Fyctia

La nuit est calme et apaisante, comme elle l’a toujours été.

C’est le moment de la journée où le monde semble se détendre, où les familles et les amis se retrouvent dans leur demeure, où les amoureux se partagent une nouvelle fois leur intimité. Certains ne la vivent pas ou très peu, et d’autres se laissent emporter par ses songes et ses conseils.

Mais elle, perdue dans la pénombre, ne la vit pas de la même manière.

Prudente, la jeune femme se déplace du mieux qu’elle le peut entre les branches et les racines d’arbre en tentant de calmer au mieux sa respiration haletante. Elle boite, mais elle ne s’arrête pas. Elle souffre, mais elle ne bronche pas. Elle ne peut pas se le permettre. Pas maintenant.

Ici, la nuit est effrayante. Elle est inquiétante mais surtout étouffante. Elle ne saurait donner la raison de cette sensation, mais quelque chose au fond d’elle sait qu’elle ne peut pas faire de pause, comme si une présence invisible et intimidante lui emboîtait le pas sans une seconde de répit.

Elle ne se retourne pas. À vrai dire, elle ne sait pas ce qu’elle attend de voir si elle le fait. A chacun de ses pas, des bribes de sa mémoire s’éteignent au même rythme que ses larmes coulent. Des tas d’émotions négatives la heurtent et l’abîment, plus qu’elle ne l’était déjà, mais ce n’était pas uniquement à cause de la peur. Non, c’est pire que ça. Elle a oublié.

De quoi parle-t-on ? D’absolument tout. Elle ne sait pas ce qu’il s’est passé pour qu’elle en arrive à là. Elle ne connaît pas la raison de sa présence dans cette forêt à une heure si tardive. D’ailleurs, quelle heure est-il ? Elle n’a aucun moyen de le savoir. Les seules informations qu’elle a en sa possession, c’est qu’elle est blessée et qu’elle a besoin d’aide.

La panique lui monte de plus en plus à la tête lorsqu’elle se rend compte d’une chose importante, et même primordiale : elle ne connaît plus son identité. Son nom, son âge, sa demeure et d’où elle vient, plus rien, comme une vie envolée et réduite à néant dans un souffle.

Comme si sa vie ne valait rien.

Son regard se porte sur un bijou, un collier entourant son cou depuis le début. Elle le serre doucement, de peur de le casser et de perdre le seul indice de son passé.

— Ellyn, souffle-t-elle.

Ce nom est gravé sur le centre du pendentif avec clarté, forgé avec de l’argent. Il est commun et simple, mais en cet instant, la jeune femme accorde à ce petit objet la valeur la plus importante. Alors que tout semblait perdu, elle a finalement trouvé une chose à laquelle s’accrocher pour continuer et ne pas perdre pied.

Ellyn.

Des bruits retentissent soudainement dans les tympans de la demoiselle, prenant place au silence qui jusque-là, ne faisait que l’effrayait davantage. Elle est incapable de les discerner et de les comprendre, mais elle ne réagit pas. En l’espace d’un instant, elle avait oublié qu’elle était en danger, qu’elle essayait de s’en sortir, et même qu’elle n’arrivait plus à marcher.

—…elle… blessée… besoin…infirmier…vite…

Cette fois-ci, ce sont des voix et quelques mots qui se font entendre. Des hommes et des femmes courent dans sa direction. D’autres reçoivent l’ordre de rentrer et de prévenir les dirigeants de la Cité. Le portail est si grand, qu’il lui faut lever la tête jusqu’à s’en faire mal au cou.

Mais, tout cela, elle n’y fait pas attention. Tous les mouvements qui pouvaient perturber ses sens et son esprit, elle ne s’en préoccupe pas. Sa tête continue à tourner et à lui donner un mal de crâne, mais elle ne s’en inquiète plus. Elle n’a qu’un mot à la bouche.

Ellyn…

Ellyn…

Ellyn…

Ellyn..

Ellyn.

Ellyn.