Fyctia

— Navrée, nous n’avons rien trouvé de concret.

Mon sourire s’efface de quelques centimètres, surprise de cette soudaine prise de parole. J’avais oublié pendant un court instant que durant plusieurs semaines, certains d’entre eux s’étaient entièrement consacrés à la recherche d’informations sur mon arrivée et mon amnésie complète.

— Nous avons cependant des hypothèses sur la nature de tes oublis. Il se peut que cela ne soit pas causé par un traumatisme ou un accident, mais par un sort jeté et purement volontaire. Ce serait de la magie de type psychique, et peut-être qu’un membre de cette branche pourrait inverser ce sort pour que tu te souviennes de certains éléments.

Je l’écoute attentivement, et cette fois-ci, sans me perdre dans mes pensées. Dans ce monde, ces dires semblent logiques, et même très probables. Une nuée de questionnement sur l’objectif de ce sort vient me bousculer. Je ne suis pas la seule au vu du visage de Valrea qui est pensif.

En y réfléchissant, la raison peut être très banale. J’ai peut-être été au mauvais endroit et au mauvais moment, mais cela n’explique pas une amnésie totale de ma vie.

Alors, pourquoi a-t-on décidé de me la dissimuler ?

— Cependant, pour savoir ce qui t’es arrivé, il sera difficile de t’en informer en restant dans la Cité d’Aara. La réponse se trouve ailleurs, alors tu la trouveras ailleurs.

À la suite de ces paroles, je reporte mon attention sur elle. Valrea est une femme très sérieuse, qui prend son rôle à cœur et qui fait en sorte de ne jamais faire d’erreur, cela se voit. Sa peau ébène est décorée de quelques perles blanches sur ses joues ainsi qu’un dessin de la forme d’une petite lune gravé sur son front et orientée vers le bas. Sa chevelure est attachée en chignon de part et d’autre de sa raie. Elle a les yeux vairons de couleurs très opposées : le noir et le blanc. Dans une vie où j’ignorerais complètement les fonctions des différents diamants, j’aurai pensé qu’elle était une enfant de la Lune par son accoutrement, et non du Soleil.

Je secoue intérieurement la tête en repensant à ce qu’elle venait de me dire. Elle a totalement raison, être dans un lieu qui n’a rien à voir avec mon amnésie n’est pas du tout d’une grande aide. Seulement, bien que je m’intègre très difficilement à Aara, ce serait bien plus compliqué pour moi de devoir trouver un autre foyer qui m’accepte, surtout maintenant que je suis ici. Je ne saurai tout simplement pas où aller, alors le fait que la dirigeante des chefs cristallins m’évoque l’idée d’effectuer mes recherches ailleurs m’inquiète.

— As-tu été informée du rôle des gardiens cristallins ?

— Evidemment, répondis-je directement, ils veillent à la sécurité d’Aara et effectuent des missions à l’extérieur pour repérer les individus dans le besoin.

Je l’ai dit machinalement, comme si je venais de réciter une leçon devant mon professeur. Il faut dire que même si cela me concernait directement, ils avaient jugé bon de ne pas m’engager dans l’enquête de mon arrivée. Cela me frustrait énormément, surtout à ce moment-là où j’étais assoiffée d’informations et envahie d’anxiété à longueur de journée. Alors, durant tout mon séjour à Aara, j’ai consacré mon temps à l’entraînement avec Thalion, au guide de Nacqa et à la lecture sur leur histoire.

— C’est un rôle important qui demande énormément de responsabilités. Les gardiens cristallins construisent l’image de la cité et se doivent de diminuer les erreurs, du mieux qu’ils le peuvent.

Je fronce les sourcils. Certes, il est nécessaire de donner des précisions de ce genre, mais il n’y a pas réellement de rapport avec moi. Qu’essaie-t-elle de me dire exactement ?

— Veux-tu dire que je serai accompagnée d’un membre de vos gardiens ?

— Non, ce n’est pas ce que je veux dire.

Face à mon air déconcerté, elle poursuit.

— Il y a quelques jours, les chefs et moi-même, nous sommes réunis pour parler de ton cas. Cela a duré deux heures, où nous avons fait le pour et le contre, à chercher des solutions et à sélectionner la meilleure d’entre elles.

Deux heures.

Deux heures qu’ils ont réfléchies sur mon cas.

Suis-je un cas aussi désespéré ?

— Ellyn.

Je la regarde, elle me regarde. Son regard est dur. Elle est concentrée. Il me semble qu’elle réfléchit aux mots à employer.

A-t-elle du mal car c’est négatif ?

— Acceptes-tu de servir la Cité d’Aara en lui promettant loyauté et protection, peu importe où tu es, et cela, jusqu’à la fin de ta prise de poste, en tant que gardienne cristalline ?

…

« En tant que gardienne cristalline ? »

Pendant un instant, cette phrase se répète dans ma tête comme un écho, comme si mon cerveau ne l’avait pas assez imprimé. Il est vrai que j’avais l’envie que l’on m’accorde ce droit depuis un petit moment, mais je n’aurai jamais cru que cela arriverait aussi vite. Je suppose que c’est Thalion qui m’a recommandée et qui a vanté mes compétences, lui qui m’a encouragée depuis le début à me tourner vers cette voie.

En devenant une gardienne cristalline, j’aurai l’opportunité d’en apprendre un peu plus sur le monde, et surtout sur mon passé. Mes activités avaient été très restreintes jusque-là en tant qu’invitée, mais voilà que l’on veut me considérer comme une civile et mieux encore.

— O-oui, bafouillais-je.

Soudainement, l’éclairage de la pièce s’abaisse, mettant en valeur les différents diamants flottants qui continuent à diffuser de la lumière. Ils se mettent ensuite à briller dans le noir, comme si une force enfouie venait de se réveiller.

Je comprends ce qu’il se passe. Lorsqu’une personne accepte le rôle de gardien cristallin, un contact se fait avec le Diamant Souverain qui décide si tu es apte à porter sa puissance en toi. Si tel est le cas, alors un diamant incolore fera son apparition et sera en ta possession, et il changera de couleur lorsque la magie aura décidé de s’exposer et de se manifester. Cela voudrait dire que si j’ai des pouvoirs, cette pierre me le fera savoir tôt ou tard.

Si c’est le cas, alors j’aurai un indice pour découvrir mon passé.