Fyctia
J-22 avant Noël
J-22…
Alizée
Je me lève, complètement épuisée par ces derniers jours, ces dernières semaines, ces derniers mois… et par tous ces cauchemars qui envahissent mes nuits. Les cernes qui soulignent mes yeux en disent long sur mon moral. Parfois, j’ai l’impression de ne plus être moi-même.
Ça a été ma première nuit ici, dans mon ancien lit, dans cette maison silencieuse et isolée… un peu comme moi ! J’ai eu tellement de mal à trouver le sommeil ! Je me suis retournée des centaines de fois avant de m’endormir, mes pensées tourbillonnant dans ma tête.
Et puis, il y a toutes ces questions qui me taraudent : est-ce que j’ai bien fait de revenir ? Comment vont réagir les habitants qui m’ont connue autrefois ? Me reprocheront-ils d’avoir laissé mon grand-père seul ? Vais-je réussir à m’intégrer ici ? Ces interrogations me rongent, et je sais qu’elles ne trouveront pas de réponse tout de suite. Pour l’instant, je ne me sens pas encore prête à affronter qui que ce soit. Surtout pas après l’accueil que m’a réservé mon voisin. Rien que d’y penser, j’en tremble encore.
Quand je l’ai entendu me crier dessus hier matin, et que je l’ai vu foncer vers moi comme une tempête, j’ai cru que j’allais m’effondrer ! J’aurais voulu me cacher sous terre. Plus il approchait, plus je me sentais petite, insignifiante. Face à son regard perçant et à sa stature imposante, je n’avais qu’une envie, disparaître. Et quand je repense au bruit sourd de la masse qu’il a abattue sur le portail… ça me fiche des frissons. Je vais m’efforcer de ne plus jamais provoquer sa colère. Moi qui croyais que les ours ne sortaient qu’en été, je vois que je me suis lourdement trompée !
Je secoue la tête pour chasser ces pensées et pars à la recherche d’un café. Rien de mieux pour démarrer la journée. Le problème, c’est qu’il est encore quelque part au fond d’un carton. Heureusement, les déménageurs ont respecté mes annotations au marqueur noir. Je m’accroupis devant l’un d’eux, raté. Je tente le suivant et, enfin, je tombe sur les filtres et l’arôme sacré.
Je remplis la vieille cafetière de mon grand-père en regardant à travers la fenêtre. Par chance, la vue ne donne pas sur la maison du voisin, mais sur le chemin qui descend au village et sur une prairie, baignée par les premiers rayons de soleil. L’herbe scintille, recouverte de givre.
En voyant cela, je suis soulagée d’avoir dormi dans un lit cette nuit. Les -3 degrés annoncés par mon téléphone ce matin auraient été difficiles à supporter une seconde fois dans ma voiture. Le confort de ma cheminée et de mon vieux lit me paraîssent encore plus précieux.
Le soleil commence à inonder la terre d’une douce lumière. En l’observant, je ressens quelque chose de nouveau, un soupçon de légèreté, comme si je pouvais enfin respirer un peu mieux.
Je m’enroule dans un plaid et sors sur la terrasse. Je veux profiter de cet air pur et de ce calme matinal, comme je le faisais autrefois avec mon grand-père. Les deux vieux fauteuils en bois, qui trônent toujours devant la maison, me rappellent tant de souvenirs. Ils sont marqués par le temps, mais les gravures que mes grands-parents y avaient faites sont toujours visibles.
À l’époque, je venais m’asseoir à ses côtés. Ces moments de paix m’aidaient à ralentir. Ils offraient un peu de répit à mon esprit, une pause bienvenue dans mes douleurs.
Tout cela m’a manqué, je m’en rends compte maintenant. Mais la jeune fille que j’étais n’était pas prête à regarder en arrière. À cette époque, ressasser le passé était trop douloureux. Je devais aller de l’avant, à tout prix, quitte à faire semblant d’être forte. Je pensais qu’ignorer ma peine suffirait à l’effacer. Je refusais de sombrer dans la tristesse, il fallait que je survive, que je vive mille vies pour honorer mes parents. Partir de cette montagne m’avait alors semblé être la seule option possible.
Mais aujourd’hui, je réalise l’ampleur de mon erreur. J’aurais dû venir bien avant, avec Will. J’aurais dû lui faire découvrir ce havre de paix, ce lieu que mon grand-père chérissait tant. J’aurais dû les présenter, lui et mon papy. Cette pensée me ronge. Je sais qu’ils se seraient entendus à merveille, que mon mari aurait été accueilli comme un membre de la famille. Après tout, il me rendait heureuse, et pour mon grand-père, c’était tout ce qui comptait.
Le soleil continue de monter dans le ciel, inondant le paysage de ses teintes dorées. Je me perds dans mes souvenirs, repensant à ces instants fugaces, mais précieux, passés ici. Cette maison, ce chalet, c’est tout ce qu’il me reste de mes ancêtres. Il est la preuve tangible du labeur et de la détermination d’un homme qui a tout donné pour offrir un foyer à sa famille. Une promesse naît en moi, je vais redonner vie à ce lieu. Je vais restaurer sa dignité et faire en sorte que ce passé, notre passé, continue de vivre.
Cependant, une appréhension me serre le cœur. Ranger ces cartons, retrouver certains objets, c’est comme rouvrir des plaies à peine apaisées. Certaines choses sont impossibles à abandonner, elles doivent avoir une place à mes côtés. Pas par nostalgie, mais parce qu’elles racontent mon histoire.
Je quitte le fauteuil où je m’étais installée et regagne l’intérieur pour me préparer, une toilette rapide, quelques vêtements confortables. Je décide de ranger une partie des affaires avant de m’attaquer à la longue liste des courses et des tâches qui m’attendent. Les travaux extérieurs devront patienter, trouver un entrepreneur capable d’intervenir avant Noël devenant à présent ma priorité.
Je commence par mes vêtements, que je sors un à un pour les poser sur mon lit. J’attrape des cintres et, dans ma minutie habituelle, je trie…les robes par longueur, t-shirts par couleur, jeans par coupe. Ce rituel m’apaise. Tout doit être à sa place, suivant un ordre précis, le mien.
Cela me rappelle une incantation de Charmed, cette série que je regardais inlassablement quand j’étais adolescente : « Un temps pour chaque chose, et chaque chose à sa place, replace ce qui a été déplacé, à travers le temps et l’espace. » Cette phrase me fait sourire. Elle pourrait presque me définir.
Mon intérieur, tout comme ma vie, suit des règles strictes. Pas d’improvisation. Will partageait cette rigueur, et j’adorais ça. Ce que je possède est choisi avec soin, chaque vêtement, chaque objet a une histoire ou un sens. Pas de place pour le superflu.
Mais en attrapant certains vêtements, la douleur me frappe de plein fouet. Une robe rouge, celle que je portais lors de notre dernier anniversaire de mariage. Un jean, celui du jour où… Les souvenirs sont trop forts, ils s’abattent sur moi comme des vagues, me coupant le souffle. Je serre le tissu entre mes doigts, comme si cela pouvait me retenir au bord du précipice.
3 commentaires
Pellecuer
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Il y a 17 jours
Mapetiteplume
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Il y a 17 jours
Vana Aim
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Il y a 17 jours