Fyctia
Suite chapitre 1
Je n’arrive plus à respirer dans cette ville. Leur absence est bien trop lourde à porter dans ce quotidien que nous partagions tous les trois. Parce que chaque endroit que je foule me rappelle l’amour que j’ai eu pour mon mari et ma fille, et que la souffrance, la tristesse, y sont désormais bien trop présentes.
Je pose mes mains tremblantes sur le volant, inspire profondément et démarre.
Les premiers kilomètres sont les plus difficiles. J’ai du mal à les laisser derrière moi, et j’ai l’impression de les abandonner, de les trahir, de les oublier. Je peine à respirer et à me concentrer sur la route. Les phares des véhicules m’aveuglent, et j’ai parfois l’impression qu’ils vont me percuter. Mais ces souvenirs ne sont pas réels, ce sont des scènes qui se jouent sans cesse dans ma tête, encore et encore. Mon cœur se serre, manque un battement, tandis que mon pouls s’emballe. Je lutte contre cette crise d’angoisse qui m’envahit, essayant de ne pas faire demi-tour, de ne pas me laisser submerger. À cet instant, tout est confus, mes décisions ne sont plus cohérentes, elles n’ont plus de sens. Et j’essaye de m’apaiser, de me détendre, de me changer les idées pour faire cesser cette anxiété insupportable qui me fait perdre pied.
Pour m’aider, je mets la radio, espérant que le flot de paroles et la musique me permettront de lâcher prise, de retrouver un peu de calme.
Je roule désormais en direction des montagnes, le cœur brisé, la gorge nouée, les entrailles déchirées. La nuit m’enveloppe lentement, à mesure que je m’enfonce dans cette forêt de conifères. La route est sinueuse, et je lutte contre ce ravin qui semble m’attirer, me faire signe, me demander de m’en approcher pour en finir. Mais je ne peux pas m’y résoudre, je n’y arrive pas, malgré cette douleur qui me déchire l’âme.
Après plus de deux heures au volant, avec une multitude de virages glissants, j’arrive enfin dans ce village où je rendais visite à mon grand-père il y a bien longtemps.
Les souvenirs affluent instantanément, doux malgré la douleur que je ressentais alors, après la perte de mes parents. Mon grand-père veillait sur moi, passant des nuits entières à mon chevet lorsque les cauchemars m’étaient insupportables. Et lorsque je suis partie à mes dix-huit ans, je n’ai pas regardé en arrière. Comme une égoïste, je l’ai laissé seul ici, et aujourd’hui, je m’en veux terriblement !
Lorsqu’il est décédé, je suis venue pour signer les papiers et lui dire adieu, mais après ça… je n’ai plus jamais mis les pieds ici.
Son chalet est à l’abandon depuis huit longues années… J’étais sa seule petite-fille, et mes parents étant décédés, j’ai été sa seule héritière. Mais lorsqu’on n’a plus de famille pour partager ces souvenirs, l’héritage perd de sa saveur. Je n’ai pas eu le courage de revenir avant aujourd’hui. Ni le temps, je dois l’avouer. Je me fais honte. Je n’ai pas pris soin du seul bien qui appartenait à ma famille, un bien qui aurait pu permettre à leur mémoire de perdurer à travers lui…
Je traverse la rue principale, bordée de châtaigniers et de vieilles maisons en pierres, éclairées uniquement par les réverbères qui diffusent une lumière douce. Je remonte le petit chemin plongé dans le noir, menant aux deux derniers chalets du village, isolés à la lisière de la forêt. Les deux habitations sont séparées d’environ une trentaine de mètres, peut-être un peu plus. Je me gare devant le vieux portail, en sors pour le déverrouiller et l’ouvrir. Seulement éclairée par les phares, le grincement qui s’élève dans l’obscurité me glace le sang quand je pousse le premier battant. Le bois pourri, accroché à la ferraille rouillée, me griffe et se décompose sous mes mains, tandis que je peine à l’ouvrir à cause de l’herbe, devenue trop haute par manque de tonte. À qui la faute ? me murmure ma conscience. Mais lorsque je tente d’ouvrir le deuxième vantail… rien ne se passe.
— Bonjour, grand-père… dis-je en levant les yeux vers le ciel, face au chalet.
Une bourrasque s’insinue sous mon pull, me faisant frissonner. De là où je me trouve, je ne peux pas voir l’état extérieur du chalet, à cause de la nuit. Je me promets de faire un tour demain matin pour constater l’étendue des dégâts après ces huit années d’abandon. Je prends mon sac à main, mon bagage contenant des draps, des serviettes, des vêtements de rechange et ma trousse de toilette. Je m’approche de la porte en bois et déverrouille celle-ci en utilisant la torche de mon téléphone portable.
Lorsque je pénètre à l’intérieur, l’odeur de bois envahit mes sens, accompagnée de celle de la poussière et de l’humidité. Cela ne présage rien de bon… J’ouvre le placard d’entrée et actionne le bouton pour remettre en marche l’électricité. J’appuie sur l’interrupteur le plus proche de moi, et l’ampoule au-dessus de ma tête s’allume instantanément. C’est une très bonne nouvelle, et j’expire un grand coup en m’avançant dans le chalet. Il y a bien longtemps que je n’étais pas venue, pourtant, rien n’a changé, ou presque. Des flash-back affluent, me frappant de plein fouet.
J’examine chaque pièce, du sol au plafond, et fais un inventaire mental des réparations à effectuer pour redonner vie à cet endroit. Je pense que j’aurai besoin d’aide, vu les infiltrations visibles au plafond…
Je me glisse dans ma chambre d’autrefois, et une vague de nostalgie m’envahit. Mon grand-père l’a conservée telle qu’elle était. Mes posters au mur me renvoient treize ans en arrière, à l’époque où j’étais cette adolescente mal dans ma peau, malheureuse… Treize ans… Et rien n’a vraiment changé, si ce n’est que ma souffrance, elle, a continué de croître.
Pour ne pas ressasser, je me mets à l’œuvre, en retirant tous les tissus de la maison, rideaux, draps, couvertures sur les meubles, plaids sur les canapés, tout y passe. Je les dépose dans le garage, où se trouve la machine à laver. Je mets le linge à tourner, puis je commence à nettoyer un peu l’espace, m’attaquant d’abord à la poussière et aux sols. J’installe l’étendoir dans le salon, où je suspends les premiers voilages, en attendant demain pour les laisser sécher à l’air libre. Je lance une deuxième machine avant de partir prendre une douche.
La salle de bain est simple et fonctionnelle, et je suis heureuse de pouvoir me glisser sous le jet d’eau chaude en cette fin de journée. Mes émotions se déversent sans fin, se mêlant à l’eau savonneuse, emportant avec elles une partie de ma culpabilité et de ma tristesse, comme si elles se noyaient dans le tourbillon qui dévale à mes pieds. Si seulement cela pouvait être si simple…
Je saisis la serviette posée sur le petit tabouret et me sèche avant d’enfiler des vêtements chauds pour la nuit, car l’odeur d’humidité est bien trop présente pour que je puisse dormir ici. Mes bronches ne supportent pas un tel taux d’hygrométrie. Je n’ai d’autre choix que de dormir dans ma voiture. Heureusement, mes couettes sont dans le coffre, et grâce à elles, j’ai une chance de ne pas mourir gelée cette nuit.
4 commentaires
Oswine
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Il y a 8 jours
WendyC.
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Il y a 16 jours
Pellecuer
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Il y a 17 jours
SEV13210
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Il y a 17 jours