Fyctia
Chapitre 9 : 37 ans - 44 ans
37 ans
Je pense, seule, dans mon coin, comme tous les soirs. À quoi exactement ? Je ne m’en souviens pas. Je rêvasse. Je me sens seule. Je pense ne plus être à la hauteur de ce qu’Émile attend de moi. Déjà plus de vingt ensemble, que peut-on attendre d’une relation aussi longue ?
Je regarde Émile s’affairer dans la cuisine après le dîner. Il range machinalement les assiettes dans le lave-vaisselle à sa manière. Chaque assiette a sa place, chaque couvert est droit comme un « i » dans le panier dédié. Les bols, en haut, les verres sur les mini piquets prédestinés. J’admire cet homme. Ce sont des gestes simples du quotidien. Une fois cette tâche terminée, il passe une éponge sur la table du dîner.
Noa est déjà couché. Une histoire a suffit ce soir. Celle qui a de nombreux dessins de toutes les couleurs avec des formes qu’il affectionne : des monstres gentils, comme il les appelle. Peu de phrases, peu de mots, mais nous avons passé du temps à décrire les illustrations et les nuances qui apparaissaient sous nos yeux.
Émile a fini, il me regarde, avec une infinie tendresse. Cela faisait bien longtemps.
— Victoire, est-ce que ça te dit de te marier avec moi ? Balance-t-il entre l’éponge et la table de la cuisine encore mouillée.
Interloquée, je le regarde profondément.
— Vraiment ?
— Je te pose la question, j’y pense et je le souhaite du plus profond de mon cœur, qui bat pour toi depuis 21 ans désormais.
— Je pensais que notre couple vacillait. Que je ne te donnais plus satisfaction ?
— De quoi tu parles ? Oui, nous avons eu Noa, te voir devenir mère me réjouit chaque jour de plus en plus. Et je t’aime en tant que femme.
— C’est vrai ?
— Bien sûr. J’ai envie qu’on s’unisse, avec Noa pour spectateur, et nos familles.
— Oui !!! Je veux être ta femme, mon cœur.
Des larmes de joie coulent sur mes joues. Je me crois au paradis, quel qu’il soit, celui de Vanessa ou un autre. J’entends en fond musical à la radio « Tandem » de la célèbre chanteuse, comme un signe ?
C’est vrai que nous sommes devenus un tandem en étant parents. On roule à deux, pour trois. Avant, on avait chacun notre propre vélo, mais là, pour lui, on pédale ensemble, même si c’est dans la choucroute !
Allez, on se marie, c’est parti. Qui inviter ? Quand ? Comment ? Toutes ces questions se mêlent dans ma tête et dans mes paroles auprès d’Émile qui m’enlace après un câlin revigorant. Je suis rassurée.
Quelle robe ? La coiffure ?… Je m’endors sans regarder Noa cette nuit. Je suis sereine et remplie de joies millésimées.
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44 ans
Il n’aime pas l’école, c’est un fait. Il s’ennuie. Je vois à quel point il s’investit dans ses jeux vidéo et moins au collège. Il s’en sort mais ce n’est pas son truc.
L’infirmière scolaire m’a conseillé pour lui un bilan en centre médico-psycho-pédagogique (CMPP). Plusieurs mails, appels et rendez-vous m'ont conduit à cinq entretiens longs et contraignants vis à vis de mon emploi du temps.
Au bout de deux mois, le diagnostic est posé : cet enfant a un haut potentiel. Ce qui signifie que son QI (Quotient Intellectuel) est supérieur à la « norme » et que cela peut comporter des différences en termes de maturité, émotionnelle notamment. Il peut avoir des difficultés à s’entendre avec les camarades de son âge également. Un bref topo m’est fait.
C’est bien ça, haut potentiel pour me faire suer… Grand niveau de flemmardise aiguë, haute estime des jeux vidéos, incapacité à comprendre qu’un quotidien à deux, ça tourne avec deux personnes.
Bref, rien de neuf sous le soleil, je m’en doutais. Mais l’école n’est plus adaptée à lui. À part dessiner, geeker et dormir, rien ne l’intéresse. Faudra bien lui trouver une voie…
A 12 ans, en colère, il l’est et moi aussi. Ce râle permanent de « Mamannn…. » dès qu’il n’a pas envie de faire ce que je lui demande. Évidemment : ranger sa chambre, débarrasser le lave-vaisselle ne concurrencent pas avec ce jeu vidéo où tu fabriques ta maison, comme s’il partait demain vivre dedans. Sa cuisine fabriquée est belle (mais pas du tout fonctionnelle, si je peux me permettre), sa mère n’est pas dans les parages, le calme absolu. La vie parfaite d’un ado.
Manger, ça oui, ça l’intéresse mais pas tout ce qui va autour : préparer (parfois), mettre la table (jamais), débarrasser (rarement), faire la vaisselle (hum… pas que je me souvienne !).
Allez au cinéma tous les deux : c’est OK mais IL choisit le film. Je n’ai jamais eu un mec chiant, mais alors le fils… Je ne vous explique pas !
Je me remémore les mots de sa psychologue :
« Son anxiété est en réalité de l’intuition permanente. Ce qu’il vit de difficile est toute son empathie pour les autres. Parfois, cette empathie est « mouillée », il a l’impression de se noyer avec l’autre ; D’autres fois, il sait prendre suffisamment de recul, malgré son jeune âge, pour avoir une empathie « sèche » et juste tendre la main à la personne qui se noie. Puis, il voit la beauté partout et dans tout et la retranscrit à travers ses dessins, jour après jour, c’est magnifique. Vous ne trouvez pas ? »
Magnifique, oui, pourquoi pas, mais elle ne vit pas avec lui au quotidien !
J’en ai ma claque et j’ai besoin de changement. Je relis les mots de Bruno Combes dans Il existera toujours un chemin : Changer.
Changer, c’est accepter de ne plus être la même personne. […]
La paix intérieure est à ce prix : accepter la solitude comme son plus fidèle compagnon de voyage et assumer l’abandon comme une étape indispensable vers le renouveau.
Je relis ses mots en boucle, me sautent aux yeux « accepter » et « abandon ». Puis, « solitude » et « renouveau » me font de l’œil également. Je tends vers ça désormais. Ce sera mon mantra quotidien.
9 commentaires
Blandine974
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Il y a 9 mois
La Plume d'Ellen
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Il y a 10 mois
Vinnie Catz
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Il y a 10 mois
nofaceuser
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Il y a 10 mois
Jessica Goudy
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Il y a 10 mois
Le Mas de Gaïa
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Il y a 10 mois
Dixy
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Il y a 10 mois