prises hors service, les problèmes de branchements, et la patinoire dont le refroidisseur montrait des signes de faiblesse, je n’ai pas eu une minute pour souffler. Tout cela rythmé par des chants de Noël assourdissants qui me vrillaient les tympans.


J’ai terminé la soirée en coupant les haut-parleurs il y a une heure, mais la place ne se vide toujours pas. Les exposants traînent à remballer leurs affaires, les forains offrent un dernier tour de manège aux enfants, et ce Père Noël, persuadé d’être une star mondiale, refuse obstinément de quitter le centre de la place ! J’ai envie de tous les massacrer.


Et pourtant, à chaque fois que je grogne, je me rappelle cette fichue comparaison avec le Grinch que m’a collée ma voisine. L’image du bonhomme vert et hargneux refait surface, et, aussi désespérant que cela puisse être, ça me fait rire. Un surnom idiot qui parvient à désamorcer ma colère. Qui l’aurait cru ?


Je secoue la tête pour chasser son image et éviter de penser à ses réparties. Mais c’est compliqué. Et je n’ai aucune envie qu’elle s’immisce davantage dans mon esprit. Je reprends donc mon rôle de rabat-joie en plongeant dans la foule pour ordonner une dernière fois que tout le monde remballe.


Mais personne ne bouge. Ils… se… foutent… de… ma… gueule !


Il est plus d’une heure du matin ! Ils sont tous bourrés au vin chaud ou quoi ? Il fait -4 degrés et eux, ils papotent tranquillement, entourés de rennes en plastique ! J’hallucine.


Assez, c’est au-dessus de mes forces. Je retourne au hangar et abaisse le disjoncteur. Fin de la soirée.


Plongés dans le noir, ils râlent, mais je m’en fiche royalement. Officiellement, tout doit être éteint à minuit. Ils devraient déjà me remercier d’avoir laissé traîner les choses.


Une fois le matériel mis en sécurité et le hangar verrouillé, je prends enfin le chemin de la maison.


J’espère dormir un peu, car demain, j’ai promis à Olivier de l’accompagner sur un chantier à Langogne. Impossible de le laisser tomber. Surtout qu’il doit aussi travailler chez ma voisine dès le lendemain, et si son urgence s’éternise, cela risque de compromettre son planning.


À cette pensée, je m’arrête net. Depuis quand suis-je redevenu aussi gentil avec les gens ?


À cet instant précis, alors que je suis perdu dans mes réflexions, je sens un choc léger dans mon dos. Rien de grave, mais suffisant pour me faire sursauter. Je pivote, prêt à éclater de colère, et tombe sur elle.


Trop absorbée par son téléphone, elle n’a pas vu où elle allait. Franchement, avec ma carrure, c’est un exploit.


— Désolée, Hugo ! me dit-elle en éclairant mon visage avec l’écran de son téléphone. Son geste, bien que maladroit, m’agace encore plus.

— Mais qu’est-ce que vous faites là ? Vous ne regardez jamais devant vous quand vous marchez ?

— Bonsoir à vous aussi, Monsieur le Grinch ! Je rentrais chez moi et je cherchais la fonction lampe torche sur mon téléphone. Et vous vous êtes arrêté de marcher ! Voilà pourquoi je vous ai percuté. Ça vous convient ?

— C’est de ma faute ? dis-je, sarcastique.

— Excuses acceptées. Vous avez fini votre journée ?

— Ce n’était pas des excuses, mais une question. Et oui, j’ai fini. J’ai cru que je n’arriverais jamais à partir.

— C’est vous qui avez tout éteint ?

— Qui d’autre ?

— Je vois.

— Ça veut dire quoi, “je vois” ?

— Les gens passaient un bon moment. Vous n’étiez pas obligé de leur gâcher ça, vous savez.

— Vous ne savez rien, justement. Alors gardez vos leçons de morale pour quelqu’un d’autre, merci. La soirée a été assez pénible comme ça.

