Fyctia
suite chapitre 1
Je roule sans vraiment prêter attention à la route, comme cela m’arrive souvent depuis plusieurs mois maintenant. Lorsque je longe l’enceinte de la Légion étrangère, tous ces souvenirs défilent devant mes yeux… Ces moments où je patientais devant les grilles vertes à la sortie de son travail, les jours où je l’attendais de pied ferme lorsqu’il revenait de mission sur le parking parmi les autres femmes, en lui sautant au cou devant ses collègues, ces journées où nous fêtions Cameron chaque année… Je me revois ici même, en voiture, en allant faire des courses, où je le croisais avec son régiment pendant leur footing. Mon visage s’illuminait dès que je l’apercevais, et il en était de même pour lui. Parfois, quand la nostalgie m’envahissait et que mes parents me manquaient, le simple fait de voir son visage me redonnait le sourire et remplissait mon cœur.
Il n’y a pas un jour où je ne mesure pas l’ampleur de ma perte. Mon monde s’est effondré, ma vie s’est écroulée, et j’ai tout perdu en une fraction de seconde !
Je regarde instinctivement dans mon rétroviseur… mais je suis seule… Ce n’est pas juste un cauchemar…
Je me gare sur le parking, où les grandes portes en fer forgé m’accueillent avec froideur alors que le soleil décline doucement en cette fin de journée. Passer sous cette arche métallique me rappelle tant de souffrances, que je suis immédiatement replongée dans le néant, à chaque fois que je viens ici.
Je m’approche à pas lents, des fleurs à la main, vers le marbre froid. Je tombe à genoux devant cette stèle où ils reposent. Les fleurs sont encore fraîches, mais je les retire des vases ternis par les intempéries et y dépose les nouvelles.
Je frôle les inscriptions dorées sur cette pierre froide où reposent mon mari et ma fille, comme une caresse que je leur adresse.
William Larsen 4 AVRIL 1983 – 16 JUIN 2023
Stella Larsen 1 OCTOBRE 2021 – 16 JUIN 2023
J’ai fait graver les derniers mots que je leur ai adressés, des mots que j’aurais aimé leur souffler encore un milliard de fois, « Je vous aime plus grand que l’univers ». C’étaient les mots que je leur murmurais lorsqu’ils s’absentaient, quand mon mari partait travailler, qu’il emmenait la petite au parc, ou chaque soir, en la couchant dans son petit lit… Et ce jour-là encore, je leur ai dit, naïvement, pensant qu’ils reviendraient vite, après être allés manger une glace au centre commercial.
Mais ils ne sont jamais rentrés, laissant un vide immense dans mon existence et mon cœur brisé à jamais.
Stella aurait trois ans et deux mois aujourd’hui… Elle devrait être à la maison avec moi, à déambuler, à papoter, à sourire, à jouer, à grandir… Mais elle aura vingt mois pour l’éternité. Elle était si lumineuse, ma petite princesse. Elle était mon monde, notre monde ! Nous l’avions tant attendue !
Lorsque, enfin, elle s’est installée dans mon ventre, j’ai su que plus rien ne serait jamais plus pareil. J’ai su immédiatement que mon amour pour elle dépasserait tout ce que l’on peut imaginer, et j’avais raison. Pendant neuf mois, je l’ai portée, et notre lien fusionnel s’est tissé dès ce moment-là. Je me souviens de mes premières contractions, j’avais appelé Will pour qu’il m’emmène à la maternité. Mais il était dehors, avec le régiment. J’ai attendu son retour, et quand il est enfin arrivé, il était déjà trop tard, le travail était trop avancé. C’est lui qui m’a accouchée, avec les conseils des pompiers, et en seulement quinze minutes, elle était là. Lorsqu’il a déposé Stella, Storm de son deuxième prénom, sur mon ventre, nos yeux ne se sont posés que sur elle. Je l’ai aimée plus que ma propre vie, et depuis sa disparition, cet amour est resté intact. En pensant à ces souvenirs, mes larmes dévalent mes joues. Je ne sais pas comment cette douleur ne m’a pas encore écrasée, et tuée… J’ai tellement mal…
Cela fait bientôt 18 mois qu’ils m’ont quittée, une année et demie que je suis brisée par la douleur, qu’elle s’infiltre en moi, telle un poison. Je ne sais même pas pourquoi je suis encore là… Je n’ai tout simplement pas le courage d’en finir, de renoncer à la vie. Je suis une lâche ! Je voudrais les rejoindre, être avec eux… Mais une petite voix au fond de moi m’en empêche, comme s’il me restait encore quelque chose à vivre…
Mes larmes sont intarissables. Je regarde leurs tombes et je sais qu’à cet instant, je laisse des miettes de mon cœur ici. Prendre la décision de les laisser, c’est abandonner une partie de moi pour qu’elle reste à leur côté.
Lorsque la nuit envahit le cimetière, j’allume la petite bougie à piles que je leur ai achetée et la dépose sur le marbre, avant de poser un baiser sur la pierre froide et de me diriger vers la tombe de mes parents.
Ils reposent à seulement quelques allées de mon mari et de ma fille… Triste coïncidence… Mes parents sont morts quand je n’étais qu’une jeune fille. Leur voiture a percuté un arbre alors qu’ils rentraient d’une soirée. Ils n’ont eu aucune chance, et ils sont décédés sur le coup. Ce moment-là, je l’ai vécu comme une dévastation totale. Mes parents étaient des gens formidables, aimants, un couple solide… Après leur décès, je n’ai pas réussi à reprendre le cours de ma vie, mon univers était anéanti. Je n’avais plus goût à rien.
Mon grand-père m’a alors accueillie chez lui jusqu’à ma majorité, puis je suis revenue ici, auprès de mes souvenirs, pour que leur image ne s’efface pas trop vite. Mais aujourd’hui, plus que jamais, cette ville n’est plus pour moi qu’une succession de malheurs.
— Prenez soin de Will et Stella, s’il vous plaît. Je ne vous oublierai jamais, mais j’ai besoin de m’éloigner d’ici, je n’y arrive plus. J’espère que vous me comprendrez et que vous ne penserez pas que je vous abandonne, mais c’est trop dur d’être seule sans vous tous et de revivre chaque jour ce cauchemar ! Je vous aime tous les quatre plus que l’univers.
Après avoir changé leurs fleurs et leur avoir dit une dernière fois au revoir, je suis prête à prendre la route vers mon nouveau chez-moi.
Certaines personnes ne comprennent pas ma décision de partir, mais rester ici… c’est vivre chaque jour sur le lieu de leurs accidents, c’est revivre sans cesse l’arrivée des gendarmes à mon domicile chaque fois que j’ouvre ma porte. C’est aussi revivre la naissance de notre fille dans notre chambre, chaque fois que j’y rentre… Il y a tant de souvenirs merveilleux ici… aujourd’hui, ternis par la douleur. J’ai besoin de m’éloigner, de tenter de retrouver un semblant de quotidien, d’atténuer cette douleur qui me ronge, et me terrasse au quotidien. Parce que ne pas pouvoir dormir dans mon propre lit à cause des souvenirs, ne plus réussir à éviter les crises d’angoisse à chaque fois que je fais les courses, cela devient insupportable.
13 commentaires
Oswine
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Il y a 8 jours
Vana Aim
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Il y a 8 jours
celgal
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Il y a 13 jours
WendyC.
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Il y a 16 jours
Leonie Lonval
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Il y a 16 jours
NICOLAS
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Il y a 16 jours
Vana Aim
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Il y a 16 jours
Pellecuer
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Il y a 17 jours
SEV13210
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Il y a 17 jours