Fyctia

Un chiffre rond, ça semble doux. Mais celui-là, je le retiens et le déteste. Ma vie a basculée et j’en veux à ce zéro pointé.

Injuste. Je trouve la vie injuste. On m’abandonne, là comme un mollusque dans la mer. C’est ça, je suis devenue un mollusque mais c’est sûrement tout ce que je méritais. C’est ma petite voix qui m’a dit ça. C’était sûr, une belle vie, c’est pas fait pour moi.

Je ne supporte rien, ni personne, à part ma mère, ma belle-famille et évidemment, mon grand que je regarde chaque jour comme une étoile qui brille.

Il est là, devant moi. Je l’aime très fort, je lui dit. Le prends dans mes bras, il me repousse. Je comprends, il grandit, mais moi, j’ai rétrécit, alors j’ai besoin d’un câlin, tout de suite. Le plus fort possible, jusqu’à me briser les côtes. Je demanderais à ma mère. Elle y arrivera peut-être.

Je me souviens d’il y a deux mois. Émile, en panique à l’approche du bilan comptable du garage. Le fils du responsable du garage réclame sa part dans la société. Émile vit un problème de territoire. Il ne se sent pas légitime d’avoir des parts. Il se sent pris au piège. Il est blessé. Il cherche une solution pour apaiser cette situation. Il a peur. Qu’on lui reprenne ce qu’il a eu du mal à obtenir. Il se sent attaqué. La pression et la tension sont palpables. Je comprendrais plus tard ce qui s’est joué à ce moment-là.

Émile, il y a un mois.

Au garage d’Émile. Serge, son collègue le voit tomber raide au moment de la pause café, après avoir été livide. Par chance, il est secouriste du travail et chaque geste méthodique lui revienne naturellement et rapidement. Test de perte de connaissance : pas de réponse, pas de paroles. Il secoue sa main, comprend qu’il a zéro réflexe. Tend son oreille sur le cœur d’Émile, rien. Respiration : rien. Il hurle d’appeler le 15 à l’équipe présente ce jour-là. La secrétaire effectue machinalement le numéro et parle aux secours.

Le secrétaire ne sait plus où elle habite, donne machinalement l’âge de la victime, le lieu, son nom , son numéro, comment accéder au garage rapidement. Un ouvrier sera devant la porte pour leur permettre d’arriver directement sur les lieux.

Serge a commencé le massage cardiaque et alterne avec les insufflations respiratoires douces. Il garde ses coudes droits et appuie énergiquement la cage thoracique. Il demande un relais à Pedro, qui a observé les gestes à faire. Puis, ils s’alternent l’un après l’autre pour avoir un petit de temps de récupération. L’adrénaline les pousse à avoir les bons mouvements pour ce cœur, en espérant qu’il reparte. Le défibrillateur externe automatisé (DAE) est apporté très vite et tout le monde s’écarte et la choc est enclenché, sans réponse cardiaque. Ils recommencent leurs gestes et le choc. Le choc.

15 minutes s’écoulent, quand les pompiers arrivent, puis le SAMU, il est trop tard. Tout est tenté sur ce jeune homme, pourtant en pleine forme. Heure du décès : 14h12. Le 10 mai.

Pour les personnes à prévenir, c’est Serge qui s’en charge.

— Allô. Expire Victoire d’un ton las.

— Es tu seule ?

— Oui. Je suis de repos. Qu’est-ce qui se passe Serge ?

— Il est arrivé quelque chose à Émile, peux-tu le rejoindre à l’hôpital ?

— Hein quoi, est-ce grave ?

— Le Samu m’a demandé de t’appeler, pour que tu les rejoignes là bas.

— Ok, je file, rien de grave tu dis.

— Tu verras avec eux. Il garde sa respiration pour lui, et ses larmes.

Bob Marley «  Tu ne sais jamais à quel point tu es fort jusqu’au jour où être fort reste la seule option ».