— Très bien ! Sur ce, bonne soirée, Hugo.


Elle presse le pas, visiblement contrariée, espérant me distancer.


— Vous savez qu’avec vos petites jambes, vous n’arriverez jamais à aller plus vite que moi, à moins de courir !

— Je m’en fiche ! Apparemment, ma présence vous est insupportable. Je préfère éviter que votre mauvais caractère ne m’atteigne plus que nécessaire.

— Comme vous voulez.

— Et mes petites jambes vous emmerdent cordialement !

— Merveilleux !


Je la suis à un mètre derrière, et cette situation est profondément malaisante. Lorsqu’elle atteint sa porte, elle disparaît sans un mot. Étrangement, cela me serre le cœur. Je m’en veux de m’être montré aussi désagréable. Peut-être que je suis bipolaire, finalement.


En rentrant chez moi, le froid me cueille. La maison est glaciale, comme si la neige s’y était installée. Je charge la cheminée et souffle sur les brindilles jusqu’à ce que les premières flammes naissent. J’ajoute du petit bois, puis une grosse bûche. Quand la chaleur commence à se diffuser, j’ôte ma veste et la dépose sur une chaise avant de me diriger vers la cuisine pour préparer un repas.


Comme à mon habitude, j’utilise le temps de cuisson pour faire quelques exercices. Entretenir mes muscles est essentiel, surtout ceux de ma cuisse abîmée lors de l’accident. Un an après, je sens encore la déchirure sous la cicatrice, ce creux dans ma chair qui me rappelle sans cesse ce jour-là. Parfois, la douleur revient, ravivant ma culpabilité et élargissant le trou béant dans mon cœur.


J’aimerais que Jenny soit là. Elle me sermonnerait sûrement pour mon mauvais comportement. Elle était douce, discrète et bienveillante. Elle apaisait mon cœur, me rendait meilleur. Elle avait ce don, de toujours trouver les mots justes, d’avoir les intentions parfaites, envers moi comme envers les autres. C’était mon ange gardien, celle qui me gardait sur le bon chemin.


Comment pourrais-je oublier tout ça ? C’est impensable.


Alors que je m’entête à terminer une dernière série de squats, malgré la douleur lancinante dans ma jambe, je repense à tous ces moments, à tout ce que nous avions construit, à nos projets. À tout ce que je n’ai jamais pu lui donner…


Nous avions décidé de suivre un protocole de procréation médicalement assistée, pour réaliser ce rêve d’avoir un enfant. Mais cet accident a tout détruit. Elle ne pourra jamais devenir la mère qu’elle rêvait d’être, et tout ça, c’est à cause de moi.


Pendant plus de quatre ans, nous avons essayé, mais chaque année, les tests s’aggravaient. Et moi, trop fier, je refusais les examens qu’on me proposait. Je me disais que le temps nous aiderait, qu’on finirait par y arriver naturellement. J’étais convaincu que nous avions encore des années devant nous. À l’époque, je pensais que la médecine ne ferait que l’enfermer dans un cercle vicieux, qu’en pointant du doigt une incapacité, elle en souffrirait davantage.


Tous ces traitements, ces piqûres, ces échographies… Je trouvais ça insupportable. Pour moi, concevoir un enfant devait rester intime, naturel. Je croyais que nous devions juste être patients. Pourtant, chaque mois, je voyais ses larmes, son désespoir, mais je m’accrochais à mes certitudes, incapable de l’écouter vraiment.



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4 commentaires

Audrey Soavi

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Il y a 12 jours

Mes petites jambes vous emmerdent cordialement 😂😂👌👌

Vana Aim

-

Il y a 11 jours

❤️

Pellecuer

-

Il y a 13 jours

Décidément "Grinch" lui va très bien

NICOLAS

-

Il y a 13 jours

On oublie que c'est si facile de faire un enfant, alors que pour d'autres c'est le parcours du combattant...
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