Fyctia
J-20 avant Noël
J-20…
Alizée
Je me lève en courant après m’être rendormie. Mon réveil a pourtant sonné deux fois…
C’est la première nuit depuis une éternité que je dors aussi bien ! Et c’est justement ce jour-là que l’entreprise de travaux débarque à la première heure pour commencer le chantier. Je n’ai pas entendu les deux sonneries programmées, il y a plus d’une heure maintenant, et je ne sais pas par quel miracle j’ai réussi à m’extirper de mon lit à cet instant.
Je ne vais pas me plaindre de l’arrivée matinale de l’entrepreneur, car par chance, il a la possibilité d’intervenir dès ce matin sur ma toiture, en jonglant avec ses autres chantiers. Nous avons convenu, après le départ du Grinch, que j’ai encore pris à rebrousse-poil hier, soit dit en passant, de commencer par changer les tuiles, réparer les dégâts à l’intérieur causés par les fuites, et repeindre toutes les pièces du chalet.
À la pensée de l’homme des cavernes d’à côté, je croise les doigts en espérant ne pas le réveiller à cause de mes travaux, car je ne tiens absolument pas à avoir une nouvelle altercation avec ce dernier ! Cet homme… est… horripilant ! Bref…
Et petit bonus, non négligeable, dès janvier il s’occupera du garage pour le transformer en l’atelier de mes rêves.
Mais du coup, la bonne nouvelle, c’est que je suis en vacances forcées jusqu’à la nouvelle année, voire un peu après ! Et grâce à ce temps libre, je sais déjà ce que je vais faire une fois que j’aurai fini de ranger mes cartons…
Assez rêvassé ! Je me précipite jusqu’à la salle de bain pour une douche rapide, puis j’enfile un jean et un gros pull confortable, attache mes cheveux, puis pars en courant faire couler une cafetière.
Je relis le devis que j’ai signé et je prépare le chèque d’acompte que je remettrai à l’entrepreneur tout à l’heure. Il me semble que son prix est juste et l’argent du procès me permettra de le payer sans soucis. Je sais que Will aurait voulu que je l’utilise à bon escient !
Suite à la mort de mon mari et de ma fille, la légion m’a soutenue dans les poursuites que j’ai intentées contre le chauffard qui les a heurtés. Quand je repense à ce moment, une boule de mille émotions se forme dans ma gorge et m’asphyxie. Je ne l’ai pas fait pour l’argent, car cela ne me rendra jamais ma famille, mais je l’ai fait pour que cet homme sache qu’il a détruit des vies à cause d’une vulgaire bouteille d’alcool !
D’après le compte rendu des gendarmes et l’expertise menée, cet individu avait 2,5g/l d’alcool dans le sang. Il était à la limite du coma éthylique, et malgré cela, il a pris le volant ! Il a détruit notre vie, et je voulais qu’il se rende compte de ce qu’il avait fait, de la gravité des choses !
Alors que je repense à cette époque, la colère monte en moi, même si je sais que je ne devrais pas ressentir cela, que ce n’est pas bien… Je sais qu’un accident, par définition, est quelque chose que l’on ne peut pas anticiper… Mais là… Ça aurait pu être évité, j’en suis certaine !
Il a fallu une bonne année pour que toute cette affaire arrive à son terme, et le jour du procès a été la troisième pire journée de mon existence. Je revois mon avocat mentionner le taux d’alcool, mais aussi la prise de drogue de l’accusé au moment de l’impact. Et lorsque j’ai porté mon regard sur cet homme, sur celui qui a foutu en l’air toute notre existence, je n’ai pas vu l’ombre d’un regret sur son visage. Il était trop perché pour se rendre compte de sa propre connerie !
La juge a rendu son verdict en ma faveur, mais tout cela m’a laissé un goût amer dans la bouche. Malgré les cinq zéros qui sont apparus sur mon compte en banque suite au versement de l’assurance-vie et du dédommagement demandée par l’avocat, je n’ai pas été soulagée.
La somme que j’ai perçue a été assez astronomique, et je m’en suis bien sûr servie pour payer les obsèques de mon mari et de ma fille. J’ai pu leur rendre hommage à travers une cérémonie magnifique. Ensuite, j’ai donné une partie de ce montant à l’institution des invalides de la Légion étrangère, car je sais que cela aurait fait plaisir à Will. Le régiment était sa deuxième famille. Il admirait tous ces hommes dont il faisait partie, ils avaient un but et un amour commun, celui de défendre leur prochain.
Avec le reste de cette somme, j’ai de quoi payer les travaux et subvenir à mes besoins encore un bon moment. Mais pour rien au monde, je n’aurais souhaité une telle somme contre la vie de ma famille ! Rien ne pourra jamais remplacer les bras de mon mari et les sourires de ma fille !
Cet argent me donne même la nausée, il me met mal à l’aise, car il représente pour moi une sorte de pourriture nauséabonde dont je dois me contenter, simplement pour compenser la perte des gens que j’aimais le plus sur cette terre et que je n’oublierai jamais… Je n’arrive pas à le voir autrement !
Mes mains tremblent de colère, et les larmes affluent alors que je verse ce foutu café dans ma tasse.
Signer ce chèque me rend confuse, finalement… D’un côté, j’essaie d’avancer, je suis contente de refaire cette maison à mon image et de faire revivre à travers elle l’histoire de mes grands-parents. Mais d’un autre côté, tout cela a un arrière-goût très désagréable.
Je sèche mes larmes en entendant le camion arriver. Je dois absolument réussir à apaiser cette colère qui sommeille en moi, car elle ne fait que me détruire un peu plus chaque jour, j’en suis consciente. Il est grand temps de me libérer de tout ça !
Je sèche mes larmes du revers de mes manches, puis j’ouvre la porte pour accueillir celui qui va transformer ce chalet en ma maison…
— Bonjour, vous allez bien ?
— Très bien et vous, depuis hier ? me répond-il.
— Ça va, merci. J’ai juste hâte que les travaux commencent ! Je vous ai préparé le chèque d’acompte. Je vous le donne maintenant ? soufflé-je en essayant de garder une expression agréable.
— Vous me le donnerez en fin de journée, ça m’évitera de le perdre. J’attaque par la toiture ce matin, c’est bien ce que nous avions convenu ?
— Tout à fait ! Vous avez réussi à trouver les tuiles ?
— Oui, celles posées par votre grand-père sont des matériaux courants dans le coin, donc je suis passé chez mon fournisseur hier après-midi pour en récupérer.
— Génial. Vous pensez en avoir pour combien de temps à peu près ?
— Pour la toiture ? Ce sera fini en fin de matinée, il n’y a pas beaucoup de travail, et il y a de la neige annoncée dans les jours à venir. Ensuite, je m’attaque aux plafonds et aux murs, c’est ce qui prendra le plus de temps. Je dirais qu’en dix jours, tout devrait être terminé, peinture comprise.
— Ça marche. Je ne savais pas pour la neige… Il y en a beaucoup, généralement, à cette période de l’année ?
— Oui, nous passons très souvent Noël sous plusieurs centimètres de neige.
— OK. Je vais devoir m’équiper alors… Vous voulez un café avant de commencer ?
— Volontiers. Merci.
2 commentaires
Pellecuer
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Il y a 16 jours
Mapetiteplume
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Il y a 16 jours