Fyctia
suite chapitre 2
Aujourd’hui, ma tête est envahie par tous ces souvenirs. Et pour m’anéantir un peu plus, je porte sur ma jambe les traces de cet accident. Une cicatrice indélébile, preuve de mon incompétence et de ma fragilité.
Pas un jour ne passe sans que je repense à tout cela. C’est une plaie à vif qui ne se refermera jamais.
Pour ne pas sombrer, je me mets au travail, car si je m’arrête, mes ténèbres risquent de m’envahir.
J’ai une grosse commande de figurines à expédier d’ici une semaine. Je n’en suis qu’à la moitié, et je dois me bouger sérieusement pour respecter les délais. C’est un travail extrêmement minutieux, qui demande des dizaines d’heures de concentration. Je n’ai pas le droit à l’erreur.
À chaque fois que ma conscience essaie de resurgir, je la repousse en me concentrant davantage sur ma tâche, car chaque détail compte dans une création, et quand j’enfourne la première série, le sommeil commence enfin à se faire sentir.
Après trente minutes de cuisson, je sors le plateau et m’accorde une pause.
J’avale rapidement mon petit-déjeuner, bien qu’il soit six heures du matin, et après une douche, je m’effondre sur mon lit.
Des bruits me tire du sommeil, m’explosant le crâne. Je saute du lit et file à la fenêtre. Je scrute mon jardin, mais rien. Puis je lève les yeux, la voiture d’hier est toujours là, garée dans la rue. Et là, je vois une petite nana, pas plus haute que trois pommes, en train de taper frénétiquement sur le portail du chalet en contrebas.
Il est à peine huit heures du matin, et je n’ai dormi que deux pauvres heures. Même si je peux fonctionner avec peu de sommeil, j’ai malgré tout besoin de calme.
Furieux, j’enfile un jean et un t-shirt, attrape mes boots et sors en trombe. Je me dirige vers cette énergumène qui a décidé de me vriller les tympans dès l’aurore, sous une température négative.
— Mais qu’est-ce que vous fabriquez, bon Dieu ?! lui hurlé-je pour couvrir le bruit infernal en m’approchant.
Elle se retourne brusquement et écarquille les yeux en me voyant débouler dans son champ de vision. Figée sur place, elle semble incapable de trouver une réponse. Plus je m’avance, plus elle me paraît rétrécir.
— On ne vous a jamais appris à respecter le voisinage ? bougonné-je. Putain, j’ai cru que j’allais faire une crise cardiaque avec votre bordel !
— Pardon, je…
— Vous quoi ? Vous vous êtes dit que c’était sympa de réveiller quelqu’un à coups de marteau dans les tympans à huit heures du matin ? Bon sang ! lui braillé-je.
— Cette maison appartenait à mon grand-père, et j’emménage ici ! Je… Je suis désolée si je vous ai dérangé, mais…
— Mais quoi ?
— Les déménageurs arrivent d’ici une heure, et je n’arrive pas à ouvrir le portail pour rentrer ma voiture et leur permettre de passer avec le camion, me dit-elle, penaude, le bout du nez rougi par le froid.
Je passe de ses yeux larmoyants à sa bouche tremblante et je réalise qu’elle n’en mène pas large. Je crois que je lui ai fait peur… J’expire profondément pour tenter de calmer ma colère. Je suis tiraillé entre l’envie de remonter au chaud dans mon chalet et celle de l’aider.
Elle semble si fragile que j’ai l’impression qu’un mot de plus pourrait la briser. Je la fixe un instant et ressens un coup de poignard au creux du ventre. Ses yeux noisette ont quelque chose de troublant, comme une fragilité qui semble infinie. Il y a dans son regard une émotion indéfinissable, et, sans comprendre pourquoi, je sens quelque chose s’insinuer en moi. Une sensation que je ne parviens pas à décrire.
Je passe les mains dans mes cheveux, toujours en colère. Je m’approche du portail bloqué, l’inspecte rapidement, attrape la masse posée à côté et assène un coup sec sur la rouille qui enserre le gond inférieur. Je pousse le vantail, qui s’ouvre enfin. Sans un mot, je balance la masse au sol et remonte vers ma maison en grognant, sans même un regard en arrière.
— Merci ! me lance-t-elle, alors que je suis déjà à mi-chemin.
Bien sûr, je ne réponds pas. Trop en colère après ce réveil chaotique. Je déteste qu’on perturbe le peu de calme que je peux encore trouver dans ce silence que j’essaie d’apprivoiser et de préserver.
Je claque la porte derrière moi avec force, espérant qu’elle comprenne le message. Je ne veux pas être dérangé. Voisine ou pas, je ne veux pas d’elle ici.
Je me remets au travail, mais ma concentration est mise à rude épreuve par le vacarme du camion de déménagement. Les déménageurs claquent les portières, s’interpellent bruyamment… Si ma vie était un dessin animé, on dessinerait de la fumée sortant de mes narines de fureur.
La journée s’écoule presque tranquillement, malgré tout. De temps en temps, je jette un regard furtif par la fenêtre, espérant voir la voiture disparaître et la nouvelle voisine repartir vers la ville d’où elle vient. Mais non…
Je repense à la peur et à la surprise que j’ai vu dans ses yeux. Elle a probablement compris qu’il valait mieux ne pas m’énerver. Pourtant, une petite voix dans ma tête me réprimande, T’es vraiment un con, avec un caractère de merde. Elle ne méritait pas que tu lui passes un savon pareil. Peut-être. Mais je l’ai fait quand même.
Il est dix-huit heures lorsque, après avoir avalé un repas rapide, j’enfile mes vêtements de service pour partir travailler. Je tente de me préparer mentalement à affronter ces décorations qui me brûlent la rétine, ratatinent mon cœur, et me rappellent inévitablement pourquoi j’ai arrêté de fêter Noël.
Je referme ma porte et m’engage sur le chemin menant au centre du village. Je ne jette même pas un regard à la maison en contrebas. Il ne manquerait plus qu’elle s’imagine que je lui accorde le moindre intérêt… Je ne veux pas qu’elle se dise que, si par malheur elle venait à manquer de sel, elle pourrait frapper à ma porte pour quémander. Je ne veux personne sur ma propriété, encore moins chez moi ! C’est tout juste si je tolère sa présence dans ma rue.
Lorsque j’atteins le virage où trône le panneau de la ville, l’envie de me crever les yeux me prend soudain. Des guirlandes lumineuses courent sur chaque façade, des décorations ornent les réverbères, et la place centrale est dominée par un immense sapin décoré. Le village s’est transformé en une immense parade de Noël, me donnant littéralement la nausée.
Les petites cabanes du marché de Noël sont déjà en place et resteront jusqu’au 31 décembre. La patinoire, quant à elle, a été installée en contrebas de la place, et l’air glacial de la soirée porte l’écho des premiers tests de glace.
Vu le nombre hallucinant d’ampoules, je suis presque certain que notre village est visible depuis l’espace. Dommage que Thomas Pesquet soit rentré, il aurait pu admirer ce cirque depuis sa petite station. Moi ? J’ai juste envie de crever !
Je presse le pas pour rejoindre le hangar, espérant y trouver une longue liste de réparations et de dépannages à faire cette nuit. Tant que cela me permet de m’occuper et de m’éloigner de cette overdose de guirlandes…
4 commentaires
Oswine
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Il y a 8 jours
Vana Aim
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Il y a 8 jours
Pellecuer
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Il y a 17 jours
MarwanS
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Il y a 17 jours